BCE : l’objectif de 2% d’inflation est-il un frein à la transition écologique ?

SPECIAL EUROPÉENNES - 7/15. Avec un coût entre 650 et 1000 milliards d’euros par an, la transition écologique de l’Europe va nécessiter de gros besoins de financements. Mais certains politiques, à l’image d’Emmanuel Macron, accusent la Banque centrale européenne de freiner les investissements avec son objectif d’inflation de 2%. Faut-il alors changer le mandat de cette dernière ?
Maxime Heuze
L'objectif d'inflation de la BCE et sa présidente Christine Lagarde a été remis en question par Emmanuel Macron.
L'objectif d'inflation de la BCE et sa présidente Christine Lagarde a été remis en question par Emmanuel Macron. (Crédits : DR)

A quelques jours des élections européennes, le rôle de la Banque centrale européenne est remis sur le devant de la scène... en particulier celui qu'elle doit jouer dans la transition écologique de l'Europe.

Or, pour certains politiques européens, la gardienne de l'euro n'en fait, pour l'instant, pas assez. C'est du moins l'avis d'Emmanuel Macron. Rappelant, lors d'une conférence à La Sorbonne, fin mars que les investissements pour la décarbonation de l'Europe nécessiteront entre « 650 à 1.000 milliards d'euros en plus par an, qu'on ne peut pas remettre à demain », le président français avait pointé l'incompatibilité entre les objectifs monétaires de la BCE et ces financements.

« On ne peut pas avoir une politique monétaire dont l'objectif est uniquement un objectif d'inflation, qui plus est dans un environnement économique où la décarbonation est un facteur de hausse structurelle des prix », avait-il précisé.

Après plus de vingt ans d'existence, l'institution de Francfort a, en effet, gardé pour seule et unique mission « de maintenir la stabilité des prix (avec) un taux d'inflation de 2% à moyen terme », dans ses statuts.

Une transition écologique inflationniste

Or, « la transition écologique sera probablement inflationniste », assure Patrick Artus, conseiller économique de Natixis, interrogé par La Tribune. Entre la taxe carbone qui va augmenter les prix des biens carbonés pour les consommateurs, les financement de capacités massives de production d'énergies renouvelables et les investissements dans des équipements, machines et autres bâtiments moins émetteurs de CO2, le monde de demain devrait être plus cher que celui d'aujourd'hui estiment nombre d'économistes.

Une dynamique qui pousserait alors « la BCE à augmenter ses taux directeurs à chaque fois que l'inflation dépasserait les 2% pendant un certain temps, ce qui augmentera le coût du crédit et donc, par ricochet, des investissements publics et privés dans la transition écologique », explique Jézabel Couppey-Soubeyran, économiste spécialiste de la politique monétaire et Maîtresse de conférences à l'Université Paris 1.

Dans cette logique où la politique monétaire freinerait le financement de la décarbonation de l'économie, « l'Union européenne n'arrivera pas à respecter son engagement de neutralité carbone d'ici 2050, sauf à soutenir le financement public par des hausses d'impôts et les investissements privés par une baisse de la rémunération des actionnaires pour flécher l'argent vers la décarbonation de leurs activités », prédit Patrick Artus.

Inclure le financement de la transition dans le mandat de la BCE

Le point de vue d'Emmanuel Macron est donc partagé par plusieurs économistes qui estiment qu'augmenter l'objectif d'inflation à 3 ou 4% éviterait cette réaction contre-productive. D'autant que cette réforme de la BCE pourrait être mise en place à la seule initiative du Conseil des gouverneurs qui pourrait décider d'augmenter sa cible d'inflation ou d'élargir sa mission pour y inclure de le financement de la décarbonation de l'Europe, à l'image de la Réserve fédérale américaine qui jongle entre maintien de l'inflation et de la croissance.

« Ce qui empêche le verdissement de la politique monétaire, ce ne sont donc pas des obstacles institutionnels, mais doctrinaires », tranche Jézabel Couppey-Soubeyran.

