« La souveraineté ne doit pas être une alternative à la coopération » (Anthea Comellini, astronaute)

A l'occasion de la 10ème édition du Paris Air Forum, l'astronaute de réserve de l'Agence spatiale européenne Anthea Comellini s'est livrée sur son parcours, ses envies d'astronaute et ses convictions.
« J'étais parmi ceux qui, enfants rêvaient d'aller un jour dans l'espace. J'ai toujours été très fascinée par les avions, les pilotes, les pionnières de l'aviation puis les pionnières de l'espace » (Anthea Comellini, astronaute de réserve).
« J'étais parmi ceux qui, enfants rêvaient d'aller un jour dans l'espace. J'ai toujours été très fascinée par les avions, les pilotes, les pionnières de l'aviation puis les pionnières de l'espace » (Anthea Comellini, astronaute de réserve). (Crédits : Thales Alenia Space)

LA TRIBUNE : Pourquoi avez-vous souhaité devenir astronaute ?

ANTHEA COMELLINI-  J'étais parmi ceux qui, enfants rêvaient d'aller un jour dans l'espace. J'ai toujours été très fascinée par les avions, les pilotes, les pionnières de l'aviation puis les pionnières de l'espace. Mais en grandissant, je ne me suis pas vraiment forcée. Je me suis laissée toute la liberté de découvrir ce que j'aimais faire. Mon premier rêve concret était de devenir écrivaine puis j'ai découvert les maths et la physique et j'ai commencé à avoir une préférence pour un travail de chercheuse. A la fin du lycée, j'ai tout de même bien réfléchi entre intégrer l'armée de l'air italienne ou avoir un parcours d'ingénieure dans le domaine spatial. C'était un choix binaire : soit l'un, soit l'autre.

Et quel a été votre choix ?

Je pensais pouvoir survivre sans savoir piloter un avion, mais pas survivre sans savoir construire des avions et des engins qui vont dans l'espace, alors j'ai fait le choix de l'ingénierie aérospatiale. Par la suite je me suis spécialisée, j'ai fait un master en ingénierie spatiale. J'ai tout de même pu obtenir ma licence de pilote privée grâce à l'école SUPAERO Toulouse, qui offre la formation gratuitement à certains étudiants. J'ai ensuite fait un doctorat et lorsque je me suis retrouvée dans ma première semaine de travail en tant qu'ingénieure (après la thèse), est sortie l'annonce des nouveaux astronautes. Quelque chose qui ne se produit pas chaque année !

Y a-t-il une personne qui vous inspirée pour devenir astronaute ?

Pas vraiment, c'était plutôt un film et j'ai un peu honte de le dire mais il s'agit d'Armagedon (rires) Je me rappelle d'avoir regardé l'image de la navette, qui décollait. J'ai cru que c'était de la science-fiction ! Mais en parlant avec mes parents j'ai réalisé que c'était quelque chose qui existait vraiment, fonctionnait, et effectuait des allers-retours très fréquents ! Cela m'a tellement marquée. C'est alors que j'ai compris que c'était quelque chose que je voulais faire.

Vous avez vu une annonce et vous avez postulé...

... Oui, j'ai bien réfléchi, car en travaillant depuis quelques années dans le milieu je n'ai pas une vision idéaliste de ce travail que l'on pourrait avoir de l'extérieur. Je me suis demandée : « Est-ce que si toi, Anthea tu arrives à la fin, tu veux bien dire oui ? » et au bout de quelques jours de réflexion j'ai dit « oui je me sens prête » et je suis partie pour la sélection. La sélection a été un peu difficile pour tout le monde car elle s'est déroulé en plein COVID et a donc pris un peu plus de temps qu'en 2008-2009 (la dernière en date). Cela s'est déroulé sur 18 mois. Mais toutes les personnes qui y ont participé, même celles qui ne sont pas arrivées jusqu'à la fin en ont gardé un très bon souvenir.

En quoi consistait ces tests ?

