« L'Europe doit être capable de lancer beaucoup et souvent » (Daniel Metzler, PDG d'Isar Aerospace)

En matière d'accès à l'espace, l'Europe est confrontée à court terme à une rupture de l'offre entre le dernier lancement d'Ariane 5 et le vol inaugural d'Ariane 6. A plus long terme, certains nouveaux acteurs, à l'image d'Isar Aerospace, souhaitent plus de concurrence. D'autres, à l'image d'Airbus, privilégient plus de coopérations pour partager les coûts des programmes
« La situation actuelle nous permet de nous rendre compte de l'importance de l'accès autonome européen à l'espace, que l'ont tient beaucoup trop souvent pour acquis » (Antonin Ferri, directeur des programmes futurs chez ArianeGroup)
« La situation actuelle nous permet de nous rendre compte de l'importance de l'accès autonome européen à l'espace, que l'ont tient beaucoup trop souvent pour acquis » (Antonin Ferri, directeur des programmes futurs chez ArianeGroup) (Crédits : © CNES/ESA/Arianespace/CORVAJA Stéphane, 2004)

Il y a 35 ans, le 15 juin 1988, décollait la première Ariane 4. À ce moment-là, Ariane 5 était déjà en développement depuis trois ans. Lorsque chacune des Ariane précédentes avait volé pour la première fois, le développement de la version suivante avait été engagé. Pourtant, lorsqu'Ariane 5 a décollé pour la première fois, en 1996, ce n'était plus vrai. Le développement d'une version plus puissante aurait dû être engagé un an plus tôt mais l'Allemagne s'y était opposée, car son économie peinait à encaisser le coût de la réunification du pays.

De l'avis de beaucoup, Ariane 5, dimensionnée pour emporter la navette européenne Hermes, était déjà trop puissante pour le marché... ce qui s'avéra rapidement faux. Lorsqu'elle entra en service pour de bon, en 1999, elle était déjà sous-dimensionnée et l'Europe de lancer en urgence le développement d'une nouvelle version d'Ariane 5, Ariane 5E. Cette précipitation se solda par un échec, des retards et des surcoûts qui entravèrent le financement de toute nouvelle amélioration.

Un retard de génération

Ce retard de génération n'a jamais été pleinement rattrapé et se retrouve aujourd'hui dans Ariane 6, dont le développement n'a pas été lancé au moment où il aurait dû, entraînant une succession de crises et le psychodrame d'un passage de flambeau vers l'industrie... sans lui en donner pleinement les moyens. La transition d'Ariane 5 à Ariane 6 a été plombée par des difficultés techniques et de gouvernance avant même que le Covid-19 ne s'en mêle. Le « plan B » qui avait été prévu pour pallier d'éventuels retards était basé sur l'emploi du Soyuz en Guyane. L'invasion de l'Ukraine a rendu ce scénario caduc à son tour et il faut s'attendre à ce que six mois séparent le lancement de la dernière Ariane 5 et celui de la première Ariane 6.

« Avec le recul, une ou deux Ariane 5 de plus n'auraient pas été de trop », a reconnu Daniel Neuenschwander, directeur du transport spatial de l'ESA à l'occasion de la 10ème édition du Paris Air Forum, événement organisé par La Tribune, « mais la situation est ce qu'elle est et nous devons nous tourner vers l'avenir ». Et cet avenir, c'est déjà l'après Ariane 6, même si ce nouveau lanceur, très attendu, aura une carrière en propre, comme le suggère son important carnet de commandes.

Concurrences et coopérations

« La situation actuelle nous permet de nous rendre compte de l'importance de l'accès autonome européen à l'espace, que l'on tient beaucoup trop souvent pour acquis », estime pour sa part Antonin Ferri, directeur des programmes futurs chez ArianeGroup, qui participait à la table-ronde intitulée « Quel avenir pour les lanceurs européens ». Trois leçons sont à en tirer selon lui. Primo il faut préparer l'avenir tôt, c'est ce qui est fait aujourd'hui avec le programme de moteur Prometheus, qui allie bas coût, pilotabilité et réutilisation, et avec le démonstrateur Themis, pour la réutilisation du premier étage. Secundo, il faut changer le processus de développement car beaucoup d'acteurs innovants sont apparus et changent la donne. Tertio, enfin, la coopération européenne est nécessaire pour des raisons économiques et pour une souveraineté partagée.

« Il faut anticiper les technologies et être plus agiles, mais aucun pays ni aucune entreprise ne peut le faire seul », renchérit Antoine Bouvier, directeur de la stratégie du groupe Airbus, actionnaire d'ArianeGroup mais aussi soutien de nombre d'autres initiatives via le fonds Airbus Ventures. « Il faut construire la résilience et ne pas être dépendant d'un seul système », rebondit Daniel Metzler, le PDG d'Isar Aerospace, qui développe le petit lanceur Spectrum. « À l'extérieur de l'Europe, les gouvernements ne sont pas dépendants d'un fournisseur unique et c'est avec ces fournisseurs que nous devons être en concurrence », assure-t-il.

Quel marché pour l'Europe

« L'Union européenne doit être capable de lancer beaucoup et souvent pour que ces lancements soient moins chers et compétitifs », estime Daniel Metzler. Mais la question va se poser du marché pour que toutes ces initiatives puissent se développer. « Nous avons un marché, nous avons une ambition », assure Daniel Neuenschwander. Celle-ci sera nécessaire d'autant que de nouvelles contraintes arrivent, comme celle de la réutilisation, qui impose une équation économique complexe. Introduite pour améliorer la rentabilité, elle se révèle aujourd'hui offrir surtout un avantage de disponibilité des étages et représente un prérequis dans une économie durable, mais elle nécessite une forte cadence et donc un marché.

Paradoxe, c'est aussi le moment auquel d'autres acteurs, notamment SpaceX et la Chine, s'intéressent au lanceur super-lourd, avec le Starship et la Longue Marche 9. L'Europe étudie la rupture que l'arrivée de tels systèmes pourrait représenter et comment éventuellement développer elle aussi une architecture de ce type. C'est l'objectif de l'étude Protein, confiée entre autres à ArianeGroup. « Les initiatives telles que Solaris (pour les centrales solaires orbitales, ndlr) ou Ascendant (des fermes de serveurs informatiques sur orbite, ndlr) pourraient justifier de telles capacités, explique Antonin Ferri, mais il faut se rendre compte de ce que représente le volume visé : 10.000 tonnes lancées par an, cela représente l'équivalent de 500 Ariane 6 ! »

Toutefois, une capacité de lancement lourde ou super-lourde en Europe permet aussi d'envisager de doter le vieux continent de la dernière capacité spatiale qui lui manque : celle du vol habité et de prendre pleinement part à l'aventure de l'exploration spatiale, sans que ce soit sur un strapontin américain ou chinois.

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Commentaire 1
à écrit le 20/06/2023 à 9:49
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Pour ça, il ne fallait pas se brouiller avec les Russes : les Soyouz, c'était parfait à Kourou.

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