La BCE réduite à dissimuler son inefficacité

Par Romaric Godin  |   |  1152  mots
La BCE est contrainte à poursuivre une politique inefficace.
Lors de la réunion de jeudi, Mario Draghi, président de la BCE, devra rassurer encore sur sa capacité à agir. Peut-être annoncera-t-il la prolongation de six mois de sa politique de rachat d'actifs. Mais désormais, c'est bien l'efficacité de la logique de la politique économique de la zone euro qui est en jeu, ce qui laisse la banque centrale face à son impuissance.

Plus que jamais, Mario Draghi est dans une position des plus délicates. Sa politique ultra-accommodante ne semble pas porter les fruits attendus, mais il paraît difficile de, déjà, se lancer dans de nouvelles mesures. Faute de mieux, le président de la BCE devra donc se contenter du service minimum lors de la conférence de presse qui, jeudi 8 septembre, suivra la réunion du Conseil des gouverneurs en assurant de sa vigilance. Le seul geste possible attendu par les observateurs serait l'annonce d'une prolongation des rachats d'actifs de six mois, jusqu'en septembre 2017. Un prolongement acquis depuis des mois, mais dont la BCE a retardé l'annonce pour disposer encore de "munitions".

Nouveau trou d'air

Il semble cependant que l'insuffisance de la politique monétaire de la BCE devienne de plus en plus évidente. Après l'accélération de la croissance au premier trimestre à 0,6 % pour la zone euro, celle-ci a de nouveau piétiné au deuxième trimestre en revenant à 0,3 %. Certaines économies, comme l'Italie, la France ou l'Autriche marquant le pas avec une croissance zéro, d'autres, comme l'Allemagne, divise par deux leur rythme de croissance. Une fois de plus, il semble patent que, sans perspective d'inflation, la reprise économique de la zone euro demeurera insuffisante. Sans la capacité de pouvoir espérer disposer d'une marge pour fixer ses prix à l'avenir, les entreprises hésiteront toujours à se lancer dans des investissements d'envergure. Aussi assiste-t-on à des reprises par à-coups de l'investissement, liées à des besoins de renouvellement plus qu'à de vraies politiques. Sans compter que ce manque d'inflation est aussi le signe d'un manque de demande, et que c'est là une raison supplémentaire pour les entreprises de se montrer prudentes.

L'inflation, nœud gordien du problème européen

L'inflation est donc bien le cœur du problème de la zone euro. La BCE a ainsi toutes les raisons de chercher à tenter de remplir son mandat d'une inflation "à moyen terme, proche mais sous les 2 %". Les récents chiffres sur ce front sont, en effet, préoccupants. Alors que la chute annuelle des prix de l'énergie, un des moteurs de l'inflation faible, ralentit depuis plusieurs mois, la hausse des prix demeure très faible en zone euro. En août, elle a été de 0,2 %, soit le même rythme qu'en juillet. Surtout, l'inflation sous-jacente, celle qui ne dépend pas de l'énergie, du tabac et de l'alimentation, s'est affaissé à 0,8 %, ce qui est un rythme assez faible. De l'aveu même d'une récente étude de la BCE, on doit, du reste, s'attendre à voir cette inflation sous-jacente rester faible, même avec la remontée du prix de l'énergie. Or, pour la BCE, ce serait un scénario catastrophe. En effet, avec une telle inflation sous-jacente, on ne pourrait espérer une relance de l'investissement tandis que la consommation, seul vrai moteur de la croissance actuellement, serait ralentie par la hausse des prix de l'essence et de l'énergie. Déjà, on a appris qu'en juillet, en zone euro, les ventes au détail avaient reculé de 1,1 % sur un mois. Et comme il n'existe toujours pas de dynamique extérieure, les perspectives de croissance semblent préoccupantes.

La BCE face à ses limites

La BCE est donc naturellement tentée d'agir encore pour encore faire remonter l'inflation. Cette pression de l'inflation basse interdit absolument tout abandon de la politique actuelle, qui laisserait libre cours aux forces déflationnistes. L'ennui, c'est que la méthode utilisée, celle qui consiste à peser sur les coûts de financement par des rachats sur les marchés et des taux de dépôt négatifs pour relancer la demande, semble ne pas porter ses fruits. Les conditions de crédit s'améliorent, mais la demande de financement reste faible, faute de demande et de perspectives. Pour preuve : avec autant de "bazookas" déjà sortis par la BCE, la croissance de la zone euro reste sujette à des trous d'air et son inflation sans ressort. La politique de la BCE n'est donc pas la bonne. C'est pourtant la seule stratégie dont dispose l'institution monétaire. Aussi est-elle condamnée à poursuivre dans une politique qui, manifestement, a atteint ses limites puisqu'il n'est pas possible en zone euro d'organiser une authentique politique de relance.

Les problèmes de la politique de la BCE

La situation se complexifie encore dans la mesure où cette politique commence à poser de sérieux problèmes. Les taux négatifs font crier les banques qui craignent pour leur rentabilité et menacent de faire payer les clients, autrement dit d'alourdir les coûts de financement. En Allemagne, des banques ont commencé à facturer les dépôts. Sur le plan pratique, les titres publics à racheter deviennent rares en raison des limites que s'est fixée la BCE, non seulement en termes de taux mais aussi en termes de poids dans le marché. Mais si elle cherche à se donner plus d'air, soit en élargissant les rachats, soit en abaissant encore le taux de dépôt, elle prendra davantage de risques, fera peser plus lourd le fardeau des taux négatifs sur les banques et deviendra le seul "faiseur de marché" sur les titres souverains, ce qui risque de rendre sa sortie des plus hasardeuses. Certes, il reste encore des moyens d'action : rachats d'actions d'entreprise, de titres indiciels, de davantage d'obligations privées. Mais tout ceci ne règlera guère les problèmes centraux de l'économie réelle et risque d'amener encore plus de déséquilibres sur les marchés. Mario Draghi reste, de surcroît, sous la pression contradictoire des critiques venant d'Allemagne qui estiment toute action inutile et néfaste et des marchés qui s'alarmeront de toute tentation de lever le pied sur l'assouplissement quantitatif.

Un "policy mix" perdant

On comprend donc sa prudence à agir. La BCE, faute de mieux, va jouer la montre et attendre une très hypothétique reprise du commerce mondial capable de redynamiser l'économie. En attendant, elle va tenter de continuer à jouer sur les taux de financement en espérant que la "magie" de la transmission à la demande finale agisse, ce qui est fort improbable. Ce sera le sens d'une éventuelle annonce d'un prolongement de la politique de rachat d'actifs de six mois. Mais les hésitations à agir sur cette mesure qui est déjà considérée comme acquise depuis longtemps montre combien sa situation est impossible et son action émoussée. Mario Draghi semble devoir s'en remettre à des expédients peu efficaces. Plus que jamais, son isolement semble le nœud du problème. Au Japon, au Royaume-Uni, au Canada, les gouvernements semblent avoir saisi la nécessité d'agir. En zone euro, on s'en remet à un policy mix contradictoire et insuffisant : un mélange de "réformes" et de politique monétaire ultra-accommodante. Un échec que la BCE, malgré ses efforts, ne pourra guère couvrir encore longtemps.