Mgr Éric de Moulins-Beaufort : « Il y a une différence infinie entre laisser mourir et faire mourir »

ENTRETIEN - De l’accueil des migrants au projet de loi sur la fin de vie en passant par l’inscription de l’IVG dans la Constitution, les sujets de désaccord avec le gouvernement se multiplient.
L’archevêque de Reims, à Lourdes, le 20 mars.
L’archevêque de Reims, à Lourdes, le 20 mars. (Crédits : LTD / PIERRE VINCENT)

C'est à l'archevêché de Reims - à côté de la cathédrale où étaient sacrés les rois de France et où il célébrera la messe de Pâques ce dimanche - que l'archevêque de Reims, Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France (CEF), a reçu La Tribune Dimanche.

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LA TRIBUNE DIMANCHE - Quel est pour les catholiques le sens de la fête de Pâques alors que la guerre se poursuit en Ukraine et à Gaza ?

MGR ÉRIC DE MOULINS-BEAUFORT - Pâques, c'est une immense surprise. Après sa crucifixion, Jésus, plus fort que la mort, ressuscite et nous entraîne dans sa victoire. À nous d'essayer de rendre ce monde meilleur. Comme l'a dit le sociologue Zygmunt Bauman, nous devons travailler à améliorer le monde et, si nous n'y arrivons pas, tentons au moins de nous améliorer nous-mêmes. Le Hamas a commis des actes atroces. J'appelle à la libération des otages et au cessez-le-feu dans cette guerre menée au prix de la mort de milliers de civils. Israël est un État : comme les autres, il se doit de respecter le droit international. Même chose pour la Russie, qui a envahi le territoire de l'Ukraine, dont les habitants résistent pour leur liberté et la nôtre.

Les mesures prises par les pouvoirs publics pour assurer la sécurité des lieux de culte, depuis l'attentat de Moscou, sont-elles suffisantes ?

Voilà malheureusement des dizaines d'années que nous vivons en France avec cette menace. Nous sommes donc habitués à faire attention. Nous serons vigilants. Nous sommes bien aidés par le plan Vigipirate. Je remercie les membres des forces de l'ordre mobilisés pendant la nuit de Pâques partout en France. Cette nuit, plus de 12 000 personnes ont été baptisées - un chiffre en hausse de 30 %, comme l'an passé. Nous les recevons avec gratitude et espérance.

À deux mois des élections européennes, la liste du Rassemblement national fait la course en tête dans les sondages. Que vous inspire l'attrait électoral pour l'extrême droite ?

C'est un phénomène que l'on constate dans de nombreux pays européens. Nous sommes dans une période de rejet des élites, de mise en doute de tous ceux qui exercent le pouvoir et des partis de gouvernement. L'opinion n'a plus confiance, d'où la tentation d'essayer autre chose. Pour ma part, je veux redire que le projet européen est profondément spirituel : des nations qui se sont fait la guerre pendant des siècles choisissent de devenir interdépendantes et de créer des liens de paix entre elles. Le continent européen ne doit pas se replier sur lui-même, il a une responsabilité à l'égard du monde : celle de créer une culture de coopération et de paix. Les évêques transfrontaliers de France, d'Allemagne, de Belgique et du Luxembourg vont le rappeler dans une lettre commune.

Que pensez-vous de la loi immigration, votée avec les voix du RN et depuis partiellement censurée par le Conseil constitutionnel ?

À Marseille, avant que ce projet de loi ne soit discuté, le pape a lancé un appel non seulement à la France mais à toute l'Europe, pour que nous ne perdions pas notre âme. Il pressent que, face au phénomène migratoire qui nous fait peur, nous risquons d'éteindre en nous la capacité de réagir avec humanité aux besoins d'hommes et de femmes qui sont nos frères et sœurs en humanité. Nous, évêques, avons indiqué nos points d'inquiétude sur cette loi. Nous essayons aussi d'agir. À Reims, l'association Humanité, Fraternité, Asile, dont plusieurs des initiateurs sont catholiques, a souhaité avec tout un réseau de bénévoles pouvoir proposer des repas aux familles migrantes installées dans un parc. Une salle paroissiale a pu être mise à leur disposition tous les jours depuis près d'un an.

Pourquoi vous opposez-vous au projet de loi sur la fin de vie, qui doit être présenté en Conseil des ministres en avril ?

Depuis des années, nous appelons au développement des soins palliatifs. Comme le Comité consultatif national d'éthique l'a dit, la condition première avant toute modification de la loi Claeys-Leonetti, c'est la mise en place d'unités de soins palliatifs sur tout le territoire, comme le prévoit cette loi de 2016. Or, on est très loin du compte. Dans le projet de loi actuel, le volet sur les soins palliatifs est extrêmement allusif alors qu'il y a une description très minutieuse de l'« aide à mourir », une formule qui désigne en fait le suicide assisté et l'euthanasie. Or, il y a une différence infinie entre laisser mourir et faire mourir. Ceux qui essaient de nous faire croire que c'est une loi de fraternité nous trompent. La fraternité, ce n'est pas regarder quelqu'un se suicider, voire l'aider à se donner la mort, mais s'engager auprès de lui pour l'encourager à vivre. Notre société est fondée sur l'interdit de donner la mort. Robert Badinter le savait bien, lui qui a toujours dit son opposition à toute idée d'aide active à mourir.

