![Depuis 2020, la BCE s'est attaquée à un chantier colossal et crucial : évaluer l'impact des risques climatiques sur les portefeuilles des banques privées européennes.](https://static.latribune.fr/full_width/2353332/panneau-de-la-banque-centrale-europeenne-bce-a-francfort.jpg)
Les assemblées générales annuelles des grands groupes du CAC 40, qui ont démarré depuis le mois d'avril, ont de nouveau mis cette question sur le devant de la scène : les grandes banques prennent-elles mieux en compte le risque climatique dans la gestion de leurs actifs financiers ?
La question est centrale, et ce pour une raison simple : les établissements bancaires sont un des rouages indispensables du financement de l'activité économique, donc des entreprises, et par voie de conséquence, de la transition vers un modèle de société plus écologique.
Un défi : savoir mesurer
Pour les accompagner dans cette transformation écologique, l'Union européenne pousse les feux sur différents fronts. Le principal est de savoir mesurer la part des actifs bancaires, présents et à venir, compatibles avec la préservation du climat (part des investissements dans les énergies très carbonées comme le pétrole ou le charbon, part des investissements dans les énergies renouvelables, etc).
Qu'en est-il pour les établissements aujourd'hui ? Ils peuvent mieux faire, si l'on se réfère à une étude du cabinet de conseil KPMG parue mi-mai. D'après celle-ci, la méthode de calcul de l'Autorité bancaire européenne pour mesurer l'effort des banques en faveur de la protection du climat et de l'environnement « mériterait d'être recalibrée ».
La raison, selon KPMG : cette méthode ne donnerait pas une image réelle des actifs bancaires orientés vers le climat (nombre d'investissements effectués dans l'énergie solaire ou éolienne). Si bien que seulement « 3% des actifs détenus par les banques dans l'UE répondent à la nouvelle taxonomie de la finance durable ». Entrée en vigueur le 1er janvier 2023, la taxonomie verte désigne une classification des activités économiques ayant un effet favorable sur l'environnement. Son objectif est d'orienter les investissements sur des activités durables. Selon l'étude du cabinet de conseil, ce très petit chiffre résulterait d'une sous-estimation. Ce que déplorent différentes banques, dont les noms ne sont pas cités dans ce rapport. En attendant, certains établissements ont décidé d'utiliser leur propre méthode. Avec le risque de ne pas avoir les mêmes indicateurs de mesure.
Prise de conscience
Cette affaire met en tous cas en lumière la prise de conscience de certains établissements bancaires autour de l'enjeu climatique. Car, comme l'a exprimé mi-avril, Frank Elderson, membre du directoire de la Banque centrale européenne (BCE) et vice-président de son conseil de surveillance prudentielle, pour les banques, l'enjeu financier est de taille : « Tout stock de capital qui n'est pas rendu résilient aux aléas climatiques verra très probablement sa durée de vie économique considérablement raccourcie. Cela prendra la forme de dépréciations plus élevées, ce qui impliquera des risques financiers plus importants. »
Depuis 2020, l'institution de Francfort s'est donc attaquée à cet autre chantier colossal de la finance verte : évaluer l'impact du dérèglement climatique sur les portefeuilles financiers des banques privées européennes (et non-européennes, qui ont une activité significative sur le Vieux-Continent). Après avoir publié en 2020 un panel de recommandations sur le sujet, la BCE a fait monter la pression en sommant les établissements de lui fournir ces nouvelles données extra-financières. Par exemple : chiffrer le montant ou le pourcentage d'actifs liés au carbone qu'elles détiennent. Une démarche dans la même esprit que l'Autorité bancaire, mais distincte.
Et force est de constater que, pour le moment, la remontée d'informations laisse à désirer : selon une dernière évaluation de la BCE, seules 6% des banques européennes ont divulgué des informations suffisantes dans les cinq catégories de l'évaluation des risques climatiques.
