Le vent de la tokenisation des actifs souffle sur le monde de la finance

Une révolution silencieuse est en train de s'opérer dans le monde de la finance. Adoubée par les régulateurs, la technologie de la blockchain s'immisce peu à peu dans les portefeuilles des gestionnaires d'actifs. Aux Etats-Unis, les banques telles que Goldman Sachs ou JP Morgan Chase accélèrent leurs efforts sur ces technologies afin de réduire les coûts et de gagner en efficacité. Explications.
Jeanne Dussueil
Le PDG du géant américain de la gestion d'actifs BlackRock, Larry Fink.
Le PDG du géant américain de la gestion d'actifs BlackRock, Larry Fink. (Crédits : REUTERS/Charles Platiau)

Le frémissement est palpable dans de nombreuses salles de marché à travers le monde. Alors que les nouveaux ETF bitcoin puis des ETF ether, gagnent leur public, les portefeuilles des gestionnaires d'actifs sont en train de basculer un peu plus dans l'univers des blockchains, ces grands registres numériques qui voient s'échanger des jetons (ou "tokens") de manière infalsifiable et immédiate.

Ces nouveaux titres « blockchainisés », qui permettent aux investisseurs de surfer sur l'engouement des cryptos, intéressent depuis longtemps les sociétés de gestion. A tel point que BlackRock et son PDG Larry Fink l'ont martelé en début d'année : « la prochaine étape sera la tokenisation des actifs financiers ».

Multiplication des projets

Le géant de la finance est loin d'être le seul à s'y lancer outre-Atlantique. Les banques, dont Goldman Sachs qui vient d'annoncer trois projets de tokenisation d'ici la fin de l'année, accélèrent. De même JP Morgan Chase, qui utilise depuis un an ces jetons numériques comme garanties de propriété d'un titre, ou encore la Citi qui teste depuis plusieurs mois la tokenisation des fonds de capital-investissement.

En Europe, si le mouvement est encore timide, la plateforme leader des crypto-actifs BitPanda se positionne aussi sur le marché : « Des discussions avec des banques sont déjà en cours. Nous allons prochainement accélérer sur la tokenisation d'obligations et de certaines actions au travers de projets en Allemagne et en Autriche. Nous verrons de plus en plus de cas d'utilisation en Europe au cours des deux prochaines années.  », confirme à La Tribune son PDG Eric Demuth.

Mais de quoi s'agit-il lorsque l'on parle de tokenisation des actifs ? « La tokenisation des actifs consiste à représenter les droits de propriété d'actifs réels sous forme de jetons numériques sur une blockchain », résume McKinsey.

2.000 milliards de dollars en 2030

Dès lors, obligations, actions non cotées, billets négociés en bourse (ETN), dette d'entreprise, prêts ou fonds alternatifs sont potentiellement amenés à donner vie à leur équivalent numérique, sous la forme de jetons uniques, pour des échanges bénéficiant « d'une liquidité sans permission, d'un accès ouvert, d'une transparence sur la chaîne de blocs (blockchain) et d'une réduction des frictions transactionnelles par rapport aux actifs traditionnels », estime le cabinet de conseil.

Si la quasi-totalité de l'activité économique humaine - estimée à plus de 100.000 milliards de dollars par an -, est « tokenisable » selon McKinsey, le mouvement qui s'opère actuellement sur les actifs financiers représentent, pour l'heure, un marché de 2.000 milliards de dollars d'ici 2030.

« Le regain d'intérêt peut donner une impression de déjà-vu (10 milliards de dollars d'obligations tokenisées en valeur notionnelle totale ont déjà été émises au cours de la dernière décennie), mais des fondamentaux commerciaux plus solides et des changements structurels suggèrent que le chemin pourrait être différent cette fois-ci », soulignent les auteurs de l'étude, publiée en juin.

Montée en puissance  par vagues

Autrement dit, la tendance change d'échelle et va bientôt devenir « un courant dominant », estime une autre étude de l'association professionnelle Global Digital Finance (GDF). Ainsi,  91 % d'entre elles gèrent déjà des actifs numériques réels, tels que des titres ou des matières premières numériques ou tokenisés, selon cette enquête menée en juin auprès de sociétés financières partout dans le monde. Plus révélateur, celles qui ne l'ont pas encore fait prévoient de le faire à l'avenir, avec « 100 % des personnes interrogées qui ont l'intention de le faire.»

