« Il faut se préparer à des chocs futurs » (Olivier Andriès, directeur général de Safran)

ENTRETIEN - Le groupe industriel français mûrit un plan de résilience à grande échelle, avec l’ambition de relocaliser certaines activités stratégiques.
Olivier Andriès au siège de Safran en 2020.
Olivier Andriès au siège de Safran en 2020. (Crédits : LTD / FRANCOIS BOUCHON/FIGAROPHOTO)

LA TRIBUNE DIMANCHE - Alors que vous fêterez le 5 juin les 50 ans de votre partenariat avec le motoriste américain General Electric (GE), quelle est la suite de l'histoire ?

OLIVIER ANDRIÈS - Safran est une entreprise qui a depuis très longtemps un ADN transatlantique (lire ci-dessous). Nous préparons l'avenir ensemble et nous avons annoncé la prolongation de ce partenariat jusqu'en 2050. En 2021, nous avons notamment décidé avec GE d'être à l'avant-garde de la décarbonation en lançant le démonstrateur Rise. Un moteur qui sera une véritable révolution avec une architecture non carénée. À l'horizon 2035, il devrait réduire de 20 % la consommation de carburant par rapport à notre moteur actuel, Leap. C'est un message très fort envoyé à l'industrie. Et désormais, lorsque Airbus et Boeing parlent d'un nouvel avion, ils pensent à une entrée en service vers 2035.

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Êtes-vous quasiment sûr d'atteindre les 20 % d'économie de carburant ou avez-vous encore des doutes ?

Je n'aurai pas l'arrogance de dire que c'est déjà fait. C'est notre objectif, nous sommes confiants quant au fait de l'atteindre. L'intérêt de ce programme technologique est de démontrer aux avionneurs, d'ici à la fin de la décennie, que nous sommes capables d'atteindre ces 20 %. Si Boeing semble se focaliser sur d'autres sujets à plus court terme en ce moment, Airbus a de son côté annoncé un programme de démonstration sur un A380.

Estimez-vous la Chine capable de concurrencer Airbus et Boeing ? Où en est la montée en puissance du C919 de l'avionneur chinois Comac, qui utilise votre moteur Leap-1C ?

Cette montée en puissance va venir. Comac a déjà livré cinq avions à China Eastern Airlines. La compagnie semble être très satisfaite de l'avion et a fortiori des moteurs. Les appareils volent cinq à six heures par jour, sans aucun problème. Le rythme de production de Comac est de l'ordre d'un avion par mois, mais ils vont très vite monter en cadence. Ils sont poussés très fort par les autorités chinoises. Le C919 devient une vraie réalité industrielle et commerciale.

Peuvent-ils espérer obtenir rapidement les certifications américaine et européenne ?

Comac espère une certification européenne rapide, mais c'est à l'Agence européenne de la sécurité aérienne [EASA] qu'il faut poser la question. Tant qu'ils n'auront pas cette certification européenne, ou américaine, ils ne pourront pas vendre leur avion dans toutes les régions du monde. Seulement dans des pays qui acceptent la certification chinoise.

Malgré une reprise forte du transport aérien et des perspectives sur plusieurs années pour l'industrie, la production ne semble toujours pas revenue à la normale. Avez-vous un horizon d'amélioration ?

Nous sommes dans une situation étonnante : la demande n'a jamais été aussi forte dans le domaine civil comme dans le militaire, et l'offre n'a jamais été aussi fragilisée. Nous sommes dans une période de tension entre des clients qui exigent plus de livraisons et une chaîne d'approvisionnement qui peine à y répondre. Mais la filière aéronautique a dû encaisser des chocs successifs : le Covid, puis l'invasion de l'Ukraine, le choc énergétique, le choc inflationniste... Des chocs qui ont secoué toute l'industrie. Cela devrait aller mieux au cours de 2025.

Au regard du contexte géopolitique tendu et des chaînes de sous-traitance perturbées, souhaitez-vous relocaliser des productions en France afin de sécuriser vos approvisionnements ?

C'est un sujet stratégique ; nous avons un « plan de résilience de la supply chain » pour l'ensemble du groupe. Il s'inspire de ce que nous avions fait pour le moteur Leap. C'est-à-dire éviter les points de défaillance unique, avec des politiques de double source d'approvisionements. De même, il faut anticiper ce qui peut arriver sur le plan géopolitique et se préparer à des chocs futurs. Parce qu'il y aura des chocs, encore. Même si cela est coûteux, il faut bâtir cette résilience.

Vous pensez à la Chine ?

Je ne cible aucun pays en particulier. C'en est un possible, on ne sait pas ce qui peut arriver. Nous avons une politique globale de de-risking pour des pays dont nous considérons qu'ils peuvent présenter un risque à terme. Nous sommes sur notre plan de route, avec des objectifs fixés à l'horizon 2025, puis d'autres encore en 2027. Mais cela ne veut pas dire que nous allons sortir d'un pays. Nous nous mettons en situation de continuer la production dans le cas où un choc viendrait à se matérialiser.

Avez-vous dérisqué vos approvisionnements ? De titane notamment, avec la Russie ?

Nous avons un schéma multisource et nous sommes en train de dérisquer petit à petit. C'est plus difficile pour certaines pièces que pour d'autres, notamment pour les pièces critiques, forgées où cela peut prendre de deux ans et demi à trois ans pour qualifier des sources alternatives d'approvisionnement. Il y a un impact important en matière de coûts. Je pense que nous serons très largement dérisqués sur le titane russe fin 2024.

Êtes-vous inquiet d'un possible retour de Donald Trump à la Maison-Blanche ?

Un retour de Trump ne va pas entraîner de changement de fond vis-à-vis de la Chine, la politique américaine à ce sujet étant un consensus entre les Républicains et les Démocrates. Ce sera plus un changement de forme et au regard de sa politique concernant l'Ukraine, c'est un point d'interrogation.

Avec l'acquisition d'Orolia, vous avez mis la main sur des technologies de brouillage et de leurrage. Avez-vous une arme antidrones pour protéger les sites des Jeux olympiques ?

Avec Orolia, Safran est capable de proposer aux avionneurs ou aux systémiers un système complet, totalement résilient face au brouillage ou au leurrage des systèmes de navigation, comme le GPS ou Galileo. Qu'est-ce qui se passe en ce moment sur le front ukrainien ou en mer Rouge ? Les drones, attaquant parfois en essaim, causent des dommages ou demandent d'engager d'importants moyens de défense. À partir de ce constat, nous avons décidé de développer en six mois un système de lutte antidrones, le SkyJacker, qui a déjà un succès fou. Il peut leurrer un essaim de drones et le rediriger vers une zone sans risques.

Ce système va-t-il sécuriser les JOP ?

Il a été retenu pour les Jeux olympiques. Et la marine est très intéressée pour lutter contre les drones houthistes en mer Rouge.

En chiffres

23,2 milliards

Le chiffre d'affaires en 2023

92 000 employés

répartis sur 276 sites dans 27 pays

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Commentaire 1
à écrit le 02/06/2024 à 16:31
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La meilleure façon de se préparer aux chocs futurs c'est de pouvoir revenir sur ses acquis le plus rapidement possible et non pas d'aller de l'avant en priant !

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