De 2008 à 2024, l'Union européenne s'est renforcée de crises en crises

SPECIAL EUROPEENNES - 13/15. De la crise financière et de la dette souveraine jusqu'à la guerre en Ukraine en passant par le Brexit et la pandémie du Covid-19, l'Union européenne a dû durant ces quinze dernières années innover pour trouver des solutions à des problèmes inédits au regard des traités européens. Et ce qui pouvait être source de divisions voire d'éclatement de l'UE s'est transformé en davantage d'intégration et de solidarité, comme le jugent les Européens qui voient en elle un gage de stabilité.
Robert Jules
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« Les hommes n'acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise », jugeait dans ses Mémoires (éd. Pluriel) Jean Monnet, l'un des pères fondateurs de l'Union européenne. Et des changements, l'Union européenne en a conduit plusieurs depuis une quinzaine d'années où différentes crises se sont succédées et que n'avaient pas prévu les textes européens.

Ainsi, en 2008, avec la crise financière mondiale déclenchée par les subprimes aux Etats-Unis, qui s'est poursuivie par la crise de l'euro et celle de la dette, les pays membres de l'Union européennes ont constaté que le traité de Maastricht n'avait pas prévu de garanties ni de mécanismes pour faire jouer la solidarité financière entre eux face à une crise. Et la réponse imposée alors par les pays « frugaux » au pays de l'Europe du Sud, notamment la Grèce, a été celle d'un programme d'austérité en échange de renflouements dont l'application ont mené nombre d'entre eux à tomber en récession, transformant des populations plutôt europhiles à devenir très critiques à l'égard de Bruxelles.

Pourtant, malgré les divisions et les ressentiments, le risque d'un éclatement de l'euro a été jugé plus grave, et a permis la mise en place de nouveaux mécanismes: programmes de financement d'urgence, nouvelles règles budgétaires, union bancaire. La Banque centrale européenne (BCE) a également vu son rôle étendu, par exemple sous la forme de programmes d'achats d'obligations pour stabiliser le système bancaire européen, et en juillet 2012, face aux marchés financiers qui attaque l'euro, son président d'alors Mario Draghi, décide de faire « whatever it takes » pour sauver la monnaie unique qui est aujourd'hui dans le monde la deuxième monnaie de réserve après le dollar.

En 2015 et 2016, c'est une tout autre crise qui met l'Union à l'épreuve: l'afflux massif de plus d'un million d'immigrés fuyant les guerres en Syrie et en Afghanistan. Malgré des réponses nationales complètement divergentes qui divisent le Conseil européen, l'Union européenne repense et renforce le mécanisme de sécurisation de ses frontières extérieures, en élargissant les missions de l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex), pour renforcer la coordination des pays membres, en passant des accords avec certains pays extérieurs, comme la Turquie pour réduire le flux des migrants vers le Vieux Continent.

L'UE a également connu une situation inédite avec le départ en 2020 de l'un de ses membres majeurs: le Royaume uni, à la suite d'un référendum où le oui au Brexit l'avait emporté. Cette sortie a montré que loin d'exploser l'Union a non seulement surmonté cette épreuve mais en est ressortie renforcée, plus aucun parti majeur dans un pays de l'Union ne militant pour suivre l'exemple britannique. Elle a même permis de renforcer la cohésion et de débloquer les négociations sur une politique de défense européenne.

 Cette même année, la pandémie mondiale créée par la propagation du virus du Covid-19 voit les intérêts égoïstes reprendre le dessus face à la crise sanitaire. Dans un premier temps, chaque pays membre de l'UE ferme ses frontières, cherche désespérément - voire détourne - des stocks de masques pour son seul compte. Mais dans un second temps, la Commission organise une réponse commune comme une politique d'achat groupé de vaccins, avec une garantie d'un accès égal pour tous les Etats-membres, ou encore la création d'un fonds de relance de 750 milliards d'euros, levés par la Commission sur les marchés financiers, qui a permis d'éviter un effondrement des économies des Etats-membres en leur fournissant prêts et subventions. Cette véritable solidarité entre pays du nord et du sud contraste avec les programmes d'austérité de la crise de la dette de la zone euro.