Néanmoins, cette adoption devrait se faire « par vagues », soit en fonction des actifs, note McKinsey. A un rythme toutefois considérable, avec, « en moyenne, une croissance annuelle composée de 75 % dans toutes les catégories d'actifs », précise-t-il. Les premiers de cordées devant être, selon l'étude, « les liquidités et les dépôts, les obligations et les ETN, les fonds communs de placement et les fonds négociés en bourse (ETF), ainsi que les prêts et la titrisation. »

Réduction des coûts

Sur cette dernière catégorie, l'attractivité pour les grands acteurs de la finance est plus évidente. « Les prêts conventionnels se caractérisent par des processus à forte intensité de main-d'œuvre et des niveaux élevés d'implication des intermédiaires. Les prêts basés sur la blockchain offrent une alternative, avec de nombreux avantages : des données en direct, sur la chaîne, conservées dans un grand livre unifié servant de source unique de vérité, favorisant la transparence et la normalisation tout au long du cycle de vie du prêt », explique encore McKinsey.

Aussi, « une catégorie d'actifs présente un grand potentiel, aux yeux de nombreux acteurs du marché, est celle des fonds alternatifs, ce qui pourrait stimuler la croissance des actifs sous gestion et rationaliser la comptabilité des fonds. Les contrats intelligents et les réseaux interopérables peuvent rendre la gestion de portefeuilles discrétionnaires à l'échelle plus efficace grâce au rééquilibrage automatisé des portefeuilles », ajoute le cabinet.

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Débuts timides en France

En France, les gestionnaires, interrogés par La Tribune, ne partagent pas encore d'avancées marquantes. « Les sujets que nous voyons le plus souvent en matière de tokenisation sont les obligations et l'immobilier », observe François Laviale, managing partner et CIO à Alphacap Digital Assets, un gestionnaire français d'actifs numériques.

Mais plus spécifiquement, sur les produits financiers purs, le cas le plus emblématique de cette tokenisation émane dans l'Hexagone de Forge, la filiale crypto de la Société Générale. « Près de 300 millions d'euros d'obligations tokenisés à travers Forge, ce qui représente l'écrasante majorité de la tokenisation en France. Aussi, Spiko, une startup de tokenisation de fonds leader en France a récemment dépassé les 10 millions de dollars sous gestion »,  indique à La Tribune Justine Destobbeleire, Lead Crypto & Blockchain au sein du cabinet de conseil Sia Partners.

Ainsi, pour l'heure, explique-t-elle, ces échanges de valeurs financières ont principalement lieu sur des blockchains publiques, c'est-à-dire via des protocoles informatiques ouverts et décentralisés dans la plupart des cas. A contrario, sur les blockchain dites privées, soit une base de données fermée et centralisée pour le contrôle des données des clients, « les projets de tokenisation sont souvent discrets et ne communiquent pas sur leurs chiffres », observe Justine Destolebbeire.

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Un cadre juridique plus sécurisant

Reste à savoir si les réglementations, émises par les régulateurs et les décideurs politiques, suivront favorablement ces nouveaux marchés. En Europe, « l'application de MiCA à partir de fin juin, ainsi que le régime pilote permettent en théorie aux entreprises européennes de créer des projets en toute légalité », prédit-elle.

« On voit un cadre juridique sécurisant qui se met progressivement en place dans certaines juridictions (France, Luxembourg, Allemagne...) pour encadrer l'émission et la gestion de tokens natifs dans la Blockchain », abonde Romai Devai, business development manager chez Allfunds Blockchain, une plateforme de distribution de fonds qui propose notamment une solution basée sur la blockchain. Surtout, à terme, le vent de tokenisation devrait déboucher sur une « convergence progressive de la finance traditionnelle et de la crypto-finance permettant une plus grande porosité entre les deux mondes auparavant totalement étanches », conclut-il.

Jeanne Dussueil

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Commentaires 5
à écrit le 31/07/2024 à 14:21
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Faut pas oublier que larry finks blackrock et autres sont dedans, et cela avec l’idée-force que comme ils gèrent les états (macron étant de ceux qui vivent par leurs algorithmes ou ia, ils tiennent un certain nombre de pays. L'idée est de faire u...

à écrit le 31/07/2024 à 8:42
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Les cryptos va vaut tzchniquemznt 0, sauf les couts cumules de l energie du minage. La blockchain est par contre une techno interessante

à écrit le 31/07/2024 à 8:25
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" jeton " ? de " présence " ou plutôt de casino ?

le 02/08/2024 à 8:25
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La bourse n'est qu'un casino, un empire du jeu faussé pour que ceux qui possèdent et détruisent le monde en ronflant "s'amusent". C'est l'empire des faibles et des immatures.

à écrit le 31/07/2024 à 7:47
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Le succès de l'économie numérique porte le bitcoin, la seule chose qui pourrait le tuer c'est une coupure générale et définitive d'électricité à savoir une éruption solaire d’ampleur. Merci beaucoup, un régal, j'adore mettre en perspective la parole ...

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