Et pour cause, « les gouverneurs des pays du Nord de l'Europe refuseront de modifier le mandat de la BCE, car ils ont une vision rustique de la politique monétaire », pointe de son côté l'économiste de Natixis.

La peur d'une perte de contrôle sur l'inflation

Ces derniers se montrent, en effet, très vigilants quant au risque de voir l'inflation déraper, ce qui pèserait sur le portefeuille des ménages. « Car, si l'inflation européenne est durablement plus élevée et que les salaires ne suivent pas, les faibles revenus souffriront et il n'y aura pas d'adhésion populaire à cette transition », met en garde Jézabel Couppey-Soubeyran. A l'heure où l'extrême droite européenne surfe sur le ras-le-bol des mesures contraignantes pour la transition écologique, le sujet de l'acceptation sociale est donc au centre des préoccupations des partis politiques.

Une solution pourrait venir de l'indexation des salaires sur l'inflation. « Mais beaucoup d'économistes considèrent cette idée comme dangereuse, car cela pourrait entretenir l'inflation avec un mécanisme de boucle prix-salaire », prévient Patrick Artus.

Lire aussiAugmenter les salaires pour lutter contre l'inflation : le risque que le remède aggrave la maladie

Le risque d'une perte de crédibilité et d'indépendance de la BCE

Autre problème, « la BCE fait face à un vrai risque de perte de crédibilité », alerte Eric Heyer, directeur du département analyse et prévision à l'OFCE. La crédibilité de l'institution de Francfort - qui définit en partie la valeur de l'euro - provient en effet de sa rigueur sur son objectif d'inflation et de sa cohérence avec les autres banques centrales. Pour ne pas provoquer de baisse du cours de l'euro, la BCE devrait donc bien justifier son changement d'objectif.

« L'idéal serait que sa cible d'inflation soit modifiée en maintenant l'objectif de 2%, mais en précisant qu'il est "hors impact de la transition écologique" », estime l'économiste de l'OFCE. « Mais nous n'avons pas les outils pour déterminer quelle partie de l'inflation est due aux financements de la décarbonation », regrette-t-il, affirmant qu'une modification du mandat de la BCE est « difficilement envisageable et pas souhaitable ».

D'autres pistes pour un coup de pouce monétaire à la transition écologique

Hormis l'épineux sujet de la modification du mandat de la BCE, les pistes pour amener la politique monétaire à soutenir davantage la transition écologique sont légion.

Dans Le pouvoir de la monnaie, les économistes Jézabel Couppey-Soubeyran et Augustin Sersiron proposent que la BCE puisse créer de la monnaie sans dette ni achats d'actifs en contrepartie, pour financer les investissements dans la transition écologique. Une mesure qui pourrait être efficace, « mais [qui] créerait une inflation monétaire extrême », prévient Patrick Artus.

Autre proposition de ces mêmes économistes : mettre en place des prêts à taux préférentiels pour les investissements verts. « Pour financer la part non rentable des investissements de transition, la BCE pourrait prêter aux banques à des taux plus bas sous condition qu'elles augmentent la part des crédits verts dans leurs bilans », détaille Jézabel Couppey-Soubeyran. « Mais comment juger qu'un investissement est vert? » se demande Eric Heyer qui s'inquiète du risque de perte d'indépendance d'une BCE qui trierait elle-même les projets décarbonés « alors que ce n'est pas son rôle », ajoute l'économiste de l'OFCE. Ce dernier préférerait donc que l'Union européenne mette en place un grand plan européen au niveau budgétaire qui soit soutenu par la politique monétaire. « Sur 60 milliards d'euros d'investissements publics par an, dont 30 milliards viendraient de la dette, la BCE pourrait racheter les 30 milliards par an de créances aux Etats », propose Eric Heyer.

Maxime Heuze
Commentaires 15
à écrit le 02/06/2024 à 11:05
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@Gigi du 77. C'est vrai que les générations précédentes ne se sont pas beaucoup préoccupées de l'origine réelle de leur enrichissement. Il est patent que les richesses accumulées proviennent largement des externalités négatives qu'on a négligé de com...

