« J’attends du président Macron qu’il vienne ici » (Salomé Zourabichvili, présidente de la Géorgie)

ENTRETIEN - En rupture avec un gouvernement en pleine dérive autoritaire, la cheffe de l’État appelle à faire des législatives d’octobre un référendum sur l’Europe.
Salomé Zourabichvili au palais présidentiel de Tbilissi.
Salomé Zourabichvili au palais présidentiel de Tbilissi. (Crédits : © LTD / EREKLE MUMLADZE)

Depuis plus de quarante jours, des milliers de Géorgiens manifestent dans la capitale, et d'autres villes de l'ancienne République soviétique, contre la loi sur l'influence étrangère adoptée le 14 mai. Jugée incompatible avec les valeurs européennes, elle risque de compromettre le processus d'intégration à l'UE de ce petit pays du Caucase de 3,7 millions d'habitants. La présidente, à la fonction essentiellement honorifique, dénonce la loi et la dérive autoritaire de Rêve géorgien, le parti majoritaire dirigé par l'oligarque Bidzina Ivanichvili.

LA TRIBUNE DIMANCHE - Pourquoi vous opposez-vous à la loi votée sur l'influence étrangère ?

SALOMÉ ZOURABICHVILI - Cette loi est devenue le symbole d'une dérive antieuropéenne du parti au pouvoir. Elle vise la société civile, les médias et les organisations non gouvernementales recevant des financements étrangers, qui seront obligés de se déclarer comme des agents d'influence servant des intérêts étrangers. C'est une copie de la loi russe [votée en 2012], dont on a vu les effets délétères en Russie. Sans oublier le caractère non démocratique et autoritaire de l'examen de la loi au Parlement, où tous les députés d'opposition étaient écartés les uns après les autres sans qu'il y ait le moindre débat. C'est symptomatique, l'adoption en troisième lecture a duré une minute et sept secondes.

Dans son discours du 29 avril, M. Ivanichvili [président d'honneur du parti au pouvoir Rêve géorgien] a fait quasiment une déclaration de guerre à nos partenaires américains et européens. Cette rhétorique était déjà en germe dans beaucoup de déclarations, mais sa violence est aujourd'hui inédite. Mercredi, le président du Parlement a même accusé les quatre ministres des affaires étrangères des États baltes et d'Islande, venus apporter leur soutien aux manifestants à Tbilissi, de vouloir fomenter la révolution dans le pays. Les manifestants ne font que demander le retrait d'une loi considérée par tous nos partenaires et toutes les institutions européennes comme antieuropéenne.

Quelle est l'importance du veto présidentiel que vous venez d'opposer à la loi, puisqu'il n'aura qu'une portée symbolique ?

Effectivement, mon veto - que les députés pourront rejeter immédiatement ou non - ne changera rien. Néanmoins, il est très important car il marque mon opposition à cette loi. Avec ce veto, je suis en quelque sorte la voix de cette société qui dit non à cette loi. C'est le seul instrument dont je dispose. Ne pas l'utiliser ne serait absolument pas compris par la société. Il montre que je prends en compte la contestation.

Le Parlement a déjà tenté de faire passer cette loi l'année dernière avant de reculer face à la contestation populaire. Pourquoi la réintroduire maintenant, moins de six mois avant les législatives d'octobre ?

D'un point de vue électoral, il n'y a pas de logique politique à réintroduire cette loi maintenant. Selon les sondages d'opinion, le parti au pouvoir n'avait pas de problème majeur face à une opposition plutôt flageolante et divisée. La Géorgie était dans une période d'euphorie depuis l'obtention du statut de candidat à l'UE fin décembre. Le Parlement devrait entièrement se consacrer à travailler sur les réformes qu'il reste à mener plutôt que de lancer ce pavé dans la mare. Sauf à jouer un jeu non démocratique.

Comment voyez-vous la suite de la contestation ?

