Face aux ambitions d’Airbus, les sous-traitants pris de vertige

La production XXL annoncée par l’avionneur contraint les PME et ETI de la filière à booster leurs capacités industrielles, au prix de quelques acrobaties financières.
Un banc d'essai de carburant à l'hydrogène développé par Liebherr.
Un banc d'essai de carburant à l'hydrogène développé par Liebherr. (Crédits : Liebherr)

Mecachrome fourbit ses armes. « Après une période difficile avec le Covid, le business est revenu et c'est tant mieux. À nous maintenant d'exécuter le succès commercial extraordinaire enregistré par nos industriels français », résume Christian Cornille, président exécutif de la société membre du top 5 des fabricants européens de pièces pour l'aéronautique. Alors que pendant la crise sanitaire les cadences de production ont chuté de 40 %, Airbus a battu l'an passé un record absolu de commandes et prévoit d'atteindre des niveaux de fabrication jamais vus dans l'histoire de l'aéronautique. De quoi appeler de grands bouleversements chez les PME et ETI françaises du secteur.

Avec 600 millions d'euros de chiffre d'affaires au compteur et plus de 4 000 salariés sur une vingtaine d'usines, Mecachrome devrait encore recruter 400 personnes cette année. Dans le Sud-Ouest, bastion historique de la construction d'avions, les besoins colossaux de main-d'œuvre sont estimés à 10 000 embauches par an pendant dix ans d'après le pôle de compétitivité Aerospace Valley. Et le recrutement n'est que la partie immergée de l'iceberg des défis à surmonter pour les sous-traitants. « Les conditions de production sont plus difficiles qu'avant la crise sanitaire », relève Christian Cornille. La faute successivement à la crise des matières premières puis à la pénurie de composants électroniques. « Toutes ces crises à répétition ne sont que le reflet d'une difficulté à redémarrer certains systèmes de production », ajoute-t-il.

De nouvelles usines

Le groupe lotois Figeac Aero est quant à lui remonté à près de 400 millions d'euros de chiffre d'affaires et devrait retrouver son niveau d'avant crise dès 2025. « Et encore les résultats auraient pu être meilleurs sans deux vents contraires, note Jean-Claude Maillard, son P.-D.G. L'inflation nous impacte sur les salaires, l'énergie et les matières premières et puis les montées en cadence sur certains programmes n'ont pas été aussi rapides que ce qu'avaient annoncé les donneurs d'ordre. »

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Cette surchauffe sur la fabrication d'avions neufs et l'allongement des délais de livraison créent paradoxalement un nouveau front de croissance pour les entreprises de la filière. C'est le cas par exemple dans le Tarn-et-Garonne pour la PME familiale Celso, qui mobilise 70 salariés pour confectionner les coussins positionnés dans le cockpit des avions. « Comme il existe des difficultés à livrer, le temps de recevoir leur nouvel avion, certaines compagnies aériennes modernisent l'intérieur de leurs appareils déjà en service. Emirates est actuellement en train de rénover ses A380 et cela nous fournit un surplus d'activité », remarque Agnès Timbre, sa directrice générale.

Des focus factories

Cette hypercroissance demande la construction de nouvelles usines ultra-performantes. Comme Liebherr Aerospace, ce sous-traitant de rang un qui a lancé un plan d'investissement d'une quarantaine de millions d'euros fléché vers un nouveau bâtiment industriel de 12 000 mètres carrés sur son site de Campsas (Tarn-et-Garonne). « Cet investissement répond à notre objectif de croissance à terme de 50 % de nos capacités industrielles. Il nous permet d'accompagner les ramp-up de nos clients », justifie Mathieu Tournier, directeur général de Liebherr Aerospace.

De son côté, le groupe Mecachrome croit fortement au concept de focus factories, des usines très spécialisées et automatisées. C'est le cas à Sablé-sur-Sarthe pour fabriquer des aubes de turbine pour le moteur Leap de Safran ou des pièces pour Porsche ainsi qu'à Saint-Hilaire-de-Voust, en Vendée, avec la réalisation de pièces de petites dimensions pour Airbus et Thales. « Ce type d'usine permet de concentrer en un seul endroit plusieurs procédés auparavant dispatchés entre différents sites et cela évite d'envoyer des camions sur les routes pour faire voyager les pièces », développe Christian Cornille.

