Émeutes en Nouvelle-Calédonie : nuit de chaos à Nouméa

Par latribune.fr  |   |  1777  mots
La Nouvelle-Calédonie a connu une nuit d'émeutes d'une violence d'une « grande intensité » dans l'agglomération de Nouméa, de lundi à mardi. (Crédits : Delphine Mayeur / Hans Lucas via Reuters Connect)
Le gouvernement de Nouvelle-Calédonie a lancé mardi un appel à « la raison et au calme » après les émeutes qui ont dévasté Nouméa la veille pendant l'examen, par l'Assemblée nationale à Paris, d'une révision constitutionnelle décriée par les indépendantistes.

Des maisons en feu, « des tirs tendus avec armes de gros calibre, des carabines de chasse, sur les gendarmes » sur la commune du Mont-Dore selon le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, des véhicules incendiés, des magasins pillés, des affrontements entre manifestants et forces de l'ordre... La Nouvelle-Calédonie a connu une nuit d'émeutes d'une violence d'une « grande intensité » dans l'agglomération de Nouméa de lundi à mardi.

« Il n'y a pas eu de morts », a dit le haut-commissaire de la République lors d'une conférence de presse, en appelant au calme. Un couvre-feu a été décrété de mardi 18H00 à mercredi 06H00, a annoncé dans un communiqué diffusé peu après 08H00 locales mardi (23H00 lundi à Paris) le représentant de l'Etat dans ce territoire du Pacifique Sud. En outre, tout rassemblement est interdit dans le grand Nouméa, de même que le port d'armes et la vente d'alcool dans l'ensemble de la Nouvelle-Calédonie, indique le haut-commissariat, qui invite les 270.000 habitants du territoire à rester chez eux.

De « nombreux » membres des forces de l'ordre ont été blessés lors de ces affrontements, ont précisé les services de l'Etat, mais aucun blessé grave n'est à déplorer « au sein de la population ». Selon le haut-commissariat, au moins 36 gendarmes ont été blessés et 48 personnes interpellées.

Gabriel Attal réagit à propos des violences

« La violence n'est jamais justifiée ni justifiable », a estimé Gabriel Attal mardi. « La priorité, évidemment, pour nous, c'est de rétablir l'ordre, le calme et la sérénité », a ajouté le Premier ministre en marge d'un déplacement en Savoie. Gabriel Attal, pressé par trois de ses prédécesseurs de reprendre la main sur ce dossier piloté historiquement par Matignon, a aussi assuré qu'il « serait au rendez-vous (...) pour avancer dans le dialogue » dans ce dossier très sensible.

Dans l'agglomération, les dégâts sont considérables. A l'entrée de la « capitale » calédonienne, une importante usine spécialisée dans l'embouteillage a été victime d'un incendie volontaire et totalement ravagée par les flammes aux alentours de 22H00 lundi (13H00 à Paris), a constaté une journaliste de l'AFP. Une trentaine d'émeutiers y étaient retranchés mardi. « Nous leur demandons instamment de quitter les lieux, en raison du risque d'explosion imminent » de deux cuves d'hydrogène situées sur le site, a indiqué Louis Le Franc.

Plusieurs supermarchés ont été pillés à Nouméa, mais aussi dans les villes limitrophes de Dumbéa et du Mont-Dore. Au moins deux concessions automobiles étaient également la proie des flammes vers 23H00, a aussi pu constater l'AFP. Depuis la tombée de la nuit, gendarmes mobiles et policiers ont été aux prises avec de jeunes manifestants masqués ou encagoulés, qui se sont notamment emparés de plusieurs ronds-points. Des feux ont été allumés sur la chaussée pour entraver la circulation tandis que des tirs de lanceur de balles de défense et de grenades de désencerclement se faisaient entendre dans toute l'agglomération.

Les pompiers ont enregistré près de 1.500 appels et recensé environ 200 foyers. Des centaines de voitures ont été incendiées, de même que plus d'une trentaine d'entreprises, de commerces et d'usines, selon un regroupement des représentants du patronat.

Dans les quartiers nord de Nouméa, le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie Louis Le Franca déploré « des destructions de commerces, de pharmacies et de domiciles ». « On a malheureusement pu constater des exfiltrations d'habitants de leur domicile pour qu'ensuite leur domicile soit brûlé », a-t-il ajouté.

« Nous avons été confrontés depuis plus de 24 heures à un vrai déchaînement de haine, un déferlement de jeunes souvent alcoolisés, manifestement manipulés et d'une violence assez inouïe », a déploré le général Nicolas Matthéos, commandant de la gendarmerie de Nouvelle-Calédonie.

Dans la crainte d'un enlisement, le Raid, quatre escadrons de gendarmes mobiles et deux sections de la CRS 8, unité spécialisée dans la lutte contre les violences urbaines, ont été mobilisés. Quinze renforts du GIGN devaient être également envoyés à Nouméa.

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Une mobilisation indépendantiste

Les premières altercations avec les forces de l'ordre ont commencé lundi dans la journée, en marge d'une mobilisation indépendantiste contre une réforme constitutionnelle examinée à l'Assemblée nationale, qui vise à élargir le corps électoral aux élections provinciales, cruciales en Nouvelle-Calédonie.

Si la situation semblait un peu plus calme mardi matin, les rues sont encore le théâtre d'affrontements et de nombreuses scènes de chaos, notamment en banlieue nouméenne où un supermarché, forcé à la voiture-bélier pendant la nuit, continue d'être pillé par la population. De nombreux commerces portent également les traces de tentatives d'effraction.

Rares sont les commerçants à avoir maintenu une activité. De longues files d'attente s'allongent devant les quelques-uns restant ouverts.

