Boeing 737 MAX : anatomie d'une (re) chute

L'histoire ressemble à un éternel recommencement pour le 737 MAX, qui n'en finit pas de connaître des difficultés avec la découverte de nouveaux défauts de fabrication. S'il ne s'agit de problèmes graves comme ceux qui ont conduit aux drames de 2018 et 2019, ils viennent s'ajouter à la longue liste d'un programme né dans l'urgence il y a maintenant une douzaine d'années pour répondre à la concurrence d'Airbus. Depuis, le 737 MAX n'aura fait que courir après l'A320 NEO, trébuchant plus d'une fois, parfois gravement, mais se relevant toujours.
Léo Barnier
La production du 737 MAX est à nouveau perturbée par des problèmes de qualité.
La production du 737 MAX est à nouveau perturbée par des problèmes de qualité. (Crédits : Lindsey Wasson)

Douze après son lancement, la vie du programme Boeing 737 MAX est déjà riche d'une longue liste d'événements. Sans doute trop longue tant celle-ci est composée de déboires en tous genres, allant de l'erreur stratégique à la catastrophe aérienne en passant par des immobilisations au sol, des arrêts de production, des problèmes de qualité industrielle, des annulations de commandes... And still countingUn nouveau problème vient ainsi tout juste d'être révélé par l'avionneur américain. Il s'agit d'une malfaçon de la part d'un de ses principaux sous-traitants, Spirit Aerosystems, sur la cloison de pressurisation de certains avions. Si Boeing assure que cela « ne pose pas de problème de sécurité », ce défaut va encore une fois perturber les livraisons des appareils aux compagnies aériennes et venir s'ajouter à la liste noire de l'appareil.

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Le 737 MAX, c'est avant tout l'histoire d'un programme qui aura passé sa vie à courir pour rattraper son retard. Elle débute en décembre 2010... chez Airbus, lorsque l'avionneur européen lance la famille A320 NEO, version remotorisée de son best-seller d'alors l'A320, l'avion qui lui a permis de véritablement rivaliser pour la première fois avec Boeing. Le géant américain, qui a déjà fait évoluer de nombreuses fois le 737 depuis son lancement dans les années 1960, préfère baser sa stratégie sur la conception d'un nouvel avion.

Sous la pression d'Airbus

Moins coûteux, plus simple à développer, plus rapidement disponible, l'A320 NEO connaît un départ fulgurant et enchaîne les succès avec plus de 1.200 commandes en quelques mois au grand dam de Boeing. Poussé dans ses retranchements, le constructeur américain se doit de réagir et dégaine le 737 MAX, version remotorisée du vénérable 737, avec 10 mois de retard sur Airbus. Et il n'hésite pas à annoncer une consommation de carburant inférieure de 4 % à celle de son concurrent, ce qui fait bondir à Toulouse où l'on crie à la mauvaise foi. D'autant que l'architecture vieillissante du 737 avec une garde au sol réduite oblige à faire des compromis, notamment sur la taille et le positionnement des moteurs. Ce qui sera lourd de conséquences. L'avion est motorisé par le LEAP-1B de CFM International (filiale de Safran et GE Aerospace), variante légèrement réduite et donc moins efficace du LEAP-1A qui équipe l'A320 NEO.

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Succès commercial

En dépit de ce retard à l'allumage, le succès commercial est là. Dès le lancement, fin août 2011, Boeing annonce avoir déjà enregistré près de 500 commandes auprès de cinq compagnies aériennes. Un an plus tard, il franchit la barre des 1.000 puis des 3.000 en 2015. Il fait quasiment jeu égal avec l'A320 NEO, mais n'arrive pas à combler l'écart originel pour autant. D'autant que l'histoire se répète : l'A321 NEO, version allongée de l'appareil d'Airbus, cartonne sur le marché du 200-250 sièges. Malgré une première version allongée, le 737 MAX 9, Boeing n'arrive pas à endiguer l'hémorragie. Il finit par lancer le 737 MAX 10 au salon du Bourget 2017, repoussant sine die ses projets de nouvel avion « Middle of the Market » (MOM) pour succéder au 757. Alors que l'A321 NEO est devenu le produit phare d'Airbus, le 737 MAX 10 ne devrait pas être certifié avant un an.

Près de 50 ans après le vol du premier 737, le 737 MAX fait son vol inaugural en janvier 2016, quelques jours après la livraison du premier A320 NEO à Lufthansa. Là aussi, Boeing n'a pas réussi à rattraper son retard, bien au contraire. Son avion n'entre en service qu'en mai 2017 au sein du groupe indonésien Lion Air.

