« Un gouvernement de techniciens constituerait un danger pour les armées » (Guillaume Ancel, ancien officier et écrivain)

ENTRETIEN - L’essayiste analyse les conséquences de l’incertitude politique actuelle pour les militaires.
Guillaume Ancel, ancien officier et écrivain
Guillaume Ancel, ancien officier et écrivain (Crédits : © LTD / ASTRID DI CROLLALANZA/OPALE.PHOTO)

LA TRIBUNE DIMANCHE - Pendant une période d'instabilité, comment fonctionnent les rapports entre l'armée et l'exécutif ?

GUILLAUME ANCEL - La difficulté, c'est que formellement le président est le chef des armées. Mais c'est un domaine partagé avec le Premier ministre. Le gouvernement peut s'opposer à la politique du président. À l'inverse, il ne peut pas fixer une politique sans l'accord du président. Il y a donc un partage déséquilibré où le chef de l'État a un droit de veto, mais où c'est le gouvernement qui dispose des clés du garage. Ce qui est compliqué pour les forces armées, c'est que le président est leur chef, mais aussi le chef d'état-major, nommé par le président, et la première autorité qui s'impose à eux est le ministre des Armées. Normalement, il y a donc une hiérarchie alignée, mais si elle ne l'est pas, ça bloque le système.

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Donc, aujourd'hui, il n'est pas bloqué ?

Non, car le ministre et le chef d'état-major n'ont pas changé. Mais c'est une situation de transition, qui ne peut pas durer car les décisions ne se prennent que pour le moyen ou le long terme. Le dialogue ne pourra avoir lieu qu'avec un gouvernement stable. Aujourd'hui, aucune décision lourde ne peut être prise sans la certitude que le gouvernement sera encore en place d'ici plusieurs mois.

À court terme, ce blocage a-t-il des conséquences sur la politique française, notamment en Ukraine ?

Pour l'instant, toutes les annonces sont maintenues. La règle est : tant qu'il n'y a pas eu un ordre contraire, on continue. L'armée continuera donc à faire ce qu'on lui a indiqué, conformément aux décisions du gouvernement. Mais en cas de gouvernement non aligné avec le président, quels seront les arbitrages ? En Ukraine comme ailleurs, des engagements doivent se terminer, d'autres doivent commencer. S'il n'y a pas de pouvoir pour donner des ordres, l'armée ne pourra que continuer les missions dans lesquelles elle est lancée. Et cela n'a pas beaucoup de sens dans les cas où la situation change très vite, comme en Ukraine. Cette absence de ligne claire a donc des conséquences à l'international. Par exemple, l'accueil de Macron au sommet de l'Otan a été glacial, car beaucoup d'autres membres se demandent à quoi il joue. Du côté de nos partenaires, qui considéraient la France comme un pays clé, il y aura une forte défiance en fonction de ce qu'il sera capable de faire. Et en l'absence d'un gouvernement fort, difficile de faire croire que la France peut jouer un rôle.

Avec cette dissolution, une défiance peut-elle aussi s'instaurer dans l'état-major vis-à-vis de l'exécutif ?

La situation est perturbante car elle est incertaine. Ils sont dans un paquebot et ils ont besoin d'un cap. Paradoxalement, les militaires ont été privilégiés par Macron, mais je pense qu'ils ont peu apprécié son caractère jupitérien. Il n'écoute aucun conseil, à l'inverse de ses prédécesseurs. Par exemple, sur la guerre en Ukraine, il a été très allant sur certains sujets et l'envoi de certaines fournitures, beaucoup moins sur d'autres, et cela pouvait perdre en cohérence. Il y a aussi des sujets sur lesquels Macron a fait, à mon sens, des erreurs importantes. Je ne suis pas sûr que la hiérarchie ait compris la dernière loi de programmation militaire, qui structure le budget des armées sur sept ans. Aucun choix européen n'a été fait, alors qu'il aurait pu donner une impulsion dans ce sens et montrer que l'on peut investir lourdement. Car si l'armée russe attaque l'Otan, on serait bien obligés de s'impliquer alors qu'aujourd'hui on ne sait plus mener une guerre de haute intensité comme en Ukraine. Mais le président a décidé tout seul et il n'est pas revenu sur sa politique de défense malgré des conseils inverses.

Les militaires sont dans un paquebot et ils ont besoin d'un cap

Pourrait-on assister dans les semaines qui viennent à une évolution de leurs rapports ?

Cela resterait compliqué car les armées de terre, de l'air et de marine sont aussi en concurrence entre elles. Elles ont beaucoup de mal à se mettre d'accord sur une politique. Selon moi, c'est donc au chef d'état-major des armées de garantir l'équilibre. Le pouvoir politique est ainsi déterminant, puisque c'est le rôle des ministres des armées et de Macron de réaliser les arbitrages.

Aujourd'hui, quel gouvernement correspondrait le mieux aux armées ?

Le corps militaire n'est pas un corps avec une expression politique. Il a un devoir de neutralité. Mais aujourd'hui, je pense que les armées ne seraient pas inquiétées tant que La France insoumise et le Rassemblement national restent à distance, même si le Nouveau Front populaire était amené à gouverner. Par exemple, quand Charles Hernu a été nommé lors de l'arrivée au pouvoir de Mitterrand, tout le monde a cru au séisme et, en fin de compte, jamais un ministre de la Défense ne s'est autant occupé d'eux. Là où c'est beaucoup plus ambigu, c'est dans le cas d'un gouvernement de techniciens. Cela représenterait un danger pour les armées, car il y aurait le problème de finances. Si le prochain budget n'est pas adopté, celui de l'année précédente est reconduit à l'identique. Donc, sur les gros projets d'investissements militaires, ce serait à Bercy d'arbitrer. Et avec un gouvernement de techniciens, la tentation serait grande de faire des économies et de laminer consciencieusement le budget des armées.

* Saint-Cyr, à l'école de la Grande Muette, Flammarion.

Commentaires 3
à écrit le 15/07/2024 à 9:42
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La question n'est pas tant la couleur politique du gouvernement que celle de son soutien ou de sa censure à l'Assemblée nationale. Des "techniciens" (encore moins connus que les actuels ?) ne changeraient rien à cette situation ...

le 23/07/2024 à 8:47
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c'est la vision macroniste pour la france apres avoir dénigré les fonction des élus maire , depute et sénateur pour leur substituer des commissions de tratuffe choisi par lui meme.il continue a detruire la pays et personne ne se revolte. surtout p...

à écrit le 14/07/2024 à 6:55
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