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Cap sur l'intelligence artificielle

Dans l'Ariège, au-delà d'un plan de modernisation de ses usines françaises, le métallurgiste Aubert & Duval entend miser aussi sur l'intelligence artificielle pour réaliser un saut technologique. « Les contrôles en métallurgie n'ont pas bougé depuis 50 ans. Or, nous devons gérer des alliages de plus en plus complexes mais aussi les exigences des autorités pour viser le zéro défaut sur les pièces. Nous allons notamment nous appuyer sur l'intelligence artificielle pour réaliser un premier contrôle automatisé des pièces », décrit Bruno Durand.

Dans cette quête de l'industrie du futur, une poignée de grands noms de la filière aéronautique ont injecté des liquidités et mis des collaborateurs à disposition du cluster toulousain Aniti, dédié exclusivement à des travaux en lien avec l'intelligence artificielle.

Preuve supplémentaire de l'intérêt du sujet pour la supply chain aéronautique, le responsable de la stratégie intelligence artificielle du groupe Airbus, Romaric Redon, a été nommé il y a quelques mois responsable opérationnel d'Aniti pour son volet industriel. « L'intelligence artificielle transforme Airbus et sa supply chain. Cela peut apporter des choses à bord des avions, mais des gains de productivité sont aussi très attendus sur la dimension industrie du futur (un des sujets phares du laboratoire toulousain, N.D.L.R.), autour de l'amélioration de la qualité, la planification des opérations et l'apport de la robotique dans les usines », commente l'ingénieur.

Moteurs et matériaux du futur

Les sous-traitants doivent aussi prendre le virage de la décarbonation. Aubert & Duval injecte 75 millions d'euros pour équiper son usine de Pamiers d'une nouvelle presse à forger pour les moteurs d'avions du futur. « Le but recherché avec les nouvelles générations de moteurs est de moins consommer. L'une des manières d'y parvenir, c'est de chauffer davantage les matériaux, autrement dit d'atteindre une combustion plus élevée. La presse sera aussi en mesure d'accueillir des matériaux résistants aux hautes températures », avance Bruno Durand, P.-D.G. du groupe.

L'avion de demain sera aussi davantage équipé de systèmes électriques et de charges thermiques où l'expertise de Liebherr Aerospace est très attendue. « Jusqu'ici, nous prenions l'énergie pneumatique nécessaire pour alimenter nos systèmes de conditionnement d'air et d'antigivrage directement sur les moteurs de l'avion (alimentés au kérosène, N.D.L.R.). Pour apporter notre contribution à la décarbonation, nous avons développé un système de générateur électrique, basé sur une pile à combustible à hydrogène, qui rend autonome nos systèmes d'air mais aussi l'ensemble des systèmes électriques de l'avion », présente Nathalie Duquesne, elle aussi directrice générale de Liebherr Aerospace.

De fortes tensions sur la trésorerie

En plus des moteurs et systèmes électriques, les PME se penchent aussi sur la question des matériaux du futur. « L'avion vert, ce n'est pas seulement un avion qui vole avec de l'huile de friture », tient à souligner Stéphane Trento, le P.-D.G. de ST Composites.

Le sous-traitant, qui emploie une quarantaine de collaborateurs, est spécialisé dans la transformation des thermodurcissables. « Nous menons des travaux de R & D sur des composites de nouvelle génération, à base de fibres végétales et naturelles, notamment de la fibre de lin. Cela pourrait à terme être utilisé pour l'aménagement cabine et du cockpit de l'avion », fait savoir le dirigeant, qui croit beaucoup en cette alternative afin d'offrir un avion plus léger et donc moins énergivore.

Autant d'investissements qui mettent en surchauffe les finances des entreprises. Selon des observateurs de la filière, environ deux entreprises sur trois de la supply chain rencontrent de fortes tensions sur leur trésorerie, malgré un carnet de commandes plein. « La gestion du cash est complexe, constate Christian Cornille. Il suffit de quelques petites erreurs de trésorerie pour se retrouver très vite en mauvaise posture. »

En alerte sur le sujet, le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS, syndicat professionnel qui fédère la filière) réfléchit à un véhicule financier avec Bpifrance pour répondre à ce besoin en fonds de roulement (BFR) de plus en plus pressant.

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Commentaires 2
à écrit le 11/06/2024 à 1:18
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A se dire la vérité, il n' y a pas de problème de financement, il y a un problème de concentration de la marge dans l acteur numéro qui ne distribue pas celle ci mais la dépense pour éponger les yeux bandés des autres filiales et, une approche capita...

à écrit le 10/06/2024 à 12:59
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et comme toujours en france pas d'accompagnement du donneur d'ordre a l'inverse de l'allemagne

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