Un mois après le « halving » : que fait le bitcoin ?

C'était il y a un mois, de nombreux investisseurs guettaient l'effet « wahou » à la suite d'un processus informatique très attendu qui s'opère sur la première des cryptomonnaies. Le « halving » fait mécaniquement baisser la rémunération du minage du bitcoin et donc sa production. De quoi renforcer sa rareté et sa valeur... Pourtant sur les cours du jeton star, depuis trente jours, l'attentisme est de mise. Le calme, avant une nouvelle tempête d'euphorie ?
Jeanne Dussueil
« Les institutionnels contrôlent désormais près de 11% des bitcoins en circulation », souligne Manuel Valente, directeur de la recherche à Coinhouse.
« Les institutionnels contrôlent désormais près de 11% des bitcoins en circulation », souligne Manuel Valente, directeur de la recherche à Coinhouse. (Crédits : BENOIT TESSIER)

« Où sont les effets du halving ? » Ils sont nombreux, parmi les nouveaux investisseurs français de la crypto, alors que l'adoption a crû de 28% en un an dans l'Hexagone, à se demander pourquoi leur prise de risque, un mois après le processus informatique qui réduit l'émission du bitcoin - et valorise donc encore plus leur actif fétiche -, n'est pas encore généreusement récompensée. Véritable mythe du bon filon, le « halving » (« qui coupe en deux » en français), soit la réduction de moitié de la récompense perçue par les « mineurs » qui contribuent à la création de bitcoins, s'est produit le 20 avril dernier. « J'ai acheté du bitcoin un mois avant le halving, en mars, à un peu plus de 60.000 dollars, rien ne bouge, que se passe-t-il ? », interroge l'un de ces nouveaux entrants.

Pour rappel, pour fonctionner, l'infrastructure bitcoin a besoin de puissance de calcul, et des particuliers comme des entreprises appelés « mineurs » la fournissent, à l'aide de machines surpuissantes. Le halving intervient après que 210.000 blocs ont été « minés », soit environ tous les quatre ans. A l'origine, la récompense était de 50 bitcoins. Elle a successivement diminué lors des trois premiers halving, le 28 novembre 2012, le 9 juillet 2016 et le 11 mai 2020, pour atteindre 6,25 bitcoins. Fixée depuis le précédent halving de mai 2020, la récompense octroyée à un mineur est tombée cette année à 3,125 bitcoins. Un système contre-courant des monnaies traditionnelles et qui doit, contrairement à elles, limiter l'offre de jetons numériques à 21 millions de bitcoins. Ainsi, d'ici 2033, 99% des bitcoins auront été minés.

Mais pour l'heure, la raréfaction saisonnière de l'offre de bitcoins n'a pas entraîné d'euphorie. « Le prix du bitcoin a enregistré un gain modeste de 0,3 % depuis la réduction de moitié, malgré quelques mouvements volatils au cours des dernières semaines », indique à La Tribune la société d'analyse crypto Kaiko.

Un gain modeste, qui, pour beaucoup, n'est pas surprenant : « Si l'on regarde en arrière, la performance du marché du bitcoin au cours des 60 jours qui ont suivi les précédentes réductions de moitié a été mitigée. En 2016 et en 2020, le cours du bitcoin a été relativement modéré. » Et ce notamment, parce que, « la réduction de moitié a toujours été un facteur de vente pour les mineurs de bitcoins, car le processus de création de nouveaux blocs entraîne des coûts importants, ce qui oblige les mineurs à vendre pour couvrir leurs frais », remarque Kaiko.

Sauf que cette fois-ci, les experts de la crypto l'admettent aussi, cette quatrième réduction de moitié s'est déroulée « dans un contexte très différent des trois précédentes », admet la société d'études.

Une euphorie pré-halving

Et voici ce qui vient expliquer le calme apparent sur un actif qui a paradoxalement fait sa renommée sur son caractère peu prévisible, et qui atteint 1,4 trillion de dollars de capitalisation.

Cette fois, les experts sont unanimes, le prix du bitcoin a bondi en amont de l'évènement. Pour preuve, le record atteint un mois avant le halving, à plus de 73.700 dollars, sur ce qui ressemble alors à « une dynamique classique du secteur, qui consiste à acheter sur une rumeur », constate Simon Peters, de la plateforme eToro. « Les investisseurs ont tout simplement parié en avance de phase sur ce fameux halving », abonde Jean-François Faure, DG de CrypCool.

Mais, ce phénomène de ruée vers l'or numérique en amont s'est produit dans une proportion plus importante.

« Le cours du bitcoin a déjà dépassé son précédent sommet de cycle, avant le halving, ce qui ne s'était jamais produit auparavant. En fait, nous avons déjà eu un marché haussier significatif avant le halving, cela va-t-il continuer ? », s'interroge James Harte, du courtier Tickmill.

Institutionnalisation du bitcoin

Premier effet booster de cette euphorie précoce, le contexte macro-économique avec lequel le bitcoin est de plus en plus corrélé. « Le halving était déjà intégré dans les prix. Nous avons observé un rallye de octobre 2023 jusqu'au mois de mars 2024, porté par la détente sur les taux américains et les chiffres de l'inflation en reflux. Le bitcoin a aussi renforcé son aspect de valeur refuge en octobre avec les événements au Proche-Orient. On a désormais des réactions de marché », avance Alexandre Baradez, analyste Marché pour la société IG.

