Sommet spatial de Séville : ce que veut à tout prix la France pour Ariane 6 et Kourou

Ce qui compte pour la France, c'est le soutien sur le moyen terme (2026) à Ariane 6 et à Vega-C, « les seuls lanceurs qui sont en mesure de permettre à l'Europe de retrouver l'accès autonome à l'espace ». Paris veut également que le Centre spatial Guyanais reste un port spatial de classe mondiale.
Michel Cabirol
(Crédits : CNES)

Au sommet spatial de Séville (6 et 7 novembre), la France, représentée par le président du CNES Philippe Baptiste - le ministre en charge de l'espace Bruno Le Maire ayant déclaré forfait -, poursuit deux objectifs cruciaux pour ses intérêts aussi bien stratégiques qu'industriels : le financement de l'exploitation d'Ariane 6 et le Centre spatial Guyanais (CSG). Le dossier très sensible des lanceurs (Ariane 6 et Vega-C) sera examiné lundi et mardi dans le cadre d'un format Agence spatiale européenne (ESA), puis mardi avec la Commission européenne, qui entend jouer un rôle majeur en la matière, tandis que le CSG sera abordé uniquement dans un format ESA.

La France accommodante mais...

La France, qui veut à tout prix sauver le soldat Ariane 6, a envoyé à ses partenaires européens des signaux de compromis sur deux grands sujets qui seront abordés dès ce lundi à Séville (Vexit, ouverture à la concurrence). Clairement, Paris s'est montré très accommodant depuis plusieurs semaines dans les négociations. Même si elle estime que l'Italie fait une erreur stratégique, la France s'est résolue à donner à Avio la liberté de commercialiser les lanceurs de la famille Vega (actuellement Vega-C), jusqu'ici vendus par Arianespace, filiale d'ArianeGroup. Avio va-t-il co-commercialiser avec Arianespace ou commercialiser seul ses lanceurs ? Séville en décidera. Mais Paris veut « le fonctionnement le plus simple possible » alors qu'il constate « beaucoup de complexité dans le fonctionnement d'Arianespace ».

« Notre seule boussole est de faire en sorte qu'on ait un système dans lequel on puisse être le plus efficace possible et peut être probablement plus efficace que ce qu'il a pu être aujourd'hui », assure-t-on au cabinet de Bruno Le Maire.

Et La France s'est également décidée à se ranger derrière la volonté de l'Allemagne d'ouvrir le marché des lanceurs à la concurrence, Berlin voulant offrir à ses champions (Isar Aerospace, OHB et HyImpulse) à moyen et long terme l'occasion de ravir le leadership européen à ArianeGroup. La France avait-elle le choix ? Plus vraiment, le modèle actuel n'est plus tenable. Les retards répétés d'Ariane 6, qui ont mis l'Europe sous tension, ont révélé les faiblesses du modèle ESA dans sa gestion du programme.

Si la France subit très clairement cette situation, elle a choisi au moins de l'accompagner à Séville pour mieux rebondir et tenter de rester le leader en Europe, notamment avec l'espoir MaiaSpace et son futur lanceur plus agile et moins cher Maia. Ou pourquoi pas avec les startup Latitude ou HyPrSpace. Un des objectifs de la France est de « pouvoir aider ces lanceurs ou ces nouvelles entreprises à se développer. Toutes n'y arriveront pas, mais on espère que certaines y arriveront, notamment sur le segment des mini-lanceurs », précise-t-on dans l'entourage du ministre de l'Économie.

Si les pays membres de l'ESA se mettent d'accord à Séville sur l'ouverture à la concurrence, ils vont ouvrir une période certes féconde mais qui très clairement va lancer une guerre terrible en Europe entre grandes nations du spatial (France, Allemagne, Italie et pourquoi pas Espagne). Ces quatre pays vont légitimement pousser leur(s) champion(s). L'idée de Paris est « de développer un peu plus de concurrence dans le monde des lanceurs, tout en gardant l'objectif global de coopération et de coordination entre États membres pour éviter que ce soit fait de manière totalement désordonnée», explique-t-on au sein du cabinet de Bruno Le Maire. Résultat, la France recommande à l'ESA et à la Commission européenne de jouer un rôle pour coordonner et organiser ce marché. A voir...

Le financement d'Ariane 6 en question

Aujourd'hui ce qui compte pour Paris est de soutenir sur le moyen terme (2026) Ariane 6 et Vega-C, « les seuls lanceurs qui sont en mesure de permettre à l'Europe de retrouver l'accès autonome à l'espace », à court terme (en 2024 si tout va bien pour Ariane 6 et Vega-C), rappelle le cabinet du ministre de l'Économie. Une position pragmatique qui ne devrait pas souffrir de contestations. Mais la France demande le financement par les États membres des programmes Ariane 6 et Vega à partir de 2026, voire 2027, selon la cadence de lancements d'Ariane 6. Soit un montant évalué entre 340 et 350 millions d'euros par an pour tenir compte de l'inflation et surtout pour permettre à Ariane 6 d'être compétitive sur le marché mondial des lancements.

