Bourse : pourquoi la réduction des bilans des banques centrales va menacer les marchés en 2024

Enthousiasmés par les perspectives de baisse des taux directeurs en 2024, nombre d'investisseurs se montrent optimistes sur l'évolution des marchés boursiers. Mais ces derniers sous-estiment souvent une autre donnée pourtant cruciale : la réduction des bilans des banques centrales, lesquels pourraient bien plomber l'année à venir. Explications.
Maxime Heuze
Dans un environnement boursier encore compliqué en 2024, les grandes valeurs technologiques américaines devraient encore se montrer résilientes et attirer les investisseurs.
Dans un environnement boursier encore compliqué en 2024, les grandes valeurs technologiques américaines devraient encore se montrer résilientes et attirer les investisseurs. (Crédits : CARLO ALLEGRI)

Inquiétude chez les investisseurs. Enclenchée depuis quelques mois, la réduction des bilans des banques centrales américaine et européenne (appelée quantitative tightening Outre-Atlantique) risque de s'accélérer prochainement et mettre par ricochet du plomb dans l'aile du CAC 40 au plus haut depuis un an malgré le ralentissement économique et les tensions géopolitiques. Alors que la membre du directoire de la Banque centrale européenne (BCE) Isabel Schnabel a qualifié de « plutôt improbable » une nouvelle hausse des taux en raison du ralentissement de l'inflation, la BCE compte entamer la deuxième phase de son resserrement monétaire. la réduction du bilan de l'institution. La semaine dernière, sa présidente, Christine Lagarde, et Joachim Nagel, président de la Bundesbank ont clairement indiqué l'éminence d'une nouvelle réduction de bilan massive de la BCE, essentiellement constitué, comme pour l'ensemble des banques centrales, d'obligations d'Etat achetées sur le marché secondaire pour maintenir les taux des pays emprunteurs à des niveaux bas lors des différentes crises observées au cours de décennie.

Avec la remontée des taux enclenchée au printemps 2022 pour juguler l'inflation, ces politiques de rachat de titres ont en effet été mises au régime sec. C'est le cas notamment du Programme d'achat d'actifs (APP) mis en place en 2015 après la crise de la zone euro et qui a été allégé. Résultat, le bilan total de la Réserve Fédérale américaine et de la BCE, qui début 2022 culminait respectivement à 9.000 milliards de dollars et 9.000 milliards d'euros 2022, est retombé à un peu plus de 7.000 milliards de dollars pour la Fed et un peu moins de 7.000 milliards d'euros pour la BCE.

Problème pour les marchés : en arrêtant d'acheter des obligations d'Etat, mais aussi en en vendant davantage sur le marché secondaire, les gardiennes des monnaies inondent ce marché d'obligations et prive le marché primaire (là où les obligations s'achètent pour la première fois) d'un grand nombre d'acheteurs. L'action des banques centrales pousse donc à la hausse les taux des obligations nouvelles et impacte le coût de l'endettement des Etats, mais aussi des entreprises, les forçant ainsi à moins investir et, in fine, à diminuer la pression sur les prix.

« En enlevant de la liquidité, vous aurez moins de transactions et une probable hausse des taux car la baisse du nombre d'acheteurs signifie plus de risque pour les investisseurs restants qui vont donc demander une prime de risque plus élevée aux émetteurs », résume Christopher Dembik conseiller en stratégie d'investissement chez Pictet AM.

Des conséquences négatives sur l'économie

Mais une baisse de l'investissement et de la consommation signifie aussi une baisse de l'activité économique. Et, sur ce point, le coup de vis sur les liquidités commence déjà à se faire ressentir. « La baisse de liquidités dans le marché obligataire a un impact négatif sur la croissance », analyse le stratégiste.

D'ailleurs, la Banque centrale européenne s'est montrée plus agressive que son homologue américaine sur la réduction de son bilan, ce qui, pour Pictet, n'est pas pour rien dans la moins bonne résilience de l'économie européenne. Ainsi, la gardienne de l'euro a diminué de 5,8% ses liquidités au cours des six derniers mois quand la Fed les a réduits de 1,3%. Dans le même temps, la croissance de la zone euro sur l'ensemble de l'année est prévue à 0,6%, contre 2,7% aux Etats-Unis selon le Fonds monétaire international. « La BCE s'est peut-être montrée trop restrictive sur sa politique monétaire au vu de la faible résilience de son économie par rapport à celle des Etats-Unis », met en garde l'analyste qui exclut néanmoins une récession en 2024.