à écrit le 01/06/2024 à 13:00
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Entre 650 et 1000 milliards d’euros par an en Europe? La France c'est 16% du pib européen et donc au maximum c'est 160 milliards par an. Le total de la dépense publique (prestations sociales inclues) - 57% - du pib c'est 1600 milliards. Donc il s'...

à écrit le 01/06/2024 à 13:00
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650 et 1000 milliards d’euros par an en Europe? La France c'est 16% du pib européen et donc au maximum c'est 160 milliards par an. Le total de la dépense publique (prestations sociales inclues) - 57% - du pib c'est 1600 milliards. Donc il s'agit j...

à écrit le 31/05/2024 à 11:19
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2% d'inflation, c'est pour protéger la zone économique, la monnaie, les Européens, des ravages de l'inflation. Il suffit de regarder l'histoire économique. Vouloir s'en affranchir c'est être contre les citoyens de l'Europe. Si à chaque difficulté, à...

le 02/06/2024 à 10:21
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Ça peut sembler se défendre. Mais la transition écologique n'est-elle "qu'une difficulté (donc passagère), qu'un prétexte"? Le problème de réchauffement climatique de ce 21ème siècle n'est-il pas le problème le plus ardu auquel l'humanité a dû faire ...

à écrit le 31/05/2024 à 11:13
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chaque fois que la france veut jeter l'argent par la fenetre ' pour l'avenir', elle veut qu'on change les regles du jeu, histoire de faire payer les autres un peu plus!!!!!!!!!!! la BCE n'est pas la pour financer les lubies et promesses intenables d...

le 31/05/2024 à 12:27
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Tout à fait d'accord, sur tout. Néanmoins une précision: les TLTRO sont (étaient) de l'argent prêté aux banques par la BCE pour éviter la crise de liquidité de 2009 et ne sont pas un problème. Les banques ont dû les rembourser, avec intérêts, et ...

à écrit le 31/05/2024 à 9:04
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Ben vas y gros augmente nous encore les prix... Ils sont complètement déconnectés de la réalité. Oui bien sûr il a raison mais avec 1ù de marge de manœuvre du fait de la servilité totale imposée envers les mégas riches, il a tort. Fauterait savoir ce...

le 31/05/2024 à 9:13
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il n'y a pas de transition ecolos pas plus que de rechauffement climatique mais une variation climatique la transition est une modification employer des mots pour culbabilise n'est pas la solution alors il faut comptabiliser tous les voyage en a...

le 31/05/2024 à 9:51
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Il faut chercher autre chose surtout et ça urge et aucun dirigeant n'est en état intellectuel de le voir. Dommage elle est vraiment magnifique cette humanité quand on sait regarder.

le 02/06/2024 à 10:30
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Votre déni est ...inqualifiable. Je n'hésite donc pas à reprendre ma remarque ci-dessus "La transition écologique n'est-elle "qu'une difficulté (donc passagère), qu'un prétexte"? Si on s'en tient aux paramètres climatiques, nous serons à la fin du si...

à écrit le 31/05/2024 à 9:01
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La "transition écologique" ne veut rien dire ! C'est un dogme que l'on nous appliquera à coup de réforme pour des intérêts privés ! C'est une "transition énergétique", une "adaptation écologique" mais... distinctement les deux ! ;-)

à écrit le 31/05/2024 à 8:52
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Et tous de se saisir de cette idée, non étayée par des plans raisonnables: "la transition énergétique va nécessiter d’énormes investissements". Il faut exiger de faire l’analyse, car toutes les gabegies, et bien sûr la poursuite des gabegies actuelle...

à écrit le 31/05/2024 à 7:58
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Avec son inflation, sa dette, et ses déficits, la France a du mal !

le 31/05/2024 à 8:51
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Parlez en a vos parents c est qui ont tout bouffé , fraudé pour se payer leur piscine , Tesla, résidence secondaire , assurance vie etc ….les miens ouvrier - employe sont toujours en hlm…

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