Il y avait beaucoup de tests, il y a eu six étapes : une première sélection sur CV et lettre de motivation, puis l'ESA fait une présélection initiale de 1.400 personnes sur 22.500 candidats. Puis, nous avons passé une série de tests psychométriques, très similaires à ceux que l'on passe pour devenir pilote pour Air-France ou Lufthansa. C'était une journée très longue à la fin de laquelle il restait 400 personnes. Au bout de quelques mois, on nous a appelés pour une journée d'évaluation au centre de astronautes européens à Cologne, où nous avons passé une série de tests psychologiques centrés sur des 'soft skills' (capacité à se comporter compte-tenu de la situation, ndlr), avec des psychologues. Nous avons également subi des tests de groupe et avons été évalués par un panel d'anciens astronautes. A la fin de la journée il restait 100 personnes. Ces 100 personnes ont passé une série de tests médicaux. Sont restées 50 personnes. Nous avons ensuite passé des entretiens avec la commission de l'ESA.

Votre parcours professionnel chez Thales Alenia Space vous a-t-il aidée pour être sélectionnée ?

Nous sommes 17 a avoir été sélectionnés et je suis la seule à travailler dans le spatial. Ce n'est donc pas obligatoire. Mais c'est sûr que l'expérience que j'ai acquise m'a vraiment aidée à devenir une ingénieure compétente.

Qu'est-ce qui vous motive dans le fait de devenir astronaute ?

Ce qui me motive le plus dans l'espace c'est ce qui me motive tous les jours. C'est de savoir qu'à mon niveau je suis en train de contribuer au secteur spatial européen. C'est ce qui m'anime dans mon travail d'ingénieure aussi. J'ai toujours pensé que j'avais quelque chose d'autre à apporter que la partie technique qui se passe derrière un ordinateur mais aussi d'autres compétences que je vais pouvoir mettre en œuvre lorsque je serai dans l'espace.

Quels sont vos objectifs en tant qu'astronaute de réserve ?

Je ne suis pas trop pressée de devenir astronaute, je m'amuse beaucoup dans mon job d'ingénieure. Pour donner un peu de contexte, c'est la première fois que l'ESA sélectionne des astronautes qui vont intégrer tout de suite « le corps » et sont partis à l'entrainement à Cologne - c'est le cas de cinq astronautes - mais aussi des astronautes de réserve (11). Mais ce n'est pas comme une équipe de foot, on ne rentre pas si quelqu'un se blesse (rires). Le concept d'astronautes de réserve a été constitué pour avoir une réponse rapide en cas d'augmentation de la demande (de vols habités, ndlr). L'augmentation de la demande est très probable dans les prochaines années avec l'arrivée des vols commerciaux.
Alors que l'ISS va être désorbitée dans les années 2030, il y va y avoir des stations spatiales commerciales. Il y a de plus en plus d'intérêt à faire de la recherche en microgravité dans des stations LEO. La demande augmente, les coûts vont diminuer. C'est pour cela que l'ESA a sélectionné ce pool de personnes qualifiées pour pouvoir commencer l'entrainement et répondre à cette demande. Ce n'est pas quelque chose d'improbable puisque il a été annoncé que Marcus Wandt l'astronaute de réserve suédois va voyager en fin d'année dans le cadre d'Axiom Space-3 (une mission spatiale habitée du vaisseau Crew Dragon vers la Station spatiale internationale, opérée par SpaceX pour le compte d'Axiom Space Axiom 3, ndlr).

N'avez-vous pas de frustrations de n'être qu'astronaute de réserve ?

C'est sûr, j'espère pouvoir voler un jour. Ce n'est pas sûr à 100% mais cette période d'attente, je la remplis avec des projets très intéressants, qui vont me faire progresser dans ma carrière dans le milieu spatial.

Participez-vous au entrainements avec le corps des astronautes ?

Pour le moment, nous ne nous entrainons pas avec les autres astronautes. Si jamais l'ESA nous appelle pour un projet spécifique (comme pour le réserviste suédois), alors on commence un entrainement qui sera dimensionné par rapport à la durée de la mission. Marcus Wandt s'est par exemple engagé sur une mission de courte durée, une mission avec un intérêt scientifique, et non pas une mission de tourisme spatial. C'est donc une mission un peu plus courte qu'une mission de six mois donc il va recevoir un entraînement proportionnel au nombre de taches.

