Émeutes en Nouvelle-Calédonie : Macron demande au gouvernement de déclarer « l’état d’urgence »

Par latribune.fr  |   |  2441  mots
Au micro de RTL ce matin, le ministre de l'Intérieur et des Outre-Mer Gérald Darmanin a fait aussi état de « centaines » de personnes été blessées, dont une « centaine » de policiers et gendarmes. (Crédits : Delphine Mayeur / Hans Lucas via Reuters Connect)
La Nouvelle-Calédonie s'est réveillée ce mercredi après une deuxième nuit consécutive d'émeutes, pendant que les députés votaient à Paris la révision constitutionnelle du corps électoral à l'origine de la colère du camp indépendantiste. Au moins trois morts et des centaines de blessés sont recensés. Le président de la République a demandé au gouvernement de déclarer « l'état d'urgence ».

[Article publié mercredi 15 mai à 8h12, mis à jour à 15h30] Nouvelle nuit de violences en Nouvelle-Calédonie. Pour rappel, celles-ci sont provoquées par une réforme du code électoral de Nouvelle-Calédonie, votée par l'Assemblée nationale, mais rejetée par les indépendantistes. Selon un nouveau bilan de l'Elysée, encore amené à évoluer, trois personnes sont mortes et des centaines d'autres blessées dans l'archipel depuis le début des violences.

Au regard de la gravité de la situation, le président de la République a convoqué ce mercredi matin une réunion de crise. Le chef de l'État a pour cela annulé un déplacement prévu en Seine-Maritime (nord-ouest), où il devait inaugurer un parc d'éoliennes en mer, et a participé dans la matinée à un Conseil de défense et de sécurité nationale. « Toutes les violences sont intolérables et feront l'objet d'une réponse implacable pour assurer le retour de l'ordre républicain », a affirmé l'Elysée dans un communiqué, à l'issue de cette rencontre qui a rassemblé un nombre restreint de ministres. « Le président de la République a rappelé la nécessité d'une reprise du dialogue politique », est-il précisé.

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L'état d'urgence demandé

Dans ce contexte Emmanuel Macron a « demandé que le décret visant à déclarer l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie soit inscrit à l'ordre du jour du Conseil des ministres qui se réunira à 16h30 » ce mercredi, a indiqué l'Elysée. La droite et l'extrême droite avaient d'ailleurs pressé ces dernières heures l'exécutif de le décréter.

Ce régime d'exception, précédemment instauré huit fois en France dont une fois en Nouvelle-Calédonie, peut être décrété en cas de péril imminent (attentat, guerre) ou de calamité publique (catastrophe naturelle d'une ampleur exceptionnelle). Créé en 1955, durant la guerre d'Algérie, l'état d'urgence permet notamment aux ministres et préfets d' « interdire la circulation des personnes ou des véhicules » dans certains lieux ou à certaines heures (couvre-feux), ainsi que les réunions ou des manifestations sur la voie publique, ou encore d'ordonner la remise d'armes. L'État peut également assigner à résidence toute personne « à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics » et ordonner « des perquisitions en tout lieu, y compris un domicile » sauf quelques rares exceptions.

Décidé par décret en Conseil des ministres, la durée initiale de l'état d'urgence est de douze jours. Il peut être institué sur tout ou partie du territoire. Sa prolongation doit être autorisée par le Parlement avec le vote d'une loi.

Une rencontre entre les parties prenantes à Paris

De son côté, le Premier ministre a affirmé mercredi qu'il allait proposer une date de rencontre à Paris aux parties prenantes de Nouvelle-Calédonie, comme demandé par Emmanuel Macron. « Je leur proposerai dans les prochaines heures une date pour les recevoir à Matignon en compagnie du ministre de l'Intérieur et des Outremer, pour poursuivre l'échange et le dialogue » et « construire » une « solution politique globale », a déclaré Gabriel Attal à l'Assemblée nationale, lors de la séance des questions au Premier ministre. Pour autant « la priorité, c'est de retrouver l'ordre, le calme et la sérénité », a-t-il répété en rendant hommage à « l'ensemble des forces de sécurité ».

Un peu plus tôt dans la journée, les cinq principaux partis indépendantistes et non-indépendantistes de Nouvelle-Calédonie ont appelé « solennellement l'ensemble de la population » du territoire « au calme et à la raison » ce mercredi. « Nous sommes convaincus que c'est par le dialogue et la résilience que nous pourront sortir collectivement de cette situation », ont écrit dans un communiqué commun l'UC-FLNKS, l'Union nationale pour l'indépendance, Les Loyalistes, le Rassemblement-LR et l'Éveil océanien.

Déjà trois morts

La première victime de ces émeutes, les plus graves depuis celles qui ont agité le territoire français du Pacifique Sud dans les années 1980, est décédée des suites de ses blessures après avoir été touchée par des tirs avec deux autres personnes, a annoncé le représentant de l'Etat français. Le Haut-commissaire de la République, Louis Le Franc, a précisé devant la presse que la victime n'avait pas été atteinte par un « tir de la police ou de la gendarmerie, mais de quelqu'un qui a certainement voulu se défendre ». La deuxième personne décédée a également trouvé la mort pendant la nuit, mais le Haut-commissariat, n'a, pour le moment, pas donné de précisions sur les circonstances de sa mort. Aucune information n'a été donnée par l'Elysée quant à la troisième victime.

