Projet de loi immigration : Darmanin face au quatuor du Luxembourg

À la veille de l’examen au Sénat du texte sur l’immigration, le ministre de l’Intérieur doit composer avec Gérard Larcher, Bruno Retailleau, Hervé Marseille et François-Noël Buffet.
Le ministre de l’Intérieur au Sénat lors des questions au gouvernement, le 28 juin.
Le ministre de l’Intérieur au Sénat lors des questions au gouvernement, le 28 juin. (Crédits : latribune.fr)

La réunion a eu lieu mardi matin dans le bureau de Gérard Larcher. Autour du président du Sénat, ils sont trois : Bruno Retailleau, le chef des sénateurs LR, François-Noël Buffet, celui de la commission des lois, et Hervé Marseille, à la tête du groupe Union centriste. Durant une heure, ils échangent sur l'examen du projet de loi immigration. Le rendez-vous approche : il sera débattu à partir du 6 novembre.

Depuis plus d'un an, le texte de Gérald Darmanin suit un parcours législatif très chaotique. Son passage au Sénat sera une première étape décisive. Pour que celle-ci se passe au mieux, le ministre de l'Intérieur soigne ses relations avec les quatre piliers du Palais du Luxembourg. Le 20 septembre, il a petit-déjeuné avec Bruno Retailleau. Le 3 octobre, il a reçu Hervé Marseille. Le 9, il a écrit à François-Noël Buffet. « Très sincèrement et à disposition pour travailler ensemble », a-t-il conclu sa missive. Au cœur de leurs échanges figurent deux articles de son texte : le 3, qui prévoit des titres de séjour pour les étrangers exerçant dans des « métiers en tension », et le 4, censé faciliter l'accès de certains demandeurs d'asile au marché du travail.

« L'article va sauter »

Les quatre hommes n'ont pas la même approche. Les trois LR sont intraitables sur ces deux dispositions du projet de loi. « S'il y a une trace de ces deux articles, pas de vote », insiste Bruno Retailleau, qui ne veut même pas entendre parler de leur réécriture. François-Noël Buffet considère que le ministre de l'Intérieur a commis une vraie faute stratégique en les intégrant à son texte, puisque la gauche de la majorité macroniste en a désormais fait des totems. Le 4 octobre, Gérard Larcher a réaffirmé à Emmanuel Macron, qui l'avait convié à déjeuner à l'Élysée, son opposition. « 434 000 étrangers en situation régulière sont inscrits au chômage », lui a-t-il rappelé pour justifier son non. « Croyez-vous que c'est autant ? » lui a répondu le chef de l'État. « On ne veut pas refaire une loi Collomb 2018 », prévient en privé le sénateur des Yvelines.

En face, Hervé Marseille se veut, lui, moins tranché. Le centriste trouve ces montées de voix démesurées. Il juge que les dispositifs envisagés par l'exécutif permettront de répondre à de vraies réalités et ne concerneront au final que très peu de personnes. S'il n'est pas opposé à la disparition de l'article 3, il souhaite néanmoins que le sujet des « métiers en tension » soit résolu par voie réglementaire ou à travers un autre article de la loi. Le sénateur des Hauts-de-Seine estime aussi que Gérald Darmanin a déjà accédé à beaucoup de demandes de la droite et du centre et qu'il faut savoir passer des compromis. Au Palais du Luxembourg, il a du poids : sans lui, Les Républicains n'ont pas, loin de là, la majorité.

Pour le ministre de l'Intérieur, Hervé Marseille est un allié. Les deux hommes entretiennent de très bonnes relations. Le président de l'UDI est allé à Tourcoing assister à sa rentrée, le 27 août. Avec Bruno Retailleau, c'est plus compliqué. Le Vendéen n'est jamais avare de critiques à l'égard du disciple sarkozyste. Leur dernier tête-à-tête, le 20 septembre, s'est achevé de manière tendue. « Tu peux me dire ce que tu veux, l'article 3 va sauter », a prévenu Bruno Retailleau. François-Noël Buffet se situe, lui, dans une catégorie intermédiaire. Gérald Darmanin tente donc de tisser un lien de confiance avec lui. Place Beauvau, on martèle que nombre de mesures pour simplifier les procédures ont été inspirées des travaux de l'élu du Rhône. « Je souscris très largement aux ajouts [de votre commission], qui vont dans le sens d'une meilleure maîtrise de nos frontières et d'une pleine souveraineté de la France pour décider qui peut entrer sur notre sol », lui a écrit le ministre dans sa lettre, « regrettant » néanmoins que les sénateurs soient revenus sur des aspects musclés de son texte.

« Petite soupe »

« Darmanin sait qu'au Sénat il y a un usage particulier qui fait que la majorité ne contredit jamais le président de la commission des lois, décrypte un parlementaire LR de premier plan. Il veut saucissonner Buffet, façon rosette de Lyon, pour mettre les sénateurs devant le fait accompli, et pour que Retailleau soit obligé d'avaliser un deal entre Beauvau et Buffet. C'est très malin. » Si le coup est risqué, tant il braque l'entourage de Bruno Retailleau, le ministre de l'Intérieur a-t-il une autre voie de passage ? « Un climat positif est en train de se créer autour du texte sorti de la commission ; je ne suis pas optimiste, mais ce n'est pas fermé », veut croire François-Noël Buffet. « Le ministre de l'Intérieur semble dans de bonnes dispositions de dialogue », notait Gérard Larcher, le 4 octobre dans Le Figaro.

Mais dans cette affaire, une dimension interne complique tout. Entre sénateurs et députés LR, le différend stratégique est profond autour du projet de loi immigration. Les premiers entendent accoucher d'un texte à leur sauce. Les seconds ne veulent pas de texte du tout (celui-ci arrivera en décembre ou en février à l'Assemblée). Pour le chef du groupe LR au Palais-Bourbon, Olivier Marleix, il est hors de question de donner le moindre quitus à Emmanuel Macron dans ce domaine régalien.

Le 4 octobre, un dîner a réuni Éric Ciotti, Gérard Larcher et les deux présidents de groupe parlementaire. Ils n'ont pu que constater leur désaccord. Ce mardi, lors du conseil stratégique du parti, Olivier Marleix et Bruno Retailleau en ont encore débattu. Calme, le Vendéen a fini par laisser échapper une pointe d'agacement. « Moi, mon groupe, je le tiens ! » a-t-il lâché, faisant allusion au manque d'unité entre les députés LR. « Nos collègues sénateurs savent que ce qui se joue est trop décisif pour avaler la petite soupe préparée par M. Darmanin sur son petit réchaud », affirme à La Tribune Dimanche Olivier Marleix. « Nous n'avons pas l'intention d'être les variables d'ajustement des errements de LR », soupire Hervé Marseille.

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