Union des marchés de capitaux : comment le sujet est devenu prioritaire en quelques mois

SPECIAL EUROPEENNES - 6/15. Malgré un taux d’épargne parmi les plus élevés du monde, l’Europe ne parvient pas à mobiliser suffisamment cette manne pour financer les besoins immenses de la transition énergétique et des entreprises. De quoi relancer cette vieille idée d’un marché européen des capitaux dans un nouveau contexte de souveraineté et de démondialisation.
Avec un taux d'épargne de 13 %, les européens ont accumulé 35.000 milliards d'euros d'épargne financière.
Avec un taux d'épargne de 13 %, les européens ont accumulé 35.000 milliards d'euros d'épargne financière. (Crédits : DR)

L'Union des marchés des capitaux est un (vieux) sujet qui est revenu au top des priorités des chefs d'Etat européens. C'est du moins le message du dernier sommet sur la compétitivité en avril dernier. Sur un terrain plus technique, les travaux et les recommandations se multiplient depuis le début de l'année. Le rapport d'Enrico Letta sur l'épargne et les investissements, présenté au sommet, a été chaudement accueilli à Bruxelles.

En France, la mission de Christian Noyer, lancée à l'initiative du ministre de l'économie, Bruno Le Maire, partage d'ailleurs de nombreuses pistes de réforme avancées par l'ancien premier ministre italien.

En mai, l'Esma, qui regroupe tous les régulateurs européens des marchés, a publié de son côté une vingtaine de recommandations pour relancer le projet d'un marché des capitaux unifié. « C'est la première fois que le collectif des régulateurs européens prend une position forte dans ce domaine », se félicite Marie-Anne Barbat-Layani, présidente de l'Autorité des marchés financiers (AMF). Même si le sujet n'est visiblement pas au top des priorités des têtes de liste aux élections européennes, et du débat politique en général !

Mobiliser l'épargne face à des immenses besoins gigantesques

L'Europe a réussi la monnaie unique, et sans doute fatiguée par l'ampleur de la tâche, a laissé de côté la suite logique de cette construction monétaire, l'union des marchés de capitaux et l'union bancaire. Trop de divergences entre les pays européens en termes de fiscalité et de produits financiers rend, il est vrai, la tâche compliquée.

Mais face à des besoins considérables de financement en Europe, notamment pour assurer la transition énergétique - 2.500 milliards d'euros d'ici 2050 - les décideurs et les banquiers s'intéressent à nouveau à cette épargne longue européenne excédentaire, qui s'évapore dans les déficits publics européens mais aussi de plus en plus vers les Etats-Unis. Et cette hémorragie risque de s'accroître avec les déficits publics mais aussi avec le découplage qui s'annonce des politiques monétaires européennes et américaine.

Ce découplage risque en effet de creuser encore plus l'écart de rendement entre les deux continents alors même que les valorisations des actions sont déjà de 30 à 50 % plus élevées aux Etats-Unis. Il faut donc à tout prix remobiliser l'épargne européenne vers la compétitivité des entreprises européennes. C'est devenu un enjeu de souveraineté.

Les déclarations de TotalEnergies sur une éventuelle cotation à New York a singulièrement alimenté un sentiment d'urgence. « Ces annonces sont une incitation forte à œuvrer très activement pour que l'Europe se mettent en situation d'avoir des marchés de capitaux plus performants », a notamment réagi Marie-Anne Barbat-Layani, en marge de la présentation du rapport annuel de l'AMF.

Pas de grand soir

Mais comment faire ? La réforme des marchés des capitaux peut passer par l'harmonisation des règles fiscales et juridiques, comme le droit des faillites, ou la création d'une grande agence de supervision unique des marchés, ou bien la fusion des infrastructures de marché, y compris pour les cryptos actifs... Bref, le grand soir. « Peut-être que mes arrières petits-enfants le verront un jour », glisse un grand banquier de la place de Paris. « On ne mène que les combats que l'on peut gagner », poursuit-il...

L'autre approche consiste à réfléchir à trouver les moyens pour fluidifier l'épargne, rendre plus efficace ce qui peut l'être, de permettre aux start-ups et aux projets d'énergie renouvelables de trouver des financements compétitifs. C'est cette ligne directrice qui semble émerger des propositions actuellement sur la table. Deux idées forces se dégagent.

Résistances à la titrisation

Tout d'abord, développer un marché européen de la titrisation, vieille technique financière qui consiste à céder au marché une partie de la créance bancaire, et donc du risque. Aux Etats-Unis, 75% des crédits bancaires de toute nature (consommation, immobiliers, entreprises) sont ainsi titrisés, ce qui permet de libérer du capital pour faire d'autres prêts et de doper la rentabilité des fonds propres. En Europe, c'est exactement, l'inverse, les banques continuent de porter dans leur bilan 75% des crédits à l'économie. Mais vu les besoins de financement qui s'annoncent, elles ne pourront plus répondre faute de taille de bilan suffisant.

Relancer la titrisation en Europe semble donc une évidence, d'autant qu'il « suffirait » de modifier quelques textes réglementaires européens pour le faire. Toutefois, l'idée suscite toujours de fortes résistances, notamment en France. Les banques mutualistes, attachées à leur modèle bancaire de transformation du crédit, ne sont pas enthousiastes. Les fonds d'investissement non plus, préférant la dette privée qui dégagent de plus fortes marges. Enfin, la titrisation donnerait un avantage compétitif aux plus gros acteurs bancaires en Europe, notamment les banques américaines qui dominent le marché du « corporate ».

Fonds de pension ou livret ?

L'autre idée serait ensuite de trouver un moyen de relancer l'épargne longue en actions. C'est bien connu, les Européens n'aiment pas les actions. En France, il y a même plus de titulaires de crypto-actifs (9%) que de comptes titres en actions (7%) !