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Deux drames à cinq mois d'intervalle

Si la première année de service se déroule relativement correctement, le drame survient le 29 octobre 2018, avec le crash du vol 610 de Lion Air peu après son décollage de Djakarta, faisant 189 victimes. Dans l'attente du rapport d'enquête, le 737 MAX continue de voler à travers le monde et des questions se posent sur les conditions de sécurité au sein de la compagnie indonésienne, le pays étant sur la liste noire de l'Union européenne jusqu'en juin 2016. Mais la défaillance d'une sonde d'incidence est aussi étudiée, notamment en raison de son impact sur un système dont le nom est jusqu'ici inconnu des pilotes : le système d'augmentation des caractéristiques de manœuvre ou MCAS.

Celui-ci a été ajouté au 737 MAX pour prévenir les risques de décrochage à basse vitesse, accrus dans certaines configurations en raison de l'augmentation de la taille des moteurs et de leur position sur l'avion. Problème : pour éviter d'alourdir les procédures de certification et de formation, Boeing est resté très discret auprès des autorités de certification américaines, la FAA, et n'a jamais averti les pilotes de l'existence de ce nouveau système pourtant capable de faire piquer du nez l'avion automatiquement dans des moments délicats du vol.

Suite au premier crash, des compagnies ont commencé à envoyer des mémos à leurs pilotes, une procédure d'urgence est établie par Boeing, mais ce ne sera pas suffisant pour éviter le deuxième accident mortel cinq mois plus tard. Le 10 mars 2019, le vol 302 d'Ethiopian Airlines s'écrase à son tour, faisant 157 victimes, dans des conditions relativement similaires avec celles du vol Lion Air. Malgré l'application de la procédure, les pilotes n'ont pas réussi à contrer les actions répétées du MCAS. Dès le lendemain, plusieurs pays, Chine en tête, suspendent les vols de 737 MAX. Le 12 mars, l'Europe suit et les Etats-Unis finissent par céder à leur tour le 13 mars. En moins d'une semaine, quelque 400 avions en service sont cloués au sol. Et le programme compte alors plus de 4.000 commandes.

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La traversée du désert

Dans la foulée, Boeing suspend ses livraisons mais poursuit sa production le temps d'identifier le problème, la solution et la manière de le régler. La cadence est alors de 52 exemplaires assemblés par mois, quasiment deux par jour, et doit passer à 57 quelques mois plus tard. Aujourd'hui, Boeing n'est pas censé retrouver un tel rythme de production avant 2026. Cette décision lui permet de maintenir sa chaîne d'approvisionnement, mais elle coûte cher et les avions en attente de livraison vont bientôt s'accumuler sur les parkings.

Boeing se met rapidement au travail sur une nouvelle version de son MCAS, mais l'enquête révèle peu à peu les dérives du programme. Outre le fait d'avoir minimisé la mise en place de ce système, il est bientôt mis en évidence que les pilotes techniques de Boeing avaient repéré des possibles dysfonctionnements sans les communiquer à la FAA. Les relations entre le régulateur et le constructeur sont aussi pointées du doigt, notamment en raison de l'importance des délégations d'autorité accordées par la FAA à Boeing dans le processus de certification.

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Malgré la mise au point d'un MCAS modifié, l'interdiction de vol perdure et Boeing se voit contraint de réduire sa production de 20 % en avril 2019. Il finit par la suspendre en janvier 2020. A ce moment, près de 800 avions sont cloués au sol, dont la moitié n'a jamais volé. Entre les coûts de stockage, la non-rentrée de cash avec la suspension des livraisons, les compensations à verser aux compagnies aériennes et les annulations de commandes, la facture ne cesse de grimper. Début 2020, elle est déjà évaluée à plus de 18 milliards de dollars. La crise a aussi coûté sa place au directeur général de Boeing, Dennis Muilenburg, et l'abandon du programme est même évoqué. Par-dessus tout cela survient la pandémie du Covid-19, qui affecte très fortement l'industrie aéronautique dans son ensemble à partir de mars 2020.

La fin du tunnel ?

A force de persévérance, Boeing va tout de même réussir à remettre le programme sur pied et à faire adopter sa solution de correction pour le MCAS. La production redémarre fin mai 2020 à un « rythme faible » selon les mots du constructeur. Et les vols et les livraisons reprennent en novembre 2020, avant un retour en service en décembre après vingt mois d'interdiction de vol.

