![Jean-Luc Mélenchon et Rima Hassan lors d’un meeting improvisé à Lille le 18 avril.](https://static.latribune.fr/full_width/2375103/jean-luc-melenchon-et-rima-hassan-lors-d-un-meeting-improvise-a-lille-le-18-avril.jpg)
De l'alliance scellée il y a deux ans, il ne reste plus rien. C'est l'histoire sidérante d'un jeu de massacre entre les responsables de gauche qui a pris ces dernières semaines une nouvelle tournure.
4 avril - Prise de distance
Depuis ses bureaux de la rue de Rivoli qui offrent une vue à 180 degrés sur Paris et le jardin des Tuileries, François Hollande rédige les dédicaces de son nouveau livre, Leur Europe, expliquée aux jeunes et aux moins jeunes, qui paraît chez Glénat jeunesse. Le candidat des socialistes est le seul auquel il en envoie un exemplaire, assorti de ce mot : « Pour Raphaël Glucksmann qui va faire le meilleur résultat pour permettre aux Françaises et aux Français de croire au destin de leur Europe. Bien amicalement. » Les deux hommes avaient déjeuné ensemble en décembre, mais depuis ils n'ont plus échangé. Le fondateur de Place publique a même pris ses distances avec l'ancien président. Est-ce pour faire taire les Insoumis, qui répètent que Raphaël Glucksmann n'incarne qu'une copie du hollandisme ? L'essayiste n'a pas lu l'ouvrage de l'ancien chef de l'État.
18 avril - Un billet pour Lille
Sur le téléphone de Manon Aubry, c'est le nom de Jean-Luc Mélenchon qui s'affiche. Le leader Insoumis demande à la candidate aux européennes de prendre le premier train pour Lille. Heureusement, elle est à Paris et la ville de Martine Aubry n'est qu'à une heure de TGV. Après avoir passé sa matinée avec Adrien Quatennens, Jean-Luc Mélenchon a appris que la conférence sur la Palestine qu'il devait donner le soir même avec Rima Hassan à l'université de Lille a été annulée. Les Insoumis montent un meeting improvisé en extérieur pour dénoncer une atteinte à la liberté d'expression. Sur l'estrade, ils sont une dizaine d'élus à débarquer pour faire bloc. Dans une diatribe relevée, Jean-Luc Mélenchon ose un parallèle entre le directeur de l'université de Lille et le criminel nazi Adolf Eichmann. C'est la seule chose que l'on retiendra de cette journée.
François Ruffin a organisé un meeting pour Manon Aubry lundi à Amiens. (© LTD / Charles Bury / Sipa)
30 avril - « Tu te rends compte de ce que tu dis »
Les écologistes sont furieux. « J'en veux beaucoup à Jean-Luc Mélenchon », lâche l'un d'eux. Son discours de Lille ne passe pas. À quoi bon brutaliser en permanence le débat public ? Leur candidate Marie Toussaint, dont la campagne est quasi inaudible, s'en prend rarement à ses rivaux de gauche. Mais ce matin-là, elle ne peut pas laisser passer. Sur Public Sénat, elle condamne « des propos inacceptables ». De toute façon, entre Insoumis et écologistes, les relations se sont notoirement dégradées. Les premiers n'ont jamais digéré que les seconds refusent catégoriquement l'idée d'une candidature commune pour les européennes. Quand Jean-Luc Mélenchon avait déjeuné avec la patronne du parti, Marine Tondelier, en février dernier près de la gare de l'Est, le moment n'avait pas été des plus agréables. Le leader Insoumis lui avait reproché sa sortie sur France Culture, lorsqu'elle avait demandé à lui « couper Twitter ». « Tu te rends compte de ce que tu as dit ? Qu'il fallait couper mon Twitter ! » tempête Jean-Luc Mélenchon. Le déjeuner n'était ni cordial ni amical et n'a débouché sur rien.