« Je vous laisse imaginer ce qui va se passer si des milices se mettaient à tirer sur des gens armés », a aussi expliqué le Haut-commissaire de la République, déplorant une situation qu'il a qualifiée d'« insurrectionnelle » dans l'archipel. « L'heure doit être à l'apaisement (...) l'appel au calme est impératif », a-t-il martelé.

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Un gendarme mobile a par ailleurs été grièvement blessé par balle à la tête, son pronostic vital étant engagé, a appris l'AFP de source proche du dossier et de la gendarmerie ce mercredi à la mi-journée. Les faits ont eu lieu dans le secteur de Plum, au sud de l'île, a précisé la gendarmerie, précisant que le militaire avait été pris en charge pour des premiers soins au Régiment d'infanterie maritime du Pacifique (RIMAP).

Au micro de RTL ce matin, le ministre de l'Intérieur et des Outre-Mer Gérald Darmanin a fait état de « centaines » de personnes été blessées dont une « centaine » de policiers et gendarmes. Les « circonstances » dans lesquelles une personne a été tuée par balles dans la nuit de mardi à mercredi restent à « préciser », a ajouté le ministre. Des « dizaines » de « maisons, d'entreprises » ont été brûlées, a-t-il également annoncé.

Le Haut-commissaire a également fait état de plusieurs « échanges de tirs de chevrotine entre les émeutiers et les groupes de défense civile à Nouméa et Païta » et d'une « tentative d'intrusion à la brigade (de gendarmerie) de Saint-Michel ». Les forces de l'ordre ont mené un total de 140 interpellations dans la seule agglomération de Nouméa, selon un nouveau bilan dressé par Louis Le Franc.

Les cinq principaux partis indépendantistes et non-indépendantistes de Nouvelle-Calédonie ont appelé « solennellement l'ensemble de la population » du territoire « au calme et à la raison » ce mercredi. « Nous sommes convaincus que c'est par le dialogue et la résilience que nous pourront sortir collectivement de cette situation », ont écrit dans un communiqué commun l'UC-FLNKS, l'Union nationale pour l'indépendance, Les Loyalistes, le Rassemblement-LR et l'Éveil océanien.

Des infrastructures publiques brûlées

Par ailleurs, malgré l'instauration d'un couvre-feu dans l'agglomération de Nouméa mardi dès 18h00 locales (09h00 à Paris), les actes de vandalisme n'ont pas cessé. Louis Le Franc a fait état de « graves troubles à l'ordre public (...) toujours en cours », dont de « nombreux incendies et pillages de commerces et d'établissements publics ».

Plusieurs infrastructures publiques de Nouméa ont brûlé dans la nuit, a constaté un correspondant de l'AFP. Des voitures accidentées ou calcinées étaient également visibles un peu partout dans les rues, alors que des camions transportant des gendarmes mobiles, entre autres forces de l'ordre, sillonnaient la ville.

Mercredi matin, faute d'approvisionnement des commerces, les pénuries alimentaires ont provoqué de très longues files d'attente devant les magasins. Certains à Nouméa étaient pris d'assaut, d'autres étaient quasiment vides, n'ayant plus de pain ni de riz à vendre.

Le GIGN et le Raid mobilisés

Dans un bilan provisoire rendu public mardi, le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin avait fait état de « plus de 70 policiers et gendarmes blessés » dans les violences. Et « 80 chefs d'entreprises ont vu leur outil de production brûlé ou détruit ». Les premières altercations entre manifestants et forces de l'ordre avaient commencé dans la journée de lundi, en marge d'une mobilisation indépendantiste contre la réforme constitutionnelle.

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Dans la crainte d'un enlisement, des éléments du GIGN, du RAID (son équivalent pour la police), quatre escadrons de gendarmes mobiles et deux sections de la CRS 8, une unité spécialisée dans la lutte contre les violences urbaines, ont été mobilisés. D'autres renforts étaient en cours d'acheminement dans l'archipel, selon Gérald Darmanin.

Cinquante membres du GIGN vont être envoyés en Nouvelle-Calédonie d'ici la fin de la semaine, a précisé une source proche du dossier à l'AFP, ce qui portera à une centaine les effectifs de l'unité d'élite de la gendarmerie dans l'archipel.

Des violences « indigne(s) », selon Emmanuel Macron

Emmanuel Macron a condamné ce mercredi matin le « caractère indigne et inacceptable » des violences et appelé toutes les parties au « calme ».

« Les choix des anciens et l'histoire de la Nouvelle-Calédonie imposent à chacun aujourd'hui de condamner toutes ces violences sans ambiguïté et d'appeler au calme, alors que les discussions sur l'avenir doivent reprendre », a écrit le président français dans un courrier aux représentants de Nouvelle-Calédonie.