La France est le premier pays à avoir inscrit, le 4 mars 2024, l'IVG dans sa Constitution. Pourquoi vous y être opposé ?

Cette révision constitutionnelle est une occasion manquée. Alors que chaque année en France une centaine de femmes meurent sous les coups de leur (ex-)compagnon, il aurait mieux valu inscrire dans la Constitution que la République protège les droits des femmes et des enfants. Dans un pays où le nombre d'avortements [230 000 par an] est l'un des plus élevés en Europe, je regrette que nous n'ayons pas un débat sur ce fait : que révèle-t-il des relations hommes-femmes, de l'éducation des jeunes à la compréhension de la sexualité, des conditions de logement dans notre pays ? D'autres pays européens font mieux.

Le projet européen est profondément spirituel

Le pape François n'a pas suivi vendredi soir le chemin de croix. Êtes-vous inquiet pour sa santé ?

Je ne suis pas inquiet, non. La dernière fois que je l'ai vu, en décembre, il était en forme. À peine le pape élu, on prépare déjà la suite ! François ne donne pas du tout le sentiment de vouloir renoncer. Il donne à voir une figure différente de ses prédécesseurs, parlant sur des registres plus variés. Et il incarne avec force l'attention de l'Église aux pauvres et aux périphéries.

Que ferez-vous le 26 juillet, jour de la cérémonie d'ouverture des JO de Paris ?

Si je suis invité, j'irai bien sûr volontiers ; sinon, je la regarderai comme tout le monde à la télévision ! Je partage le souhait de l'archevêque de Paris et de l'évêque de Saint-Denis de permettre à des personnes en situation de précarité et de handicap de participer à la joie de ces Jeux. Que ces Jeux soient vraiment une fête pour tous.

Le flop de la bénédiction des couples homos

Trois mois après la publication par le Vatican le 18 décembre 2023 de la déclaration « Fiducia supplicans », autorisant la bénédiction des couples de même sexe, les homos ne se bousculent pas sous les porches des églises pour demander la fameuse bénédiction ! « Bien que curé dans le Marais, un quartier historiquement gay, je n'ai aucune demande de couple d'hommes ou de femmes ! » constate Pierre Vivarès, curé de la paroisse Saint-Paul à Paris. Tout en faisant remarquer qu'il bénit des personnes tous les jours, le prêtre ajoute : « En revanche, j'ai des couples gay gentiment pratiquants qui m'ont demandé de baptiser leur enfant, ce que j'ai fait bien sûr. »

« D'un point de vue canonique, il n'y a aucune raison de refuser le baptême à un enfant issu d'un couple homoparental », poursuit Yves Trocheris, curé de l'église Saint-Eustache à Paris. Connue pour son ouverture aux artistes et aux gays depuis les années sida, la grande paroisse des Halles est la seule, parmi la dizaine sollicitée, à avoir reçu récemment quelques demandes (« moins de cinq ») de bénédictions de couples gay.

« Elle est perçue comme un truc au rabais »

« Le texte du Vatican, qui a surtout une portée symbolique, ne répond pas à une attente réelle ; d'ailleurs, nous avons zéro demande », note Benoît Stemler, vicaire à la paroisse Saint-Michel aux Batignolles, à Paris. Si lui non plus n'a pas été sollicité sur le sujet, Benoist de Sinety, curé de la paroisse Saint-Eubert, à Lille, estime que c'est « parce que trop peu de couples homos se sentent assez à l'aise dans l'Église ».

Président de l'association LGBT chrétienne D&J Arc-en-ciel (ex-David & Jonathan), Cyrille de Compiègne fait le même constat : « Aucun de nos 400 adhérents n'a demandé de bénédiction, mais nous avons un couple d'hommes qui y réfléchit. » Le président de D&J Arc-en-ciel ne fait pas mystère des raisons du flop : « L'enthousiasme qui a suivi ce signal très fort du Vatican est retombé, car le texte n'est pas clair, et cette bénédiction donnée en dehors de toute cérémonie religieuse est perçue comme un truc au rabais. » Impossible de dresser un bilan chiffré : les diocèses ne comptabilisent pas les bénédictions qui ne sont pas un sacrement.

Commentaires 3
à écrit le 02/04/2024 à 10:18
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Ben au moins on sait quelle idéologie laisse souffrir les gens avant de mourir depuis toujours.

à écrit le 02/04/2024 à 8:51
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Il a le droit de dire ce qu'il veut, et il aura le droit de faire ce qu'il veut, la loi qui va être discutée n'entend nullement obliger qui que ce soit à se suicider, il s'agit simplement d'ouvrir ce DROIT. Nous sommes dans une république laïque et n...

à écrit le 01/04/2024 à 10:21
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Les religions ont la responsabilité de centaines de millions de morts au cours des siècles. Leur message d'amour, de fraternité, la compassion, le pardon est dès l'origine dévalorisé. Les religions sont un instrument de pouvoir. POINT. Conséquence, ...

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