Boeing n'en sort pas indemne. Sa chaîne d'approvisionnement a énormément souffert, son image de marque est ternie comme jamais auparavant et la facture dépasse les 20 milliards de dollars, dont 8,6 milliards d'indemnisation aux compagnies aériennes, sans compter une amende de 2,5 milliards de dollars pour éviter une condamnation pour « comportement frauduleux ». Il y a aussi toutes les conséquences induites comme l'annulation de plus de 1.000 commandes durant l'immobilisation et des licenciements à la pelle avec des pertes de compétences aujourd'hui préjudiciables. La FAA renforce aussi largement ses règles de certification, ce qui n'est pas sans poser de soucis à Boeing pour faire homologuer ses 737 MAX 7 et MAX 10.

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A partir de fin 2020, le programme redresse doucement la tête. Les commandes reviennent peu à peu, grâce à d'importants rabais commerciaux dans un premier temps, puis à l'explosion de la demande pour les avions moyen-courriers. Boeing vend près de 1.500 exemplaires entre 2021 et 2022, mais enregistre encore 500 annulations.

Malgré de nombreux problèmes d'approvisionnement et de logistique, en partie dus à la crise sanitaire, Boeing poursuit également une lente montée en cadence, se gardant bien de se précipiter pour éviter toute déstabilisation. Un rythme de 31 avions produits par mois est atteint en 2022. En parallèle, le constructeur remet en état et livre les appareils entassés sur ses parkings.

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Les problèmes reviennent

Malgré cette embellie, le programme continue d'accumuler les déboires. Dès avril 2021, l'avionneur américain demande à une vingtaine de compagnies de garder leurs appareils au sol le temps de faire la lumière sur un « problème électrique potentiel ». Et en avril 2023, Boeing annonce de nouveaux retards de livraisons en raison d'un défaut de fabrication sur deux points pour la fixation de la dérive à l'arrière du fuselage. Une malfaçon qui provenait déjà de chez Spirit Aerosystems.

Pendant l'été 2023, Boeing se rapproche enfin de son objectif de cadence de production de 38 appareils par mois et confirme aussi son objectif d'atteindre la cadence 50 à l'horizon 2025-2026. Mais avec le nouveau problème survenu sur la cloison de pressurisation, Boeing va probablement devoir remettre en cause ses objectifs de livraisons pour l'année, qui se situaient entre 400 à 450 exemplaires de 737 MAX.

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Une mauvaise nouvelle de plus pour les compagnies clientes, qui se sont pourtant encore montrées enthousiastes cette année pour commander le 737 MAX. Boeing a engrangé 378 commandes fermes depuis le début de l'année. Surtout, le constructeur américain doit encore livrer plus de 4.300 exemplaires du 737 MAX. Cela paraît certes faible par rapport aux 6.700 appareils de la famille A320 NEO dans le carnet de commandes d'Airbus, mais cela représente tout de même un chiffre exceptionnel avec plus de 9 ans de production selon les cadences actuelles.

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Léo Barnier

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Commentaires 6
à écrit le 26/08/2023 à 17:44
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Ou une énième histoire du génie américain. Contempler l'Amérique régner.

à écrit le 26/08/2023 à 10:48
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‘’ Le concorde a été possible grace au projet US de bombardier stratégique valkyrie. Qui vola... 5 ans avant le concorde... à mach 3 ! ’’ Pas très longtemps, et qui fût l’immense succès que l’on connaît….Vous auriez également pu citer le B58. ‘’conc...

le 27/08/2023 à 11:09
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Oui, vous avez raison, Airbus vend des Boeing rebadgés, ils changent juste l'étiquette. On se demande d'ailleurs pourquoi il y a encore des acheteurs.... MdR.

à écrit le 25/08/2023 à 21:52
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Ne vous réjouissez pas trop les chinois des anglo américains. Malgré ses déboires il s'est très bien vendu, et c'est aussi cette réussite qui paradoxalement les met temporairement dans l'embarras. Airbus n'exsiterait pas sans les anglo américains....

le 25/08/2023 à 23:20
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On voit bien depuis quelques années à quel point l’enfant anglais est surdoué.

le 26/08/2023 à 9:04
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L'enfant anglais a inventé Arm, la nouvelle architecture des ordinateurs portables, smartphones etc... L'industrie de notre époque... vous avez inventé Bull... Boule en anglais... le minotaure qui s'est perdu dans son labyrinthe... Votre plus grande...

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