Les pistes de réflexions sont nombreuses. Comme revoir par exemple les règles de solvabilité des assureurs qui mobilisent trop de capital pour les placements en actions. Résultat, la part des actions dans les placements des assureurs a été divisée par deux ou trois en quinze ans, généralement autour de 5%, très rarement autour 10%.

Pourtant, la nouvelle directive européenne « Solvabilité 2 » - un texte cité par le président Emmanuel Macron lors de son discours de la Sorbonne sur l'Europe ! - est sur les rails après des années de discussions, avec toujours cette idée de privilégier des actifs « sûrs (les obligations souveraines) aux actifs risqués (actions). La hausse des taux ne fait que conforter ce choix.

« L'idée qu'il faut en priorité absorber les déficits publics reste très forte en Europe », avance un banquier français. Les assureurs restent de toute façon réservés face aux actions : il est plus simple et moins cher (en capital et en ressources) de gérer un portefeuille obligataire.

Un produit européen aux contours flous

L'autre axe régulièrement avancé est celui d'un produit d'épargne européen simple et de long terme. L'Europe est toujours à la recherche de son fonds de pension, qui fait la force, la profondeur et la liquidité du marché américain. Dans une déclaration commune, Emmanuel Macron et le chancelier allemand Olaf Scholz, souhaitent la création d'un « produit d'épargne européen » pour éviter « que des centaines de milliards d'euros quittent l'Europe » pour s'investir aux Etats-Unis.

En France, on a vite ressorti l'idée d'un livret d'épargne plus ou moins défiscalisé. Pas certain que cela fasse l'unanimité. La tentative de créer un produit similaire (le PEPP) s'est soldée par un échec cuisant. Le rapport Noyer est plus prudent : il préconise de créer un « label » européen qui répondent à un certain nombre de critères. Il reviendrait ensuite aux Etats de créer ou d'adapter leur propre produit d'épargne de long terme. Un enjeu à 35.000 milliards d'euros, montant de l'épargne financière des ménages européens, dont seule une infime partie est investie en actions.

« Le seul endroit au monde où vous avez les marchés les plus liquides, les plus profonds, les plus sophistiqués se trouve aux Etats-Unis, et nulle part ailleurs », estime un économiste d'une grande banque britannique. « Il n'y a pas encore de substitut au dollar car l'euro est un projet inachevé sans marché unique, sans dette européenne qui permettrait de donner un prix aux actifs, et sans union bancaire », ajoute-t-il. Un quart de siècle après le lancement de l'euro, il est temps pour les Européens de se remettre à l'ouvrage.

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Commentaires 14
à écrit le 31/05/2024 à 22:14
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Il faut juste sortir du marché européen l’énergie et plus besoin de moulins à vent et miroirs magiques qui n’enrichissent que ceux qui les fabriquent ( et ceux qu’ils corrompent)

le 09/06/2024 à 0:51
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Des preuves de cette pseudo-corruption ? Quelles sociétés ? Quels politiciens ?

à écrit le 31/05/2024 à 17:50
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Quel investisseur avisé irait placer son argent dans une économie socialiste ? Très peu. Ce projet servira à glaner quelques fonds auprès des petits épargnants les plus naifs.

le 31/05/2024 à 17:57
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Ceux qui ont placé leur argent dans des fonds de pension sont les grands gagnants !

à écrit le 31/05/2024 à 17:19
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"les besoins immenses de la transition énergétique" Nous sommes l'un des pays qui a le moins d'émission de carbone, la Chine, l'Inde, les usa, l'Allemagne sont les plus pollueurs, quelle est cette urgence incongrue pour tondre les français ? Si c'est...

le 09/06/2024 à 0:54
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Quels besoins ? La rénovation énergétique des bâtiments, les bornes de recharges de VE, le renforcement du réseau électrique, les nouvelles centrales EPR2... liste non exhaustive.

à écrit le 31/05/2024 à 15:59
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Pour une fois Macron a raison. La nouvelle directive européenne « Solvabilité 2 est dans la continuité avec toujours cette idée de privilégier des actifs « sûrs (les obligations souveraines) aux actifs risqués (actions). La hausse des taux ne fait ...

à écrit le 31/05/2024 à 14:07
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certes, certes, ce serait nettement plus attirant, mais il faudrait aussi que placer de l'argent en Europe soit aussi rentable qu'aux USA ! C'est loin d'être le cas, mais , comme d'habitude , l'Europe préfère réfléchir sur le législatif, le réglemen...

à écrit le 31/05/2024 à 12:11
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Remarquable constat que tout ce qui est médiatisé, devient un sujet prioritaire tout en cachant des vérités !

à écrit le 31/05/2024 à 12:11
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Vite, vite, il faut faire vite. Crise de panique dans tous les étages européens ? Vivement l'éclatement de l'Euro.

le 31/05/2024 à 17:55
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Avec un retour au franc là vous pourrez vraiment paniquer !

à écrit le 31/05/2024 à 11:08
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miam miam, y a bon pognon, la france lorgne goulument sur l'epargne des autres pour financer le transit energetique, c'est a dire le RSE, c'est a dire les bons emplois bien payes ou on ne travaille pas trop, ce qui reduit les emissions de co2, mais s...

à écrit le 31/05/2024 à 9:10
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Parce que l'UERSS est tellement nulle, tellement peu compétitive qu'elle n'a plus que sa puissance financière pour avoir encore un minimum d'influence mais seulement campés sur leurs fortunes ils ne peuvent tous qu'en perdre toujours plus d'influence...

à écrit le 31/05/2024 à 8:47
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Les habituels moutons vont se faire tondre !

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