Logiquement, la Bourse devrait elle aussi pâtir de cette dégradation de l'environnement économique et du retrait de la liquidité sur les marchés censé augmenter les rendements obligataires, amenant les investisseurs à privilégier les titres de dette d'Etat et d'entreprise plutôt qu'aux actions. Pourtant, force est de constater que les actions affichent une fin d'année record avec une hausse de 5,79% sur le CAC 40 depuis le 1er novembre et de 7,84% pour le S&P500 américain et même de 15,87% pour l'indice technologique Nasdaq, sur la même période.

Lire aussiLes marchés surfent sur des espoirs de baisse des taux l'an prochain

En cause : la perspective d'une baisse des taux directeurs prochaine a redonné le sourire aux investisseurs qui sont passés à l'achat en novembre. Ces derniers ont anticipé un retour vers les actions des capitaux aujourd'hui grandement siphonnés par le marché obligataire offrant des taux autour de 4% pour peu de risques.

« Il faut aussi noter que le bilan des banques centrales a baissé moins vite que prévu en 2023 et que les Etats-Unis ont fait le choix de se financer avec des obligations à court terme cette année, ce qui a préservé le taux obligataire à dix ans et a tout de même laissé une partie des liquidités aller vers le marché action », explique Christopher Dembik.

Des effets à retardement sur la Bourse

Prudence est néanmoins de mise pour 2024 selon l'analyste. « La BCE a rappelé, lors de sa réunion d'octobre, qu'elle souhaitait intensifier le rythme de réduction de ses liquidités. Elle devrait donc mettre les bouchées doubles durant la première moitié 2024 sauf récession en zone euro, ce qui n'est cependant pas le scénario principal », rappelle le stratégiste.

Les investisseurs se retrouvent néanmoins face à des informations contradictoires. D'un côté, d'éventuelles baisses des taux devraient doper le marché et donner une teinte positive aux Bourses européennes et américaines... De l'autre, un assèchement des liquidités aurait des conséquences très négatives sur les marchés en provoquant, de fait, une diminution de la pression acheteuse.

« Les études montrent que la réduction du bilan a un impact encore plus fort que celui de la baisse des taux, il faudra donc rester prudent sur les actions en 2024 », tranche le banquier.

Un point de vue également partagé par John Plassard, spécialiste des marchés financiers chez la banque Mirabaud. « A mesure que la BCE réduit son bilan, le marché pourrait connaître une baisse de l'appétit pour le risque et une augmentation de l'incertitude », reconnaît-il dans une note.

Face à ce scénario morose, Pictet privilégie les valeurs solides et peu endettées qui ont moins de chances de souffrir en cas de chute de la Bourse. Ressortent notamment les actuels champions, les grandes valeurs technologiques américaines, chouchoutes des investisseurs en 2023 qui ont fait s'envoler le Nasdaq, mais aussi le luxe « qui affiche toujours des performances solides et devrait continuer à se montrer résilient en 2024 », détaille Christopher Dembik. A l'inverse, les petites et moyennes valeurs européennes, pourtant largement sous-valorisées, pourraient encore souffrir l'année prochaine, selon le gestionnaire d'actifs.

Maxime Heuze

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Commentaires 3
à écrit le 06/12/2023 à 17:40
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Oui, ce passage est vraiment crucial. Il faudra que la baisse des taux soit suffisante pour compénser la réduction du bilan que sans doute ne pourra pas se faire à plus de 1000 milliards d'euros par an. Et il faudra surtout que les états réduisent ...

le 08/12/2023 à 18:33
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La Grèce a équilibré les comptes en se débarrassant de ses jeunes et en acceptant de devenir le cheval de Troie de Pékin en UE. Pour le Portugal, certaines de ses améliorations se sont faites au détriment de l'Irlande... Et puis enfin ce qui est vala...

à écrit le 06/12/2023 à 17:40
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Oui, ce passage est vraiment crucial. Il faudra que la baisse des taux soit suffisante pour compénser la réduction du bilan qui sans doute ne pourra pas se faire à plus de 1000 milliards d'euros par an. Et il faudra surtout que les états réduisent ...

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