L'invasion de l'Ukraine par l'armée russe en février 2022 a non seulement ravivé le risque de guerre sur le Vieux continent, mais obligé les pays membres de l'UE au nom du droit international à mener une politique de soutien à l'Ukraine - qui veut intégrer l'Union - non seulement militaire, mais aussi économique. Malgré leur coût pour l'Europe, l'UE impose des sanctions économiques à la Russie pour réduire les moyens de financer sa guerre. Néanmoins, la poursuite du conflit fait apparaître des divergences. Certains leaders sont favorables à un soutien plus actif, comme le président Emmanuel Macron, qui a évoqué l'envoi de troupes en Ukraine et soutient l'objectif d'une défaite de la Russie. En revanche, les responsables allemand et italien sont plus réticents à un engagement direct. Ce qui se reflète dans les opinions publiques, celles qui sont directement comme dans les pays Baltes qui voient la Russie comme une menace directe à leur sécurité, soutenant la position du président français.

Cette situation pose avec acuité la question d'une défense commune européenne, notamment en termes d'investissement mais aussi d'intégration. Depuis la présidence de Trump, et la possibilité de son retour à la Maison Blanche en novembre prochain, les Européens doivent prendre en charge leur propre sécurité, même si l'Otan reste un pilier majeur de celle-ci, et les Etats-Unis un soutien aux pays européens.

En attendant, contrairement aux critiques du projet de construction européen, ces quinze dernières années de crises, loin d'avoir conduit à une implosion de l'Union européenne, ont au contraire renforcé sa cohésion, en l'obligeant à trouver des réponses à des problèmes inédits. Malgré la « bureaucratie » et les procédures de consultation complexes à mettre en oeuvre liées à la gouvernance régissant les relations démocratiques entre les 27 pays membres, l'UE est passée d'une culture normative à une culture de l'improvisation et de l'innovation, la Commission devenant même une institution directement opérationnelle.

Cette nouvelle orientation a soulevé des critiques qui considèrent que Bruxelles agit comme instance supranationale non élue par les citoyens européens. « Le 9 juin, il sera vital de mettre un coup d'arrêt définitif à cette dérive antidémocratique d'une Commission européenne qui piétine la souveraineté des peuples », résumait le mois dernier sur X Marine Le Pen (RN), à propos d'un accord de libre-échange.

Mais outre que les décisions prises à l'échelle européenne sont entérinées par le Conseil européen qui réunit les chefs d'Etat et de gouvernement, démocratiquement élus, à l'issue d'un débat, ces critiques émanent dans la plupart des cas d'un courant eurosceptique présent depuis les débuts de l'Union, notamment de partis d'extrême droite comme le Rassemblement national. Or, depuis le Brexit, ces partis parlent davantage d'une « Alliance européenne des nations », un concept dont les contours restent flous et n'appellent plus à quitter l'Union.

Il n'en reste pas moins que les choix qui ont été fait durant ces crises ne sont pas toujours les meilleures solutions aux problèmes. Selon un rapport, le plan d'austérité qui a été imposé à la Grèce et à ses citoyens au mépris de sa souveraineté avait d'abord pour priorité le sauvetage des banques allemandes et françaises menacées de faillites. De même, le sauvetage de l'euro par Mario Draghi n'a pas vraiment conduit aux réformes politiques qu'il demandait en échange. Et la réforme du pacte de stabilité n'empêche pas certains pays, la France au premier chef, de voir ses déficits se creuser et le coût de sa dette souveraine augmenter.