1er mai - La bascule
Raphaël Glucksmann ne s'attendait pas à ça. Lorsqu'en ce jour de Fête du travail il veut se mêler au cortège qui défile dans les rues de Saint-Étienne, des manifestants l'en empêchent. Il est exfiltré en a chant un sourire qui ne dit rien de sa colère. Sur LCI, une séquence tourne en boucle d'un militant Insoumis expliquant pourquoi le candidat n'avait pas sa place ici. Le député européen a aussi vu de ses propres yeux des drapeaux non seulement des jeunes communistes mais aussi de La France insoumise. Choqué, il appelle tout de suite son ami devenu conseiller pour cette campagne, Pierre Natnaël Bussiere. Ce dernier rédige un texte qu'ils retravaillent ensemble. Cela fait un moment que ce doctorant le répète : « Il faut intimider les intimidateurs. » Une heure plus tard, la charge est publiée sur tous les réseaux sociaux sur lesquels le candidat est assez influent (Instagram, Twitter, Linkedin, Facebook). D'ordinaire prompt à la modération, l'essayiste accuse nommément Jean-Luc Mélenchon. Alors qu'ils s'apprêtent à défiler à Paris, l'Insoumis et ses proches tentent de calmer la nouvelle tornade dans laquelle ils sont plongés. Selon eux, il n'y avait qu'un seul militant LFI dont ils se désolidarisent. « Raphaël Glucksmann, excusez-vous ! » sermonne sur Twitter, Jean-Luc Mélenchon. Ce 1er mai marque une bascule. C'est la première fois que les deux hommes se brouillent publiquement et si frontalement. Qu'il paraît loin ce jour de l'automne 2023 où ils s'étaient croisés par hasard dans le train Paris-Clermont. L'essayiste s'était invité dans le carré du tribun de la gauche. Ce jour-là, ces deux lecteurs de Machiavel avaient refait le monde pendant trois heures et les Insoumis n'avaient rien trouvé à redire au discours du fondateur de Place publique. Le député LFI Paul Vannier lui avait même glissé : « C'est drôle, tu parles comme un Insoumis. »
2 mai - « Une diversion de campagne »
Rima Hassan ne peut pas sortir de la voiture. Des militants de l'organisation « Nous vivrons », collectif de lutte contre l'antisémitisme qui s'est créé au lendemain du 7 octobre, empêchent la candidate aux élections européennes d'accéder à un meeting de La France insoumise à Bezons, organisé par les députés LFI Paul Vannier et Antoine Léaument. Tous deux portent aussitôt plainte pour « menace » et « entrave à la liberté d'expression » contre cette association qu'ils qualifient d'« extrême droite ». Parmi ses membres se trouve une militante socialiste parisienne, comme le révèle L'Opinion. Les Insoumis réclament des sanctions la visant. Paul Vannier envoie ce texto à Pierre Jouvet, numéro trois de la liste de Raphaël Glucksmann et bras droit d'Olivier Faure : « Allez-vous prendre des mesures la concernant ? » En réalité, le PS ne compte prendre aucune sanction, à moins que des faits de violence soient avérés par la justice. « C'est une manière pour eux de dire : "Ce n'est pas que nous les méchants." Ça s'appelle une diversion de campagne », souffle Pierre Jouvet.
Face à François Hollande, Marine Tondelier met sur la table l'idée d'une candidature unique
3 mai - « Plein les poches »
Manon Aubry s'estime trop « grassement » payée au Parlement européen. Alors, sur les 7 776 euros qu'elle touche chaque mois, la députée en reverse une partie à La France insoumise, qui a désigné l'ennemi dans ses a ches de mobilisation : « Les riches votent, et vous ? » À Strasbourg, elle a fait des rémunérations annexes des élus européens l'un de ses principaux sujets. Sur une a che intitulée « Ces députés qui s'en mettent plein les poches » et publiée sur les réseaux sociaux, elle compile les sommes supposées que percevraient certains députés européens. Raphaël Glucksmann toucherait donc « entre 12 000 et 60 000 euros ». Il s'agit en réalité des droits d'auteur pour ses livres publiés chez Allary Éditions. « Manon Aubry a tué le sujet, elle a blessé un certain idéal à gauche. Au moins, tout le monde peut voir de quoi ils sont capables », constate un proche du candidat. Lui est atterré mais cette fois, il ne réagira pas. Les électeurs sauront d'eux-mêmes quoi en penser.