Dans le même temps, en métropole, l'Assemblée nationale a adopté dans la nuit de mardi à mercredi par 351 voix contre 153 le texte, qui élargit le corps électoral. La réforme devra encore réunir les trois cinquièmes des voix des parlementaires réunis en Congrès à Versailles.

Ce projet de loi constitutionnelle vise à élargir le corps électoral aux élections provinciales, cruciales dans l'archipel. Le corps électoral actuel se limite essentiellement aux électeurs inscrits sur les listes pour une précédente consultation en 1998 et à leurs descendants, excluant de facto les résidents arrivés après 1998 et de nombreux natifs.

Le Congrès se réunira fin juin en l'absence d'accord

Le chef de l'Etat a précisé que le Congrès se réunirait « avant la fin juin », à moins qu'indépendantistes et loyalistes ne se mettent d'accord d'ici là sur un texte plus global. « Il s'agira, collectivement et en responsabilité, de trouver un accord qui dépasse le seul dégel (du corps électoral, ndlr) et tienne compte du chemin parcouru et des aspirations de chacun », a écrit le chef de l'Etat dans un courrier.

Si un accord est trouvé pour une révision constitutionnelle plus large, un « nouveau projet de loi constitutionnelle » sera déposé par le gouvernement, précise Emmanuel Macron. Les discussions pourront notamment porter sur l'organisation de l'autodétermination future et sur la répartition des compétences entre les provinces et le gouvernement de Nouvelle-Calédonie.

Un ultimatum vertement critiqué par les connaisseurs du dossier calédonien. « Le calendrier comme couperet, ça ne marche jamais, ça produit l'effet inverse », a expliqué à l'AFP Jean-François-Merle, ancien conseiller outre-mer de Michel Rocard à l'époque des accords de Matignon de 1988.

« Maintenant que le feu est déclenché », il va falloir « trouver une solution de médiation » avec « des gens qui puissent être considérés comme au-dessus de la mêlée », a-t-il ajouté.

À ce sujet, il a acquiescé à la piste de l'ex-Premier ministre Lionel Jospin évoquée dans la presse et observant que « quelqu'un comme Edouard Philippe aurait aussi sa légitimité ». Un autre ancien chef de gouvernement, Jean-Marc Ayrault, a lui aussi déclaré à l'AFP qu'il fallait « absolument mettre en place une mission de dialogue ». Mais « si le délai c'est fin juin, c'est un peu court », a-t-il souligné, rappelant que le Conseil d'État a fixé « la date ultime pour tenir des élections provinciales en décembre 2025 ». Il est donc « encore temps de rétablir la confiance, mais sans surenchère », a-t-il insisté.

Les indépendantistes ont « pris acte » de la réforme

Les partisans de l'indépendance jugent que ce dégel risque de « minoriser encore plus le peuple autochtone kanak ». Devant la presse, le président indépendantiste du gouvernement du territoire, Louis Mapou, a « pris acte » de la réforme votée à Paris mais a déploré une « démarche qui impacte lourdement notre capacité à mener les affaires de la Nouvelle-Calédonie ».

« Nous lançons un appel au calme », a poursuivi Louis Mapou. « Les mobilisations doivent se passer dans un cadre », a enchaîné le président du sénat coutumier Victor Gogny, « Depuis deux jours on est sorti de ce cadre et le pays est en feu. Il faut revenir dans ce cadre et que tout se calme ».

L'Exécutif sous la pression de l'opposition

Les oppositions font monter la pression autour de la sécurité de l'archipel. « Il ne peut pas y avoir de dialogue dans la chienlit », a insisté le chef des sénateurs LR Bruno Retailleau tandis que son homologue à l'Assemblée, Olivier Marleix, a estimé qu' « il faut aussi mobiliser l'armée ». Pas en reste, la patronne du Rassemblement national Marine Le Pen avait également affirmé sur X, avant qu'il ne soit décrété, que « la gravité des violences qui se déroulent en Nouvelle-Calédonie nécessite la proclamation de l'état d'urgence », quand son rival d'extrême droite Eric Zemmour avait lui aussi approuvé ce scénario « s'il est nécessaire ».

L'ancien Premier ministre socialiste Manuel Valls a aussi jugé auprès de l'AFP que « le retour à l'ordre ne se négocie pas ». Néanmoins « il faut reprendre le fil du dialogue », a-t-il ajouté, assurant que « les bases d'un accord global existe », à condition de « ne pas fermer la possibilité pour les kanaks de revoter un jour » malgré les trois référendums perdus sur l'indépendance. Une rare convergence de vue avec le député LFI Adrien Quatennens, qui a martelé qu' « un accord global est possible et souhaitable ». Son leader Jean-Luc Mélenchon a ensuite interpellé le chef de l'Etat sur X : « Président Macron, il est temps de faire les gestes qui apaisent ».

Les députés socialistes ont de leur côté plaidé pour « la suspension du projet de loi constitutionnelle et la non-convocation du Congrès ». Car, dans ce territoire d'outre-mer où « il y a un fait colonial », l'emploi de « la répression, la force et l'autoritarisme, soit les méthodes coloniales, pour le régler est la pire méthode », a insisté l'écologiste Sandrine Rousseau.

(Avec AFP)