Alain Terrenoire en a vu d'autres. Plus jeune député de l'Assemblée nationale après les législatives de 1967, ce « gaulliste de gauche » a siégé dans le même hémicycle que Pierre Mendès France, Waldeck Rochet et François Mitterrand. Il a vu vaciller le gouvernement Pompidou, fragilisé par sa majorité étriquée, ses alliés centristes peu fiables et, surtout, la grève générale ordonnée par les syndicats. La fièvre étudiante est venue décupler les convulsions sociales de ces Trente Glorieuses finissantes. À l'issue des événements de Mai 68, le général de Gaulle a rebattu les cartes en prononçant une dissolution de la chambre basse. Alain Terrenoire a été réélu dans la Loire, chevauchant l'ultime vague de soutien au héros de la France libre.
Xavier Bertrand aime à puiser dans ce genre d'expérience. Mi-juillet, celui qui revendique la filiation gaulliste a sondé l'ancien élu UDR, un ami, sur l'opportunité d'aller à Matignon. « Je l'ai senti disponible, rapporte Alain Terrenoire, maniant l'euphémisme. Xavier n'est pas un macroniste acharné, il a une expérience ministérielle sans tache indélébile, il a une orientation plutôt sociale, et il a été soutenu par la gauche aux régionales de 2015 contre le FN. Les socialistes ne lui sont pas hostiles par principe. Après, il n'est pas de Gaulle... En tout cas, il a la prétention de ne pas le prétendre. » Au minimum, le président des Hauts-de-France croit être l'homme du moment. Il l'a toujours pensé, sans que les circonstances lui donnent gain de cause. Depuis les dernières législatives, Xavier Bertrand a multiplié les consultations, activant ses différents réseaux. Du côté de l'Élysée, on n'écarte pas la piste.
Auprès des médias, l'ex-ministre de Nicolas Sarkozy teste des formules. Le 3 juillet, durant l'entre-deux-tours, il appelle à la formation d'un « gouvernement provisoire ». Le 9, il nuance ses allusions à l'après-guerre et parle d'un exécutif « d'urgence nationale ». Son entourage souhaite une « cohabitation », admettant qu'il s'agit là d'un abus de langage : sur les fondamentaux de la démocratie libérale, l'Europe ou l'économie de marché, l'intéressé et le président de la République sont proches. Comme tout le monde, le dirigeant du parti Nous France tâtonne. Comment obtenir une majorité à peu près stable dans l'Assemblée la plus morcelée de la Ve République ? Comment faire voter un budget censé aboutir, selon Bercy, à 25 milliards d'euros d'économies sans embraser le pays ? Comment entraîner des députés engourdis par la crainte, légitime, d'une nouvelle dissolution dès 2025 ?
35 « bonnes volontés » à trouver
À l'instar de nombreux caciques du centre et de la droite, Xavier Bertrand sait que rien n'est possible, à moyen terme, sans « arracher » la gauche modérée à son accord électoral avec La France insoumise. Un hypothétique socle alliant macronistes, Droite républicaine et indépendants de Liot aboutit à un total de 235 sièges au Palais-Bourbon. Si loin des 289 requis pour une majorité absolue. D'où l'insistance des bertrandistes dès qu'il est question de leurs bons rapports avec une partie du PS, des communistes et des syndicats réformistes. Un conseiller se hasarde au comptage. Il évalue à 35 le nombre d'élus du Nouveau Front populaire qui pourraient soutenir les textes d'un gouvernement issu de cet arc des « bonnes volontés », autre expression de l'ex-maire de Saint-Quentin.
Plus prudente, une autre fidèle s'en tient à évoquer le profil de Dominique Potier, l'un des rares socialistes à ne pas avoir voté la première motion de censure déposée par la gauche contre Élisabeth Borne. Un membre du groupe DR mentionne des échanges réguliers entre Xavier Bertrand et Arnaud Montebourg. La tribune signée récemment dans La Croix par Guillaume Garot, député PS réélu et ancien ministre de François Hollande, a suscité l'intérêt du candidat à Matignon. Son titre ? « Le travail transpartisan peut éviter les blocages ». Pour attirer sociaux-démocrates et gauche républicaine, l'équipe Bertrand invoque une martingale : la promesse d'instaurer la proportionnelle à un tour aux législatives. Ce mode de scrutin, arlésienne de la présidence Macron, délesterait le PS (sur le papier) d'un besoin de s'allier avec LFI, dont la radicalité déplaît aux électeurs des circonscriptions plus modérées.
Les Républicains divisés
Le président des Hauts-de-France a bien d'autres verrous à faire sauter. Sa relation glaciale avec le chef de l'État en est un. « C'est la grosse case qu'il ne coche pas », grince un sarkozyste qui a discuté il y a quelques jours avec Xavier Bertrand. Durant l'échange, ce dernier a donné son avis sur un autre nom qui circule, celui de Michel Barnier : « Il a pu l'imaginer, mais il n'y a pas la majorité pour. » Mais l'ex-député de l'Aisne l'a-t-il, lui, ne serait-ce qu'en Macronie ? Au sein du camp présidentiel, il sait qu'il peut compter sur l'appui d'Hervé Marseille, chef des sénateurs centristes, et surtout de Gérald Darmanin, jadis son bras droit à la Région. Les deux hommes se sont parlé avant et après les élections du 7 juillet. Le ministre de l'Intérieur démissionnaire a besoin de reprendre l'avantage dans son bras de fer avec Gabriel Attal, qui chapeaute désormais les 99 élus Ensemble pour la République. Or, avec un gouvernement Bertrand, le premier conserverait peut-être un ministère régalien, mais le second aurait la main sur le principal groupe du bloc central au Palais-Bourbon.
Chez LR, les choses ne sont pas plus simples. Les soutiens actifs de Xavier Bertrand y sont minoritaires, bien qu'une part croissante des députés Droite républicaine lorgne l'idée d'une coalition avec les macronistes. Laurent Wauquiez - qui veut être le recours de son camp pour la prochaine présidentielle - y est totalement opposé. Idem pour son homologue du Sénat Bruno Retailleau, dont certains collègues ont envisagé d'écrire une tribune pro-Bertrand. Le « pacte législatif » défendu par les deux leaders parlementaires a permis de temporiser. « Ils sont persuadés de pouvoir encore jouer l'indépendance, glisse un proche de Xavier Bertrand. Wauquiez pense qu'une coalition est vouée à l'échec et que ça ne sert à rien de s'abîmer en travaillant avec Macron. » Une autre estime que, justement, le député de la Haute-Loire « peut parier sur un plantage » et laisser son rival aller à Matignon. Si cela advient, aurait glissé le Nordiste à l'un de ses interlocuteurs récents, « vu la situation, il faut écarter 2027 ». Pour la droite ou pour Xavier Bertrand ?