4 mai - « Publicité mensongère »
Engluée dans des sondages qui ne dépassent pas les 7,5 %, Marie Toussaint revoit sa stratégie. La candidate des Écologistes est en meeting à Bordeaux. La trentenaire s'en prend au vote socialiste, « du Canada Dry », à Raphaël Glucksmann, ce « produit sympa qu'on met en vitrine pour cacher les restes de la boutique ». Plus tard, elle parlera même de « publicité mensongère ». Où est donc passée celle qui théorisait « la douceur en politique » ? Le candidat des socialistes décolle dans les sondages jusqu'à frôler les 15 % et devient l'homme à abattre à gauche. Fini les pudeurs de gazelle.
5 mai - Pas un mot
C'est l'un des rares conseils que Jean-Luc Mélenchon a donnés à Manon Aubry : faire une sieste avant tout débat. Mais la candidate de 34 ans ne l'applique pas. Ce dimanche du mois de mai, elle enchaîne le débat sur RTL, le premier où tous les candidats sont présents, avec le 20 Heures de TF1. Avec Raphaël Glucksmann, elle n'échange pas un mot. Pendant les coupures pub, c'est avec sa rivale écologiste Marie Toussaint qu'elle discute pendant que cette dernière grignote des barres de céréales pour tenir le coup. Les Insoumis restent convaincus de leur supériorité sur leurs anciens alliés écolos. « Marie Toussaint est en train de disparaître », résume froidement un cadre LFI.
Le 4 mai à Bordeaux, Marie Toussaint attaque ses adversaires. (© LTD / Laetitia Notarianni / Hans Lucas)
7 mai - Des croissants et 2027
Ce mardi matin, François Hollande reçoit Marine Tondelier pour un petit déjeuner. C'est la cheffe du parti Les Écologistes qui a demandé à voir l'ancien président. Sa candidate est au plus mal dans les sondages et le spectre de ne pas dépasser la barre des 5 % hante les écologistes. Que se passera-t-il pour la gauche après le 9 juin ? Face à lui, Marine Tondelier ne cache pas les ambitions de son parti pour les élections municipales de 2026. Mais pour 2027, elle est plus modeste et lucide. Personne n'a de stature présidentielle chez eux. Alors, Marine Tondelier met sur la table l'idée d'une candidature unique pour le premier tour de l'élection présidentielle, qui irait des frondeurs Insoumis, comme François Ruffin, jusqu'au PS. François Hollande n'est pas hostile à une candidature commune entre socialistes et écologistes mais pour lui, hors de question que les Insoumis fassent partie de l'aventure. Au lendemain des européennes, Les Écologistes plancheront sur un programme à même de rassembler tout le monde, lui fait savoir Marine Tondelier. La question de l'incarnation viendra après.
8 mai - Réagir ou pas ?
« La gauche coloniale ». Personne chez les Insoumis n'utilise cette expression. Rima Hassan l'écrit sur Twitter, accompagnée d'une photo de Carole Delga et de cette citation : « Oui, il faut interdire les manifs pro-palestiniennes en France. » Il s'agit en fait d'une phrase prononcée par la présidente socialiste de la Région Occitanie, quatre jours après les attaques du 7 octobre, ce que le tweet de Rima Hassan ne précise pas. Faut-il réagir ou pas ? Carole Delga hésite. C'est tomber dans son piège, mais cela lui permettra aussi de montrer qu'elle a des soutiens. La socialiste, souvent ciblée par Jean-Luc Mélenchon, finit par le faire.
À ce moment-là, le silence du premier secrétaire, Olivier Faure, auquel elle a toujours reproché d'avoir passé un accord avec les Insoumis, ne lui échappe pas.
