Airbus et Thales étudient très sérieusement un rapprochement de leurs activités spatiales

Airbus et Thales ont lancé des discussions pour rapprocher leurs activités spatiales. Les exigences de l'autorité de la concurrence européenne et l'Italie seront les deux clés de la réussite de cette opération.
Michel Cabirol
La maîtrise d’œuvre industrielle des satellites Syracuse IV est assurée par le groupement d’entreprises Thales Alenia Space et Airbus Defence & Space.
La maîtrise d’œuvre industrielle des satellites Syracuse IV est assurée par le groupement d’entreprises Thales Alenia Space et Airbus Defence & Space. (Crédits : ministère des Armées)

Selon plusieurs sources concordantes, Airbus et Thales étudient à nouveau et très sérieusement un rapprochement de leurs activités spatiales réunies au sein d'Airbus Defence & Space (Airbus DS) et Thales Alenia Space (TAS). Les deux groupes ont lancé des discussions à bas bruit qui sont exploratoires, expliquent plusieurs sources. Dans le cadre de ces discussions, plusieurs scénarios sont examinés par les deux groupes. A ce stade, tous les acteurs restent extrêmement prudents sur la réussite de ces discussions au regard des échecs des différents projets de rapprochement des activités spatiales de ces deux groupes, qui ont jalonné ces quinze dernières années. Surtout, elle dépendront des conditions qu'exigera la Commission européenne pour donner le feu vert à cette transaction. C'est d'ailleurs le point clé de toute l'opération. Contactés par La Tribune, Airbus et Thales n'ont pas souhaité commenter.

Tout comme chez Thales, le président exécutif d'Airbus Guillaume Faury a bien conscience de cette colossale difficulté. Dans une interview accordée au Monde en mars dernier, il expliquait que « les règles de la concurrence en Europe, c'est-à-dire l'antitrust, rendent difficiles la consolidation entre grands acteurs d'un même secteur. Ce n'est pas impossible, mais les obstacles sont considérables ». Mais, en même temps, le secteur spatial (satellites) est dans un inquiétant trou d'air « Nous sommes dans une période de grands bouleversements, avec beaucoup de difficultés, beaucoup d'acteurs qui perdent de l'argent en ce moment. Il faut vraiment jouer collectif et je ne suis pas pessimiste sur le fait que nous allons y arriver », avait-il d'ailleurs souligné lors du Paris Air Forum organisé mi-juin par La Tribune. Les discussions avec Thales avaient déjà été lancées...

Quelles modalités ?

Poussés par l'État, ils avaient déjà étudié en 2019 une telle opération, qui avait été principalement abandonnée pour des raisons d'antitrust au niveau européen. Véritable serpent de mer depuis des décennies, ce projet a d'ailleurs échoué à plusieurs reprises dans les années 2000, puis en 2016. Cette nouvelle tentative sera-t-elle cette fois-ci couronnée de succès ? Lancées avant la dissolution, ces discussions seront-elles agréées par le nouveau gouvernement ? Le gouvernement Attal a été informé de l'ouverture des discussions. Le ministère des Armées est favorable à une telle opération en raison de sa grande lassitude à observer les deux industriels s'entre-déchirer sur les campagnes export et à réclamer chacun de leur côté le soutien de l'État. De telles guerres laissent également des traces dans l'appareil d'État.

Sous quelle forme les deux groupes pourraient se rapprocher ? C'est encore beaucoup trop tôt pour évoquer ce que pourrait être cette opération entre les deux frères siamois ennemis du spatial : soit une fusion, soit une société commune, soit un regroupement par activité (les télécoms à l'un, l'observation à l'autre), soit une coopération plus étroite dans les programmes et à l'export. Dans un contexte opérationnel et commercial difficile, notamment dans les télécoms, Airbus évalue « toutes les options stratégiques pour notre activité spatiale, telles qu'une restructuration potentielle, des modèles de coopération, une révision du portefeuille et des options potentielles de fusion et d'acquisition », a expliqué le 24 juin Guillaume Faury lors d'un point avec les analystes à la suite d'un avertissement sur les résultats (profit warning).

Dans tous les schémas étudiés, Airbus et Thales devront également prendre en compte les enjeux spatiaux italiens, Leonardo détenant 33 % de TAS. D'autant que TAS Italie est actuellement sur une très belle dynamique aussi bien dans les constellations (avec la constellation radar et optique Iride notamment) et dans l'exploration spatiale. Leonardo, qui souhaite rééquilibrer l'Alliance spatiale avec Thales, pourrait être intéressé par un scénario à la MBDA, où il détient 25% du missilier européen aux côtés d'Airbus (37,5%) et de BAE Systems (37,5%).

Satellitiers : un trou d'air inquiétant

Les difficultés des deux constructeurs de satellites se sont traduites par des pertes financières. Au titre des résultats de 2023, Airbus a dû prendre une première provision de 600 millions d'euros au titre de ses activités spatiales, qui représentent 2 milliards d'euros de chiffre d'affaires chez Airbus Space. Elle est liée à la révision des estimations au terme de certains programmes spatiaux. Fin juin, Airbus a également décidé d'enregistrer dans les comptes du premier semestre 2024 des provisions d'environ 900 millions d'euros en raison d'une mauvaise gestion de certains programmes spatiaux de télécommunications, de navigation et d'observation. Soit 1,5 milliard d'euros sur des contrats signés entre 2018 et 2021. « Nous ne sommes pas dans un scénario A400M », l'avion de transport militaire, qui a accumulé des pertes colossales depuis son lancement, a toutefois estimé Guillaume Faury.

En 2023, Thales Alenia Space a souffert. La filiale a plongé dans le rouge l'an dernier et a enregistré une perte nette de 45 millions d'euros en 2023 (contre +11 millions, en 2022). Face aux difficultés de son activité spatiale dans les activités de télécoms commerciales, Thales a eu la main lourde en lançant un plan drastique pour retrouver une profitabilité dans les standards de cette activité. « L'ambition est de retrouver à moyen terme un niveau de profitabilité de 7 % tout à fait correct dans le domaine du spatial », avait annoncé en mars le PDG de Thales, Patrice Caine lors de la présentation des résultats de son groupe. En 2023, le résultat opérationnel (EBIT) de Thales Alenia Space était « à peine légèrement positif ».

Michel Cabirol

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Commentaires 5
à écrit le 16/07/2024 à 20:50
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Faire intervenir les “autorités de la concurrence “ sur un sujet pareil relève de la grosse farce lorsqu on connaît le business plan du spatial qui ne peut pas vivre sans argent public, ce qui est vrai même aux US et même pour Space X qui a toute sa ...

à écrit le 16/07/2024 à 6:51
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La moitié d un appareil est réalisé en zone dollars et l'essentiel du capital est flottant de préférence dans les eaux territoriales us. La boîte n'est plus France depuis longtemps... On a vendu notre performance non pas au plus offrant, mais au plus...

à écrit le 15/07/2024 à 14:32
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La France devrait peut-être envisager de mettre fin à cette dépendance très française à l'égard de la propriété des entreprises par l'État, de l'intervention de l'État et de diverses autres caractéristiques du dirigisme. La France se lamente toujours...

à écrit le 15/07/2024 à 11:54
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Ben voyons, pour que les USA aient encore plus accès aux technologies FR

le 15/07/2024 à 14:36
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Qu'est-ce que c'est ? De quelles technologies satellitaires françaises les États-Unis sont-ils dépourvus au point d'envier la France ? Il me semble que c'est plutôt l'inverse qui est vrai, étant donné l'écart considérable entre les fonds alloués à la...

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