Face à l'inflation et aux coûts de la décarbonation, Daher veut renégocier les prix avec Airbus et les autres donneurs d'ordre

Daher s'est donné comme objectif de regagner en rentabilité. Mais entre la montée en cadence de la production, les investissements pour la décarbonation, la perturbation de la supply chain et l'inflation, le groupe industriel fait face à un effet ciseau. Et pour passer ce cap, il va s'atteler à renégocier les prix avec les grands donneurs d'ordre de la filière aéronautique, à commencer forcément par Airbus.
Léo Barnier
Daher fournit des aérostructures au groupe Airbus.

La remontée en cadence de la production et les perspectives à long terme offertes par les grands donneurs d'ordre aéronautiques satisfont toute la filière, à commencer par Daher. Actuellement en phase de développement, le groupe aéronautique se félicite des niveaux de commandes inédits actuels, que ce soit pour ses propres avions légers que pour les avions commerciaux auxquels il participe. Mais, comme l'ensemble de la filière aéronautique, il est confronté à la hausse des coûts alors que les prix négociés avec les grands donneurs d'ordre n'ont pour la plupart pas bougé depuis la crise. De quoi poser la question d'une renégociation commerciale pour préserver l'intégrité financière de Daher comme de l'ensemble de la filière.

« Il faut renégocier les prix. C'est vrai pour Daher comme pour un certain nombre d'acteurs de la chaîne d'approvisionnement », a déclaré Patrick Daher, président du conseil d'administration du groupe Daher et commissaire général du Salon du Bourget, à La Tribune ce mercredi, en marge de la présentation des résultats annuels. Cet aspect, rapidement abordé pendant la conférence, s'avère pourtant au cœur de l'ambition de Daher d'améliorer sa performance économique dans le cadre de son plan stratégique Take Off 2027 lancé l'an dernier.

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Discussions avec Airbus

Didier Kayat, directeur général de Daher, a ainsi déclaré durant la conférence : « Il y a l'enjeu de revenir à notre performance opérationnelle d'avant la crise, c'est une étape très importante. Mais cela passe aussi nécessairement par des renégociations commerciales. Nous avons subi chez Daher entre 15 et 20% d'augmentation des prix de nos fournisseurs. On ne peut pas les absorber sans avoir aussi des discussions avec nos clients sur les prix de vente. »

« L'amélioration de notre rentabilité est un impératif, au cœur de notre plan stratégique, mais le contexte d'inflation complique considérablement la donne. L'ensemble de la filière doit se remettre en question sur la problématique des prix, c'est un sujet crucial qui conditionne le futur », a également déclaré Didier Kayat dans un communiqué.

Si Airbus n'est pas cité nommément, l'avionneur sera forcément au cœur de la discussion en tant que chef de file et principal débouché de l'ensemble de la filière aéronautique européenne. Les discussions ne se limitent pas à lui pour autant, les équipementiers aéronautiques français travaillant également avec Boeing et bien d'autres. Didier Kayat a d'ailleurs rappelé que pour Daher, le constructeur américain Gulfstream est un plus gros client que son concurrent français Dassault Aviation.

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Effet ciseau

Ce besoin de renégocier les prix s'explique, selon les dirigeants de Daher, par la conjugaison de plusieurs facteurs. Comme l'ensemble de l'industrie, la filière aéronautique est confrontée à l'inflation généralisée qui touche l'Europe depuis deux ans avec une hausse des prix de l'énergie ou des matières premières, ainsi que par les importantes perturbations de la chaîne d'approvisionnement avec, entre autres, le besoin de recruter et de former massivement. Et ce au moment où elle doit non seulement assurer une montée en cadence inédite, mais aussi avancer sur la décarbonation. Autant d'éléments qui nécessitent des montants d'investissements sans précédents avec, dès à présent, des efforts de recherche et développement très conséquents. Patrick Daher parle ainsi d'un « effet ciseau ».

« L'Etat met 300 millions d'euros par an dans le Corac (Conseil pour la recherche aéronautique civile), c'est bien. Mais il faut que les acteurs soient en mesure de financer eux-mêmes les innovations de rupture avec les carburants d'aviation durables, l'hydrogène, l'hybridation, les systèmes de commandes... avec les standards de ceux qui auront été les premiers à pouvoir investir massivement sur ces solutions », appuie Jérôme Leparoux, secrétaire général de Daher, qui estime que cela passe forcément par le dégagement de marges suffisantes.

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Des prix inchangés

Or, selon Daher, les structures de prix négociées avant la crise n'ont pas évolué et apparaissent aujourd'hui comme peu adaptées à la situation. « Nous sommes sur des programmes de longue durée avec des prix fixes qui doivent être compensés par de l'amélioration de productivité. Mais si cette amélioration marchait à peu près bien lorsque nous étions entre 1 et 2 % d'inflation, elle est très difficile lorsque nous sommes à 5 % d'inflation comme on l'a connu », explique Patrick Daher. Cela concerne principalement les programmes déjà bien installés et stabilisés, certains programmes plus récents ayant des critères d'ajustements notamment pour amortir les innovations.

Loin de blâmer les grands donneurs d'ordre, le dirigeant estime que ces problèmes d'inflation n'ont pas été pris en compte par l'ensemble des acteurs industriels : « Nous avons perdu dans l'ensemble du monde industriel le savoir-faire, l'expertise et les réflexes des périodes d'inflation fortes que nous avons connu dans les années 1990. Il y a actuellement un déphasage entre l'inflation que nous subissons et celle que nous pouvons répercuter. » Il avertit sur le fait que les plus petits acteurs de la filière ne peuvent pas vivre sans répercuter une partie de l'inflation, et ont été donc les premiers à augmenter leurs prix.

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Intérêt commun

La discussion ne sera pas forcément aisée comme le reconnaît le secrétaire général Jérôme Leparoux : « Nous sommes dans une phase de reprise d'appui, mais ce qui génère des discussions commerciales un peu difficiles parce qu'elles sont inhabituelles dans une filière dominée par un duopole mondial. »

Il estime pourtant que c'est l'intérêt de tout le monde, y compris des grands donneurs d'ordre, que les risques et la valeur ajoutée soient mieux partagés : « Lorsque nous nous engageons sur un programme, c'est sur la durée, avec du long terme, de longs cycles. Il faut des partenaires fiables et cela suppose que tout le monde puisse gagner sa vie correctement, notamment dans les phases de sortie de crise où l'on a perdu un certain équilibre ». Il y voit l'intérêt global de l'avionneur, de la filière mais aussi une dimension de préservation de la souveraineté avec la préservation de la base industrielle nationale et européenne.

Daher ne communique pas sur ses marges, même s'il assure être rentable. Pour autant, un écart semble se creuser entre les grands donneurs d'ordre sont repartis vers des niveaux de marge à deux chiffres, et la partie amont de la filière.

Cela n'empêche pas en tout cas Daher de continuer à se développer. Le groupe, qui avait dépassé ses niveaux d'avant la crise dès l'an dernier, signe un nouveau chiffre d'affaires record avec 1,65 milliard d'euros. Cela notamment grâce à ses acquisitions, dont le groupe de services industriels AAA mi-2023. Les avions légers TBM et Kodiac sont également dans des niveaux inédits, avec une centaine de commandes et 74 livraisons en 2023, ainsi qu'un carnet de commandes déjà sécurisé pour 2024. De quoi se projeter vers un nouveau record avec un objectif de 1,955 milliard d'euros de chiffres d'affaires cette année.

Léo Barnier

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