Cette somme fait énormément hurler les Allemands et une partie des pays membres de l'ESA. A relativiser toutefois, car dans ce bal des hypocrites, ces pays ne veulent pas lâcher non plus le bon vieux modèle de retour géographique qui leste la compétitivité d'Ariane 6 et Vega-C. En outre, il est demandé à ArianeGroup et à ses fournisseurs, dont l'allemand MT Aerospace et Avio (ses deux plus grands sous-traitants) un nouveau train d'économies compris entre 10% et 15%. L'un (financement d'Ariane 6) ne va pas sans l'autre (réduction de coûts) pour permettre à Ariane 6 d'être compétitive. La France veut donc s'assurer que « dans toute la supply chain, les bons efforts soient faits pour réduire les coûts. Cela veut dire des renégociations ».

Après les quinze premiers lancements d'Ariane 6 (140 millions d'euros par an), la France souhaite assurer le modèle économique des 26 lanceurs suivants qui seraient lancés à partir de 2026 ou début 2027. Ce qui est vrai pour Ariane 6, est également vrai pour Vega-C. « Notre premier objectif est d'obtenir les conditions du bon fonctionnement de ces deux lanceurs », fait valoir le cabinet de Bruno Le Maire. Cela concerne donc les financements pour l'exploitation d'Ariane 6 à partir de 2026/2027, les commandes institutionnelles et, enfin, les commandes industrielles pour les 26 prochains lanceurs Ariane 6.

Kourou, un port spatial de classe mondiale

Deuxième objectif prioritaire de la France, le CSG. « L'objectif de la France est de faire de Kourou un port spatial de classe mondiale », affirme-t-on au cabinet du ministre de l'Économie. Il l'est déjà mais Paris considère qu'il est « important de pouvoir le développer et d'accueillir les lanceurs qui seront les plus crédibles et qui souhaitent s'y installer », précise-t-on. La France est dans une logique d'ouverture à l'ensemble des entreprises européennes qui souhaiteraient se servir de cette infrastructure qui bénéficie d'une position géographique extrêmement performante pour les lancements.Dans cet esprit, la France préconise de donner les meilleurs moyens de développer le port spatial guyanais.

La directrice du Centre spatial guyanais Marie-Anne Clair vise 30 lancements en 2030 : 10 à 12 Ariane 6, 5 à 6 Vega-C plus des tirs effectués par des micro-lanceurs. La modernisation du CSG donnera ainsi la capacité à l'Europe de lancer tous les deux à trois jours.

Michel Cabirol

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 7
à écrit le 07/11/2023 à 6:40
Signaler
Bonjour, la france souhaitent maintenir le développement future de la fusées Ariane 6 et maintenir un maximum d'activité sur la base de Kourou... Personnellement, je trouve la volonté française bien réduite..

à écrit le 06/11/2023 à 12:07
Signaler
L'idée de Paris est « de développer un peu plus de concurrence dans le monde des lanceurs, tout en gardant l'objectif global de coopération et de coordination entre États membres pour éviter que ce soit fait de manière totalement désordonnée». Tou...

le 06/11/2023 à 12:20
Signaler
Vous avez parfaitement résumé!!!! Je ne sais pourquoi les francais ont cette tradition de maintenir toujours des socités ZOMBIES non viables artificiellement en vie. Cette attitude se réflète dans l'átat des entreprises francaises; monopoles étatique...

le 06/11/2023 à 12:21
Signaler
"L'industrie spatiale française va se faire manger si elle reste bloquée dans le monstre bureaucratique qui est ArianeGroup." Ce monstre est issu de l'organisation de l'ESA (retour géographique) et de la Commission Européenne qui rajoute une couche d...

le 06/11/2023 à 20:25
Signaler
Chaque entreprise pense faire mieux que les autres... Dans chaque grosse entreprise issue de la fusion d'entreprises préalablement en relation client fournisseur, chaque site pense mieux travailler que l'autre... Dans chaque équipe, chacun pense m...

à écrit le 06/11/2023 à 11:44
Signaler
Si la France ne sort pas de l'Europe elle disparaitra de l'histoire . ils nous détruisent de l'intérieur tel un cancer et nous divisent à longueur d'années . Les grand projet menés par la France ne pourraient plus voir le jour avec nos politiques e...

le 07/11/2023 à 2:03
Signaler
La France n'a pas les moyens d'entretenir un programme de lanceurs à elle seule. A l'époque de la navette spatiale, Ariane était un succès commercial mais ce temps est révolu. SpaceX Falcon 9 a 268 lancement réussis à son actif et des prix imbattabl...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.