12 mai - « Nous les avons crus »
Ce dimanche midi, Raphaël Glucksmann est l'invité de Dimanche en politique sur France 3. Interrogé pour savoir s'il est favorable au retour à la retraite à 60 ans, il répond : « Ça peut se discuter, c'est pas 60 ans universel, ça sera pas 60 ans universel. » À entendre ces mots sur cette question totémique et toujours brûlante à gauche, les Insoumis s'étranglent. La retraite à 60 ans fait partie du programme de la Nupes signé par Olivier Faure en juin 2022. « Olivier Faure est mort et il s'est tué tout seul. Les socialistes sont comme leurs aînés, ce sont des menteurs. Nous les avons crus », lâche un membre de la direction. Les Insoumis ciblent de manière coordonnée le premier secrétaire du PS. Lequel a coupé les ponts avec eux. Il n'a plus eu aucun échange avec Jean-Luc Mélenchon depuis l'été dernier. Lorsqu'il croise son bras droit Manuel Bompard à l'Assemblée nationale, ils se disent « bonjour », rien de plus.
François Hollande en tournée pour la promotion de son livre, ici à Paris pour le Festival du livre. (© LTD / Bruno Lévy / Divergence Images)
13 mai - Un coup de main remarqué
« Qu'est-ce que je peux faire pour t'aider ? » François Ruffin veut jouer un rôle dans la campagne de Manon Aubry. La candidate apprécie le dévouement de celui qui nourrit des ambitions pour 2027. Ce lundi soir, le député de Picardie organise un meeting dans sa ville pour la candidate aux européennes, où il parvient à faire venir 500 personnes. La date a été choisie en fonction du salon Choose France. Comme ça, pendant qu'Emmanuel Macron accueille 180 patrons étrangers à Versailles, eux parlent vie chère et réindustrialisation à Amiens. Sur scène, François Ruffin étrille les socialistes. Sa sortie est appréciée chez les Insoumis, dont certains le soupçonnent de vouloir pactiser avec eux en vue de 2027. Le lendemain, c'est Raphaël Glucksmann qui est à Amiens. Cela fait trois fois que les deux candidats de gauche se succèdent dans les mêmes villes, après Strasbourg et Grenoble. Les Insoumis ont remarqué que la salle qu'il avait louée était plus petite que la leur, on se rassure comme on peut.
14 mai - Le silence pour réponse
Tous les lundis, Olivier Faure passe une tête au QG de campagne de Raphaël Glucksmann, à quelques mètres de la place de la République. C'est là que se tiennent les réunions autour du directeur de campagne, Éric Andrieu, ancien député socialiste européen. Avec lui, les échanges sont fluides. Ça change de 2019, quand le directeur de campagne d'alors, Carlos Da Silva, ancien conseiller de Manuel Valls, ne fonctionnait qu'aux rapports de force. En ce début de semaine, les attaques des Insoumis contre Raphaël Glucksmann, « qui liquide le programme de la Nupes », sont à l'ordre du jour des discussions. Comment y répondre ? « On ne va pas entrer dans un débat de charretiers », défend Olivier Faure. Tout le monde est d'accord, la meilleure stratégie reste le silence. Et puis, quel est le rapport entre la réforme des retraites et les élections européennes ?
18 mai - « Pour l'histoire »
Après une intense semaine où il a multiplié les déplacements, Raphaël Glucksmann est à Perpignan, sur les terres RN. Pour conclure sa campagne, son équipe a choisi un point diamétralement opposé, Lille. Dans la ville de Martine Aubry, où il donnera un meeting le 7 juin, à quarante-huit heures du scrutin, il pourra glorifier l'Europe de Jacques Delors. Martine Aubry apprécie le quadragénaire. Elle qui reste silencieuse dans cette campagne lui a apporté son soutien le 1er mai, lorsqu'il a été évacué du cortège. Elle fait partie de ceux avec qui Raphaël Glucksmann échange régulièrement. Comme point d'orgue de la campagne, les Insoumis ont, eux, choisi les docks d'Aubervilliers, où ils se réuniront tous le 25 mai. C'est sur cette même scène qu'ils avaient célébré en mai 2022 la Nouvelle Union populaire écologique et sociale, lorsque la gauche croyait alors se « rassembler pour l'Histoire ». C'était il y a vingt-quatre mois.