Ensuite, le volume de ces mouvements importants pré-halving a compté. Tous les experts pointent « l'entrée des institutionnels » sur le marché crypto. « Les institutionnels contrôlent désormais près de 11% des bitcoins en circulation », souligne Manuel Valente, directeur de la recherche à Coinhouse.

Un mouvement d'institutionnalisation aussi porté par « les modifications des règles comptables américaines facilitant la détention de bitcoins par les entreprises, par les changements réglementaires mondiaux facilitant la détention de bitcoins par les banques et, enfin, par le fait que les banques centrales détiennent des bitcoins parallèlement à leurs avoirs en or existants », remarque Ben Laidler, stratège des marchés mondiaux chez eToro.

Au final, pour Mounir Laggoune, PDG de Finary, « les décisions des banques centrales sur les taux d'intérêt et les politiques monétaires influencent de plus en plus le marché des cryptomonnaies. Les investisseurs institutionnels intègrent ces facteurs dans leurs stratégies, renforçant ainsi l'interconnexion entre les marchés traditionnels et les cryptomonnaies. L'Union Européenne et la Chine travaillent sur des versions blockchain de leurs monnaies, ce qui pourrait bouleverser le marché des cryptos, notamment celui des stablecoins ».

En Europe, « l'adoption du Règlement européen MICA sur les cryptomonnaies souligne que ce marché devient de plus en plus mainstream, légitimant les investissements et attirant de nouveaux acteurs institutionnels », estime-t-il.

Un acteur institutionnel est d'ailleurs venu bouleverser davantage les règles du jeu. En ouvrant la voie aux ETF bitcoin, le géant BlackRock a aussi joué le rôle d'accélérateur sur le cours du jeton star.

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Effet à retardement

Faut-il en conclure que la bulle de ce halving anticipé est terminée ? « A plus long terme, la période de 12 à 18 mois suivant les halvings a toujours été celle des meilleures performances pour le Bitcoin. Ainsi, la performance négative à très court terme est cohérente avec notre perspective selon laquelle l'impact réel des halvings se manifeste sur une période plus longue », anticipe Benjamin Ittah, senior manager à European Business Development.

Un pronostic partagé par beaucoup. Ainsi, lors du halving de 2016, « le 16 juillet était très attendu. Le prix a chuté de 10 %, mais est ensuite remonté au niveau où il se trouvait auparavant. Bien que l'impact immédiat sur le prix ait été faible, le bitcoin a fini par réagir et certains affirment que le cycle haussier de 2017, lorsque le marché a explosé, a été un résultat tardif de la réduction de moitié. Et après avoir commencé l'année aux alentours de 900 dollars, le bitcoin s'échangeait à la fin de l'année 2017 à plus de 19 000 dollars », rappelle Michael Dubrovsky, cofondateur de PoWx, une société d'étude crypto à but non lucratif.

«  Le délai entre le halving et la hausse tend à augmenter progressivement au fil des halvings. C'est la marque d'un marché qui se stabilise et perd en volatilité, notamment à cause de l'augmentation de capitalisation de marché totale », confirme Manuel Valente de Coinhouse.

« La volatilité des prix au deuxième trimestre est loin de ce que nous avons vu plus tôt dans l'année », observe également Simon Peters de eToro.

A quoi s'attendre

Aux investisseurs impatients, la conclusion est donc claire : « il faut être patient. Le bitcoin est de plus en plus comme l'or, il faut en avoir dans son portefeuille. S'il va encore s'apprécier, il ne fera plus fois 3 en six mois. Ce sera de l'ordre de quelques dizaines de pour-cent en performances, et non plus en centaines. Cela fait désormais partie du passé, il y aura moins de volatilité, avec des variations d'un marché plus normalisé », avance Alexandre Baradez d'IG.

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Quant au mythe du halving, il faudra également progressivement s'en détacher selon Ben Laidler : « il ne reste plus que 6 % des bitcoins à émettre. L'impact de chaque réduction de moitié consécutive sera naturellement moindre, puisqu'elle a été davantage anticipée par les investisseurs et que le nombre de bitcoins en circulation a diminué », conclut-il.

Jeanne Dussueil

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Commentaires 7
à écrit le 19/05/2024 à 10:20
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Une valeur sûre, achetez !

à écrit le 18/05/2024 à 10:54
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Troyes

à écrit le 18/05/2024 à 10:53
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Troyes

à écrit le 17/05/2024 à 18:52
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parfaite illustration de la bulle. les gens achetent meme s ils y connaissent rien, que ca leur sert a rien, juste par ce qu on leur a dit que ca va monter .... pas grand chose a change depuis la speculation sur les bulbes de tulipes ... PS : ac...

à écrit le 17/05/2024 à 17:30
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J'aime bien l'expression "miner du bitcoin" et encore plus le jour où ça va péter parce que dans le mines il traîne toujours un peu de grisou.

à écrit le 17/05/2024 à 14:38
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Petit rappel: le foncier a une utilité réelle; l'or a une utilité réelle; le bitcoin n'a aucune utilité réelle. La fameuse monnaie décentralisée pour se libérer des banques, désormais complètement manipulée par les acteurs financiers traditionnels, ...

le 17/05/2024 à 15:32
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L' utilité réelle du bitcoin est immense, c'est la limitation du pouvoir totalitaire des banques centrales par la concurrence. Pour le crime organisé le bitcoin s'est révélé un contre-sens. Il est traçable et les confiscations par les pouvoirs judici...

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