Mais incontestablement la coordination entre Etats-membres s'est améliorée. Et Bruxelles veut poursuivre l'effort au regard de la place de l'UE dans le monde face à la compétition avec la Chine et les Etats-Unis. Le rapport de l'ancien président du conseil italien, Enrico Letta, et actuel président de l'Institut Delors, avance des propositions pour accélérer la mise en place d'un marché unique européen des capitaux, pour investir massivement dans des secteurs clés comme les télécoms, l'énergie et la défense. Cet été, Mario Draghi, lui aussi ancien Premier ministre italien, cité comme possible successeur de Ursula von der Leyen à la tête de la Commission, doit remettre un rapport cet été sur la compétitivité européenne.

Quant au sentiment des Européens, malgré les crises traversées depuis 15 ans, et les incertitudes géopolitiques (Russie, Chine, nouvelle présidence de Trump) et les problèmes économiques (l'inflation et la faible croissance qui pèsent sur le pouvoir d'achat), la 100e enquête de l'Eurobaromètre, publiée en décembre 2023, montre que 70% des citoyens de l'UE jugent que l'Union est un havre de stabilité dans un monde en crise. Une opinion qui est majoritaire dans tous les États membres. Et 61 % sont même optimistes pour l'avenir de l'UE. Une confiance qui corrobore l'intuition de Jean Monnet: « J'ai toujours pensé que l'Europe se ferait dans les crises, et qu'elle serait la somme des solutions qu'on apporterait à ces crises ».

Robert Jules
Commentaires 26
à écrit le 07/06/2024 à 6:59
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Combien de subvention pour cet article ? ^^

à écrit le 06/06/2024 à 19:59
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Le résultat de l'eurobaromêtre reste à relativiser lorsqu'on apprend sur internet qu'il est le résultat auprès d'un échantillon de 1025 personnes interrogé en face à face .Difficile de le prendre au sérieux si on le met en comparaison avec la popul...

à écrit le 06/06/2024 à 18:53
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Bonjour, bon nous n'allons pas attendre d'etre en guerre avec la Russie poûr envisager le développement d'une defence européenne.... Surtout que dans cette situation, nous aurons tendance a accepter n'importe quoi... S'est maintenant, a têtes re...

à écrit le 06/06/2024 à 18:36
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@Idx [Et sans l'UE il n'y aurait pas d'euros et le franc serait à la ramasse sans parler que 60% de nos exportations se font en Europe] Dommage que vous n'ayez pas encore compris depuis 2009 que l'Euro est un facteur essentiel de crise(s). "L’Union m...

à écrit le 06/06/2024 à 16:19
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Le titre de cet article résume à lui seul ce que sont les médias qui persistent à nier l'évidence à moins qu'ils aient de la m.....e dans les yeux. De crise en crise l'UE devient chaque jour davantage un repoussoir que le projet fumeux qu'on voudra...

le 06/06/2024 à 18:11
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Erreur d'appréciation l'UE ne compte pas pour du beurre , c'est la première zone économique de la planète avec plus de 400 millions de consommateurs solvables , les chinois, japonais coréens qui nous inondent de leurs produits ne s'y trompent pas .Et...

le 06/06/2024 à 18:56
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@ldx : 🧐 La monnaie est un outil facilitant l'échange des biens et des services. Elle doit répondre aux besoins de l'économie du pays émetteur. Si le Franc doit être inférieure de 20% au mark allemand pour que l'économie française redémarre alors c'e...

à écrit le 06/06/2024 à 15:33
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Le titre est tronqué: 'de crises en crises l'UE s'est renforcée... dans la bêtise et la soumission. Ainsi ce serait plus juste car sous la houlette de dirigeants d'une médiocrité abyssale comme l'illustre chaque jour la toute dernière en place, l'eur...