Par exemple, même si la moitié des banques fournissent désormais des informations sur la quantité d'émissions de carbone qu'elles financent, ces informations sont « incomplètes » dans la majorité des cas, déplore la BCE, dans sa dernière évaluation. Le conseil de surveillance prudentielle de la BCE a donc demandé aux banques de remédier à ces lacunes et de « renseigner la stratégie avec laquelle elles se préparent à se conformer aux futures normes » climatiques de l'autorité bancaire européenne.
Faute de quoi, cette dernière a prévu des sanctions : une amende qui pourrait, selon les experts, atteindre jusqu'à 5% du produit bancaire quotidien de l'établissement visé. Pour certains d'entre eux, cela pourrait représenter une dizaine de millions d'euros de pénalités, rien qu'en 6 mois.
A noter que parmi les 186 banques évaluées (détentrices de 80% des actifs financiers de la zone euro, soit 25.000 milliards d'euros), 18 n'auraient pas encore rendu leur copie. Parmi elles, des banques françaises et américaines (ayant une activité importante en Europe) qui, selon le dernier rapport annuel sur les activités de supervision de la BCE, s'exposent à une astreinte financière, si elles ne délivrent pas leurs données d'ici fin 2024.
Volontarisme des banques
La BCE ne badine donc plus avec le sujet climat et, malgré les retards et lacunes de certains établissements bancaires, ils semblent de plus en plus nombreux à suivre le mouvement de plus en plus de banques semblent suivre le mouvement, assure Amine Benayad, directeur associé au cabinet de conseil international Boston Consulting Group (BCG), et spécialiste de la finance verte.
« La volonté des acteurs bancaires est réelle, car gérer le risque fait aussi partie intégrante de leur métier. Par ailleurs, leurs clients, qu'elles financent, sont de plus en plus impactés par les effets du dérèglement climatique. Ce qui les poussent à bouger d'autant plus vite », explique-t-il.
« Certaines banques ont même des services dédiés à l'enjeu climatique qui peuvent atteindre 150 personnes. Cela n'existait pas avant », ajoute le directeur associé. Et de souligner : « Aujourd'hui, les grandes banques ont clairement saisi que l'inaction en matière de climat a un coût très élevé. Elles savent aussi qu'agir maintenant coûtera moins cher que plus tard », détaille par ailleurs le haut cadre du BCG.
Montée des eaux, inondations, sécheresse, comme risques majeurs
Quels sont les risques climatiques que les banques considèrent comme les plus menaçants ? Selon Amine Benayad, ceux-ci diffèrent en fonction du secteur et des actifs dans lesquels elles investissent, mais certains sont plus prégnants que d'autres.
« L'eau est un risque qui inquiète les banques. Cela prend différentes formes : la montée des eaux, les inondations, les sécheresses, qui sont aujourd'hui plus fortes et fréquentes. Par exemple, certaines banques qui prêtent de l'argent à des exploitations agricoles touchées par le stress hydrique s'inquiètent de la capacité de remboursement de leurs propriétaires ».
Et selon l'expert du BCG, ces derniers ne se situent pas exclusivement dans des zones arides, où la gestion hydrique est déjà un défi, comme en Afrique par exemple. « La sécheresse touche maintenant l'Europe, et notamment la France », insiste-t-il.
Autre menace identifiée par les acteurs bancaires : les températures extrêmes qui impactent la santé et la productivité des travailleurs d'extérieur (comme ceux du bâtiment, par exemple). « La dégradation et la déstabilisation de la biodiversité est aussi un sujet pour les banques, tout autant que la pollution du plastique », ajoute Amine Benayad. Enfin, moins évident à identifier pour les non experts, les changements de normes et des réglementations font aussi partie des risques. « L'exemple que j'ai en tête est la mise en place du Mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (ou taxe carbone européenne, ndlr). Une norme aussi majeure, si elle n'est pas anticipée peut mettre en faillite une entreprise ou un acteur financier », souligne-t-il .
Sujets les + commentés