Personne ici ne souhaite aller vers l'instabilité. La loi va être adoptée, car le Parlement a les leviers pour la faire passer. On ne peut pas continuer à manifester. Prenons acte et passons à la phase suivante. Dans une démocratie, c'est dans les urnes que l'avenir doit se décider. Il y a une mobilisation très forte de la société civile géorgienne, parmi laquelle les jeunes sont très présents. Eux qui traditionnellement ne votaient pas se sentent cette fois très investis, car ils ont conscience qu'il s'agit d'un choix existentiel pour leur avenir. Et ces jeunes ne sont pas manipulables, ils n'ont pas peur, ils sont totalement libres dans leur tête. Ils n'ont pas connu l'Union soviétique mais connaissent l'Europe. La plupart d'entre eux ont bénéficié des bourses Erasmus ou de voyages individuels. Et ils sont en train de convaincre leurs parents en leur disant : je veux cet avenir européen pour mon pays.

On ne peut pas continuer à manifester. Passons à la phase suivante. Dans une démocratie, c'est dans les urnes que l'avenir doit se décider

Vous appelez à transformer les élections législatives d'octobre en référendum sur l'Europe ; que voulez-vous dire ?

Ces élections doivent confirmer le choix européen de la Géorgie et dire ce que cela entraîne en matière de réformes, de législation et de position. Je suis en train de consolider un plan d'action européen qui définit quelles lois doivent être abolies et quelles réformes doivent être menées pour suivre les recommandations de la Commission européenne et se présenter en ordre de marche aux Européens en vue des négociations pour l'intégration de la Géorgie. Dans un avenir très proche, je vais proposer ce plan d'action à la société et aux partis politiques, afin qu'ils s'en emparent et s'engagent publiquement à le suivre. Qu'ils fassent ensuite campagne individuellement ou ensemble, c'est à eux de décider de leur jeu politique.

La victoire de l'opposition aux élections législatives ne passe-t-elle pas nécessairement par l'union des partis d'opposition ?

En Géorgie, l'union des partis peut faire perdre des voix, car il y a des partis qui génèrent des oppositions radicales. Par exemple, il y a des gens proeuropéens qui n'accepteront pas de s'unir avec le Mouvement national uni [parti de l'ancien président Mikheil Saakachvili]. En revanche, l'union autour d'un objectif commun fait gagner des voix. L'important est de montrer à la population qu'il y a une communauté d'intérêts et que si les proeuropéens sont élus, ils feront ce qu'ils ont promis et rapprocheront la Géorgie de l'Europe.

Ne craignez-vous pas que l'adoption de la loi sur l'influence étrangère remette en question votre statut de candidat à l'UE ?

Retirer le statut de candidat ou supprimer le régime d'exemption de visa de la Géorgie, alors que la population est dans la rue tous les soirs avec des drapeaux européens, serait absurde. L'avenir européen de la Géorgie doit être lié aux résultats des élections, puisqu'elles seront autour du thème européen sous forme de vrai référendum. Le gouvernement a aujourd'hui un discours antieuropéen tout en affirmant que la Géorgie entrera de toute façon dans l'Union européenne, car ils ont senti que même leurs électeurs ne veulent pas renoncer à l'Europe. Il ne faut pas leur laisser la possibilité de jouer sur les deux tableaux.

Qu'attendez-vous des Européens, en particulier du président Macron ?

Qu'ils viennent ici ! Emmanuel Macron m'a promis pratiquement depuis mon élection, en 2018, qu'il viendrait. Il faut qu'il le fasse avant le début de la campagne électorale en septembre. Ce n'est pas seulement la Géorgie dont il est question, il s'agit de sortir définitivement le Caucase des mentalités du joug soviétique et de l'influence russe. Personne ici ne souhaite entrer en confrontation avec la Russie. C'est très important pour l'avenir de l'Europe, y compris pour une Europe de la sécurité. Ici, c'est la mer Noire, zone de transit énergétique et de communications. Que la France ne soit pas présente, c'est une aberration. Je le dis en termes très clairs. J'ai écrit au président Macron, je l'attends pour la fête de l'indépendance de la Géorgie, le 26 mai. Qu'il vienne à ce moment-là serait très juste.