La présidente de l'organisation patronale Medef Nouvelle-Calédonie, Mismy Daly, a lancé « un appel au calme ». « Il faut sécuriser les entreprises détruites qui présentent un risque pour les riverains. En une nuit, ce sont près de 1.000 emplois qui ont été potentiellement détruits. C'est un drame humain, on ne comprend pas ».

En marge de la fermeture des commerces, les réseaux de transports en commun ont été coupés. Le gouvernement calédonien a annoncé la fermeture des lycées et collèges jusqu'à nouvel ordre. L'aéroport international est fermé et la compagnie Aircalin a suspendu ses vols pour la journée de mardi.

Les déplacements dans l'agglomération sont par ailleurs extrêmement difficiles, de nombreux barrages ayant encore cours. Des points de blocage rendent particulièrement difficile l'intervention des forces de l'ordre, d'autant qu'elles doivent être présentes pour sécuriser le travail des pompiers.

Une organisation atypique

Décisive en Nouvelle-Calédonie où les trois provinces détiennent une grande partie des compétences, l'élection provinciale répond à une organisation atypique, issue de l'accord de Nouméa signé en 1998 puis d'une réforme constitutionnelle de 2007. Conformément à l'article 77 de la Constitution, le corps électoral de ce scrutin se limite essentiellement aux électeurs inscrits sur les listes pour la consultation de 1998 et à leurs descendants, excluant de facto les résidents arrivés après 1998 et de nombreux natifs.

Au fil des ans, ces conditions restrictives ont augmenté la proportion d'électeurs privés de droit de vote au scrutin provincial alors qu'ils sont autorisés à voter aux élections nationales (présidentielle, municipales...).

En 2023, cela concernait ainsi près d'un électeur sur cinq, contre seulement 7,5% en 1999, une situation « contraire aux principes démocratiques et aux valeurs de la République », selon le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin.

La proposition du gouvernement

Pour y remédier, le gouvernement souhaite élargir le corps électoral avec un système toujours restreint mais « glissant », en l'ouvrant à tous les natifs et aux personnes domiciliées sur le territoire calédonien depuis au moins dix ans. Environ 25.000 électeurs pourraient alors intégrer la liste électorale.

Au cours d'une séance tendue lundi à l'Assemblée nationale, Gérald Darmanin a appelé les députés à adopter sans modification la réforme, qui ouvre le scrutin provincial aux résidents installés depuis au moins dix ans sur l'île.

Alors qu'un vote solennel était normalement prévu mardi après-midi, les débats à l'Assemblée nationale n'ont pas pu être menés à leur terme dans la nuit, en raison d'un grand nombre d'amendements déposés notamment par le groupe Insoumis. Le nouveau calendrier sera acté mardi matin.

L'exécutif entend d'abord laisser une chance aux négociations locales entre loyalistes et indépendantistes. Gérald Darmanin a assuré que les parties prenantes seraient invitées « rapidement » à Paris pour « discuter autour du Premier ministre, autour du gouvernement ». Mais cette « main tendue » est pour le moment « refusée » par le camp indépendantiste, selon lui.

Les indépendantistes, opposés à la réforme, accusent l'Etat de vouloir passer en force pour « minoriser encore plus le peuple autochtone kanak », qui représentait 41,2% de la population de l'archipel au recensement de 2019, selon l'Insee.

Au Parlement, le principe de l'élargissement du corps électoral semble faire consensus, mais la méthode exaspère les oppositions. Lundi encore, la France insoumise a exhorté le gouvernement de « cesser d'attiser les tensions qui fracturent la population », redoutant une « véritable bombe contre la paix civile ».

« En choisissant de passer en force, le gouvernement refuse de retrouver l'esprit d'impartialité qui devrait guider ses choix », avait auparavant regretté la sénatrice socialiste Corinne Narassiguin, plaidant pour qu'une révision constitutionnelle n'intervienne qu'après la signature d'un accord local global sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

Gérald Darmanin défend lui une logique inverse : « C'est bien le projet de loi constitutionnelle et son avancée qui permettent l'accord », avait-il affirmé.

Le texte a été nettement remodelé par la majorité sénatoriale avant son adoption le 2 avril par la Chambre haute. Cette dernière a approuvé le principe de l'élargissement électoral aux natifs et résidents installés depuis dix ans en Nouvelle-Calédonie, mais a modifié les modalités d'application de la réforme.

Le Sénat a notamment supprimé « l'ultimatum » gouvernemental pour un accord le 1er juillet au plus tard, en ouvrant la possibilité pour les parties locales d'y parvenir jusqu'à dix jours avant les prochaines élections provinciales, ce qui reporterait le scrutin.

Autres modifications particulièrement agaçantes pour le gouvernement : l'obligation de repasser devant le Parlement pour acter les clauses d'inscription sur les listes électorales, qui ne sont pas détaillées dans la loi actuellement examinée, alors que l'exécutif espérait le faire par décret.

L'adoption d'une réforme constitutionnelle est loin d'être aisée pour le gouvernement, surtout dans une situation de majorité relative à l'Assemblée nationale. Si elle se prononce en faveur du texte, la moindre modification sémantique à la Chambre basse par rapport aux termes approuvés par le Sénat entraînera une nouvelle navette parlementaire.

En cas de vote « conforme », la révision constitutionnelle sera enfin soumise à tous les parlementaires réunis en Congrès à Versailles au début de l'été. Une majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés sera alors nécessaire.

Emmanuel Macron a promis dimanche de ne pas convoquer le Congrès « dans la foulée » du vote de l'Assemblée, selon son entourage, pour « privilégier le dialogue ».

(Avec AFP)