à écrit le 06/06/2024 à 14:33
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On ne parle jamais de la quantité des lobbyistes à l'affut derrière chaque député épiant l'occasion de dégager des marges à leurs sociétés, ils seraient de l'Ordre de 50000 dont 12000 organisations enregistrées. Que pensent tous ces gens de cette UE

à écrit le 06/06/2024 à 14:21
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🥳 L'UNION EUROPÉENNE VA MOURIR 🤓📉🤪📉💀 ‼️ 🤥 Face aux mensonges et à la tyrannie des chaînes TV et des radios aux ordres du ☠️ régime francophobe et atlantiste de Macron, l'UPR de François Asselineau (fort de sa chaîne youtube UPRTV de 452 000 abonnés) ...

le 06/06/2024 à 15:04
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l'UPR mourra beaucoup plus vite que le frexit !

le 06/06/2024 à 15:24
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Certes, M. Asselineau est le plus compétent sur les sujets européens, mais il n'est hélas, pas, le général de Gaulle. Sans doute a-t-il la bonne chanson, mais il n'est pas tout à fait le bon chanteur. Il eut mieux valu, dans notre intérêt commun, qu...

le 06/06/2024 à 16:31
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@Chris-34 : 🧐 L'UPR s'efforce de convaincre les abstentionnistes, donc entre 30 et 50% des citoyens inscrits sur les listes électorales, qui en ont marre de la politique politicienne 😡 et qui ne se déplacent plus aux urnes 🤬❗Le nombre d'abstentionnis...

à écrit le 06/06/2024 à 14:16
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Pourtant, on attend toujours une réforme institutionnelle majeure, entre-autres sur l’architecture même du système TARGET2 de la BCE. Si les autocongratulations sont le satisfecit des technocrates, les peuples éclairés, eux, aspirent à plus d'exigenc...

à écrit le 06/06/2024 à 13:48
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J'appelle ça une fake news , le PIB par tête de la France dégringole depuis 2000 sans compter que cette statistique bénéficie des dépenses publiques abyssales financées par la dette et la planche à billets de la BCE ...

le 06/06/2024 à 15:03
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Imaginez ce qui en serez si nous étions hors de l'UE et de l'euro !

à écrit le 06/06/2024 à 13:36
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L'article est impressionnant !!!! c'est comme répéter la chose a qui veut l'entendre, les faits sont les suivants: l'économie française dans la destruction de valeur n'a jamais été aussi visible , la dette n'a jamais été aussi forte et le rapport e...

à écrit le 06/06/2024 à 13:10
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Oui bien sûr... départ d'un membre important (le RU), déclassement économique vis à vis des États-Unis, incapacité à contrôler les frontières migratoires, désindustrialisation, crise énergétique, mais tout va très bien Mme la Marquise !

le 06/06/2024 à 13:26
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Vivriez vous aux USA ? Infrastructures de moindre qualité - protection sociale très pauvre. .

le 06/06/2024 à 13:54
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@Louis - Pour le RU, demandez aux Anglais ce qu'ils en pensent. Déclassement par rapport aux US, vous voyez le haut du panier, allez voir au fond, être pauvre aux US, c'est vraiment toucher le fond...l'UE est nécessaire en dépit de ses avatars. La Fr...

à écrit le 06/06/2024 à 13:07
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Surtout ne vous trompez pas de bulletin de vote, l'UE a permis de surmonter les crises. Vraiment ? Rien que le titre prêterait à rire si ce n'était pas à en pleurer. La technocratie européenne s'est renforcée, la corruption aussi, nous allons vers ...

à écrit le 06/06/2024 à 12:49
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Il y a du boulot mais, pas de solutions hors l'UE .

à écrit le 06/06/2024 à 12:35
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Dans le même temps, elle a perdu la moitié de son industrie et montre son incapacité à créer les champions industriels de demain. Merci le dogme de la concurrence , et dommage que La Tribune s évertue à vouloir influencer les élections de dimanche pr...

le 06/06/2024 à 13:23
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Quand on voit ce que les oppositions de droite ou de gauche proposent ce serait encore pore.

à écrit le 06/06/2024 à 12:30
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Un dogme est une vision future préconçue qui se construit à coup de réforne sans participation des intéressés !

le 07/06/2024 à 14:04
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Les crises servent à justifier des réformes impopulaires que les citoyens n'ont pas les moyens de bloquer. Quand tout va bien, les citoyens peuvent se mobiliser pour faire valoir leurs choix, ce qui ne convient pas aux lobbies.

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