Commentaires 14
à écrit le 21/05/2024 à 14:24
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"En rupture avec un gouvernement en pleine dérive autoritaire".... Sans blaguer, au vu de la première ligne, j'ai cru que l'article parlait de M. MACRON.... M. MACRON, combien de personnes avec les yeux crevées, les mains arrachées, de lourdes séque...

à écrit le 20/05/2024 à 9:53
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"l'influence étrangère " Un peu comme nous avec McKinsey.

à écrit le 19/05/2024 à 20:20
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☠️🇺🇸☠️ Une nouvelle attaque des États-Unis contre la Russie se prépare à travers la réactivation du proxy qu'est la Géorgie, après l'échec en Ukraine‼️ Pour éviter que la France ne soit entraînée dans les délires guerriers, haineux et spoliateurs des...

le 20/05/2024 à 0:25
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Madame la Présidente de la Géorgie est une française d'origine géorgienne, ancienne fonctionnaire du ministère français des affaires étrangères, détachée ou en congé sans solde envoyée en mission pour assurer le rattachement de la Géorgie sous l'infl...

à écrit le 19/05/2024 à 18:21
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Ceci dit, la plus ancienne "loi russe" de ce type est celle adoptée en 1938 par ..... les Etats Unis et toujours en vigueur à ce jour!

à écrit le 19/05/2024 à 18:15
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Les géorgiennes et géorgiens ne peuvent compter que sur leur courage et leur volonté. L'Ukraine a une frontière commune avec 4 nations de l'UE : Roumanie, Pologne, Slovaquie, Hongrie. Et avec une nation intégrable : Moldavie. Ca fait beaucoup de me...

le 20/05/2024 à 0:10
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Cher Alain, C'est tout à fait exact : nous avons décidé que l'Ukraine est à nous et toutes ses richesses avec. Comment ? - Par la corruption et les révolutions de couleur (Nulland a parlé de 5 milliards de dollars) ou par le coup d'Etat armé et fas...

le 20/05/2024 à 16:55
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Les blagues de Toto.....

à écrit le 19/05/2024 à 17:35
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Cette française aux ordres des mondialistes découvre que le monde a changé ! Terminé les coups d'états occidentaux, les révolutions bidons....enfin un nouveau monde a pris la main, le pire c'est que la loi qui a été voté pour montrer à quel point l'O...

à écrit le 19/05/2024 à 16:02
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Elle appelle au secours macron.. Elle est suicidaire...l’homme de tous les chaos..et ça continue ridiculisé par tous les chefs d’etat Elle sait pas que c’est un super lâche..l ’ukraine l’attend depuis des mois il a pas fini d’attendre

à écrit le 19/05/2024 à 16:01
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Elle appelle au secours macron.. Elle est suicidaire...l’homme de tous les chaos..et ça continue ridiculisé par tous les chefs d’etat

à écrit le 19/05/2024 à 14:29
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Poutine ne fait qu'une chose à la fois; après l'Ukraine il s'occupera de la Géorgie.

à écrit le 19/05/2024 à 12:35
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Rappelons que la dame est a peu près aussi géorgienne que moi. Née en France de parents Français elle a fait toute sa carrière au Quai d'Orsey comme agent d'influence avant d'être promu ministre des affaires étrangères en Georgie suite au coup d’État...

à écrit le 19/05/2024 à 9:20
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"la cheffe de l’État appelle à faire des législatives d’octobre un référendum sur l’Europe." Une excellente idée ! Mais voilà notre président a déclaré qu'il ne ferait plus jamais revoter les français sur l'UE car il sait parfaitement que nous voteri...

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