Y a-t-il des réservistes qui ont abandonné ?

Non ! Nous sommes tous pleins d'espoir !

Estimez-vous important, voire stratégique pour l'Italie d'avoir des astronautes ?

L'Italie a toujours été très impliquée dans les vols habités, en terme de fourniture des infrastructures. 40% de la partie pressurisée de l'ISS ont été assemblés en Italie, où nous assemblons également en ce moment le module HALO qui fera partie de la Gateway. C'est donc très intéressant pour l'Italie d'avoir des astronautes, mais je suis ici en tant que membre de la réserve des astronautes européens donc c'est très important de penser comme un groupe uni, et d'avoir une vision européenne.

Quels regards ont les Italiens sur votre sélection ?

J'ai beaucoup parlé avec des étudiants et des jeunes en Italie, qui avaient un regard plein d'espoir. Cela me fait très plaisir de pouvoir les aider à rêver en grand. Je ne me sens pas forcément à la hauteur de cette attente mais je me rappelle, lorsque j'avais leur âge, je pense qu'avoir des figures comme moi qui leur parle et leur dit de rêver en grand, ça doit être très important pour eux.

Quelle est votre vision personnelle de l'ambition européenne en matière d'exploration spatiale ? L'Europe doit-elle être souveraine dans l'exploration spatiale ?

Lorsqu'on parle de souveraineté il ne faut pas la voir comme une alternative à la coopération. C'est ça le point le plus important. Mais on veut, surtout en ce qui concerne les vols habités - sur d'autres secteurs nous sommes déjà des partenaires majeurs -, ne plus être des juniors partners mais des partenaires égaux. Cela va aussi être important pour nous lorsque nous serons à la table des décisions d'êtres des partenaires égaux pour pouvoir négocier mieux les intérêts européens. Le retour à la Lune n'a pas été décidé par les Européens mais par les Américains. Nous, nous suivons forcément car si on ne participe pas à cette course, ce sera problématique pour nos industries, pour nos investissements, etc... C'est donc très important d'y participer pour contribuer à continuer de développer nos compétences industrielles et à avoir un rôle majeur dans le secteur spatial.

Seriez-vous prête à partir sur une aventure commerciale ?

Ce n'est pas une alternative : le réserviste suédois monte à bord d'une mission d'Axiom sur une mission ESA, avec des objectifs scientifiques. Donc pour moi l'important c'est l'objectif de la mission. Si c'est juste pour le plaisir d'aller dans l'espace, de mon point de vue, cela ne vaut pas le coup. Je veux aller dans l'espace si cela a du sens d'un point de vue scientifique, pour la recherche et les retombées que cela peut avoir pour la société. Donc, oui je partirai sur des missions commerciales. D'ailleurs, après 2030, les missions seront commerciales. Il y aura une transition et ce sera probablement la seule façon d'aller en LEO. Donc nous sommes tous prêts mais il faut que cela ait du sens.

Qu'est-ce que vous avez envie que l'Europe fasse de plus en matière d'exploration spatiale ?

Du point de vue de l'étudiante que j'étais il y a quelques années, je voyais parfois mes camarades qui rêvaient d'aller travailler pour SpaceX... Moi j'ai envie pour les étudiants qui étudient en Europe qu'ils y restent, et même pour ceux qui étudient en Amérique, qu'ils se disent « ah tiens, il y a des choses à faire en Europe, allons-y ! » C'est cela mon rêve.

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Commentaires 2
à écrit le 20/06/2023 à 8:30
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S'il y avait souveraineté, il y aurait coopération, mais il y a soumission... !;-)

à écrit le 20/06/2023 à 7:36
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La souveraineté au sein de l'UERSS empire prévu pour durer mille ans c'est du vent. C'est le mot à la mode et c'est tout sinon de la souveraineté seuls les anglais l'ont retrouvé nous continuons nous autres français à être soumis aux délires des peti...

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