L'économie de guerre, concept cher à Emmanuel Macron lancé à la plus grande surprise de tous au salon Eurosatory en juin 2022, fait plancher tout l'écosystème de défense. Résultat, le ministre des Armées, la Direction générale des armées (DGA), les militaires, les industriels et les parlementaires font feu de tout bois depuis près d'un an pour mettre en musique cette fameuse économie de guerre. Dernier en date, le député de Charente-Maritime Christophe Plassard (Horizons et apparentés), qui en tant que rapporteur spécial de la commission des Finances de l'Assemblée nationale sur le budget de la défense a décidé de se saisir dans le cadre d'une mission « flash » de ses prérogatives pour réfléchir « aux conditions de mise en œuvre de l'économie de guerre et identifier les obstacles à l'augmentation des capacités de production, à la réduction des temps de production et à la résilience de l'outil industriel ».
Un rapport qui tombe bien. Emmanuel Macron va réunir ce mardi à l'Élysée les industriels de la défense pour faire le point sur le passage à une « économie de guerre », qu'il appelle de ses vœux, et pour les inciter à une « prise de risque accrue » notamment sur les exportations d'armements. Compte tenu de l'augmentation du budget de la défense prévue dans la future loi de programmation militaire (LPM) et du contexte géopolitique, Christophe Plasard demande d'ailleurs aux industriels, qui en ont les moyens, « d'investir sans attendre, pour entraîner avec eux l'ensemble du tissu industriel ». Le chef de l'État doit recevoir en début d'après-midi neuf grands patrons, dont Nicolas Chamussy (Nexter), Eric Trappier (Dassault Aviation), Pierre-Eric Pommellet (Naval Group), Patrice Caine (Thales) ou encore Guillaume Faury (Airbus).
Comment financer de l'économie de guerre
Sous réserve de sa validation mercredi par la commission des finances, le rapport de Christophe Plassard s'intéresse notamment au financement de l'économie de guerre. Le député de Charente-Maritime s'est intéressé aux moyens de mobiliser une partie de l'épargne des Français vers l'industrie de défense. A cet égard, il recommande de la mobiliser au bénéfice de l'industrie de défense,« via la création d'un livret ou d'un plan d'épargne réglementée ou à travers un emprunt d'État ». Il préconise par ailleurs de prévoir « des réductions d'impôt » pour inciter les entreprises dans la défense à se doter de stocks de matières premières et de composants critiques et pour inciter les particuliers à investir dans les petites entreprises du secteur de la défense.
En outre, Christophe Plassard invite le gouvernement à créer un pool bancaire regroupant les grandes banques françaises. Ce pool, sous le contrôle de l'État, serait destiné au financement des petites entreprises de la base industrielle et technologique de défense (BITD), et dont une partie des prêts seraient garantis par l'État. Aujourd'hui, les banques préfèrent « limiter ou exclure les financements à destination du secteur de la défense, considéré comme non éthique ». Le rapporteur rappelle par ailleurs que ces freins au financement de l'industrie de défense « n'existent qu'en Europe et appelle à moins de naïveté face à nos compétiteurs ». Face à cette frilosité des banques, il recommande de renforcer l'investissement en capital dans le secteur de la défense, notamment « par la création de fonds spécialisés dans la défense remédiant aux défaillances des marchés et par la création d'un label incitant à investir dans les PME stratégiques ».
Éviter les exclusions de la taxonomie
Ainsi, ces recommandations de Christophe Plassard, si elles étaient reprises par le gouvernement Borne, devraient forcer les banques et les institutions financières à financer l'industrie de défense, qui sont de plus en plus réticentes à la financer « par peur des sanctions extraterritoriales américaines » et « par peur des ONG et de voir leur réputation entachée », rappelle-t-il. Cette frilosité des banques, qui sont dans le déni et ont « tendance à sur-interpréter les règles de conformité », « demeure un obstacle majeur à l'innovation et à la transformation des PME en ETI » du secteur, estime-t-il.
Enfin, le député de Charente-Maritime souhaite que le secteur de la défense soit aussi soutenu au sein des institutions européennes. C'est ce que fait le commissaire européen chargé du marché intérieur Thierry Breton. Le rapporteur veut éviter « toute exclusion de la taxonomie sociale et de l'écolabel » et, au contraire, « prendre en compte l'intérêt de la défense dans les projets de réglementation, autoriser la Banque européenne d'investissement à financer la défense ». Ce dernier point donnerait un signal très fort en faveur de la BITD, et au-delà au maintien de la souveraineté de la France et de l'Europe. C'est aux ministres des Finances d'ouvrir les vannes...
Quatre autres chantiers
Au-delà du financement de l'économie de guerre et de la BITD, Christophe Plassard a identifié quatre chantiers. Il souhaite donner de la visibilité aux industriels, surtout aux petites entreprises (PME, startup), ce qui « passe, nécessairement, par de la commande publique », souligne-t-il. Deuxième chantier, sécuriser les chaînes d'approvisionnement. « Près de deux cents goulets d'étranglement ont déjà été identifiés, dont une trentaine sont en voie de résolution », note-t-il. L'écosystème travaille sur une reconstitution de stocks stratégiques de matières premières et de composants sensibles. « Une partie de ces stocks pourrait être mutualisée avec l'industrie civile, voire au niveau européen. Le renforcement de notre autonomie stratégique passe par la relocalisation de productions critiques, dont il faudra assumer les coûts, en veillant à ce qu'ils restent soutenables », analyse le rapport.
Le troisième chantier vise à simplifier les équipements, en allégeant les cahiers des charges dès l'expression des besoins. L'objectif est d'éviter les spécifications qui ont un impact excessif sur le coût d'acquisition et de soutien ainsi que sur les délais de conception et de production. Une mesure que le ministre des Armées Sébastien Lecornu veut mettre en place : simplification des normes réglementaires et des procédures administratives. Ce qui permettrait de réduire les délais de production et de qualification des matériels. Enfin, dernier chantier, la mobilisation des ressources humaines. Le manque de main d'œuvre qualifiée empêche les PME notamment d'accélérer leurs productions. Il recommande la création d'une réserve industrielle et le développement de solutions intérimaires. La DGA travaille sur la création d'une réserve industrielle de 2.000 personnes, formée par des jeunes retraités.
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