À la lecture du tweet, François Hollande a été à la fois surpris et amusé. L'ancien président a fait l'objet d'une attaque frontale de Sophia Chikirou, très proche de Jean-Luc Mélenchon. La députée parisienne a publié ce commentaire lundi sur X, alors même que les discussions au sein du Nouveau Front populaire sont au point mort : « Le hollandisme, c'est comme les punaises de lit : tu as employé les grands moyens pour t'en débarrasser, tu y as cru quelque temps et tu as repris une vie saine (à gauche) mais en quelques semaines, ça gratte à nouveau et ça sort de partout... Il va falloir recommencer ! » Mercredi soir au Sénat, face aux parlementaires socialistes, François Hollande a répondu par la dérision : « Je connais bien Sophia Chikirou. Je l'ai exclue du PS en 2007 parce qu'elle avait appelé à voter pour Nicolas Sarkozy. » Invité vendredi soir sur BFMTV, Jean-Luc Mélenchon a évoqué une « plaisanterie » de la députée insoumise. Mais il ne rigolait plus lorsqu'il est revenu la seconde suivante sur des propos de François Hollande, qui lui avait demandé fin juin de « se taire » pour « rendre service au Nouveau Front populaire » : « C'est la première fois dans la vie politique qu'un homme de gauche est interpellé par quelqu'un d'autre qui se dit de gauche et qui lui demande de se taire, c'est la première fois ! »
Deux semaines après l'arrivée en tête du Nouveau Front populaire aux législatives, c'est la rivalité ancienne et profonde entre Jean-Luc Mélenchon et François Hollande qui refait surface, symptomatique de cette gauche qui n'arrive pas à s'accorder afin de soumettre un nom pour Matignon. « Jean-Luc Mélenchon voit le PS avec un vieux logiciel. Il est dans une concurrence permanente avec celui qui a été son adversaire pendant quarante ans, estime le numéro deux du parti, Pierre Jouvet. Il s'est construit sur l'idée que François Hollande avait trahi les espoirs du peuple de gauche. Aujourd'hui, pour motiver leurs militants, les Insoumis réactivent ce procès, mais c'est un prétexte pour refuser de gouverner ! »
« Tu aurais dû m'avertir avant »
Le plus paradoxal dans cette histoire, c'est que les actuels dirigeants du PS ont en réalité tout mis en œuvre pour tourner définitivement la page Hollande. Le premier secrétaire du parti, Olivier Faure, entretient des relations très fraîches avec l'ancien président. Lorsque ce dernier a décidé d'être candidat en Corrèze, il ne l'a même pas prévenu. Le chef du parti lui a glissé son amertume par texto : « Tu aurais dû m'avertir avant. »
Quand Jean-Luc Mélenchon a appris que François Hollande se portait candidat en Corrèze, il a eu une réaction, dans Le Figaro, presque courtoise au regard de la détestation entre les deux hommes : « Ce sera drôle s'il est élu. D'abord, parce qu'il a de l'humour. Ensuite, car il a des comptes à régler. Ce sera intéressant de le voir faire. Mais, bien sûr, il n'aura aucun rôle officiel. » En 2011, celui qui était alors candidat du Front de gauche à l'élection présidentielle qualifiait son rival socialiste de « capitaine de pédalo » dans la tempête. En privé, François Hollande parle aujourd'hui de Jean-Luc Mélenchon comme d'un « instituteur ».
C'est peu dire que ni l'un ni l'autre n'aurait imaginé se retrouver un jour de 2024 au sein d'une même coalition. Lorsqu'ils étaient tous deux au PS, où ils s'étaient affrontés en duel pour le poste de premier secrétaire, ils ne se supportaient pas. François Hollande prenait un malin plaisir à ne pas donner la parole à Jean-Luc Mélenchon quand ce dernier la demandait en claquant des doigts. Ou encore à lire ostensiblement les liasses de dépêches AFP lorsque le leader de la gauche socialiste intervenait, avant de l'interrompre par des « ça va, maintenant, il faut conclure ».
Aujourd'hui, ni l'ancien président ni le patron des Insoumis ne sont à la table des discussions du Nouveau Front populaire. Le premier s'en tient éloigné quand le second est suspendu au téléphone avec Manuel Bompard, qui mène les négociations pour La France insoumise. De l'avis de tous, le député des Bouches-du-Rhône a un lien « quasi filial » avec Jean-Luc Mélenchon. Lorsque le coordinateur de La France insoumise participait à la réunion en visio samedi soir dernier, Jean-Luc Mélenchon est apparu derrière son épaule. Il n'a pas pris la parole mais il était au côté de Manuel Bompard quand ce dernier a fait part à Olivier Faure de son « exaspération » face à « l'arrogance inouïe » des socialistes, qui refusaient la proposition d'Huguette Bello pour Matignon, la jugeant « pas sérieuse ».
À la table des discussions face aux Insoumis se trouve régulièrement Boris Vallaud, réélu président du groupe PS à l'Assemblée nationale. L'ancien secrétaire général adjoint de l'Élysée de François Hollande a largement pris ses distances avec lui mais, dans la tête des Insoumis, il reste l'un des artisans du quinquennat qu'ils ont tant détesté, marqué par la loi travail et la déchéance de nationalité. Lorsque le député des Landes a défendu, lors de ces négociations, la candidature d'Olivier Faure pour Matignon en parlant de « l'homme soutenu par tous les courants du PS », les Insoumis se sont étranglés de cette lecture « interno-interne » au parti.
François Hollande comme Jean-Luc Mélenchon sont chacun des repoussoirs pour un versant de la gauche. Pendant les négociations, Pierre Jouvet l'avait dit à Manuel Bompard : « Jean-Luc Mélenchon est un poison pour la gauche. » Les députés PS nouvellement élus l'ont aussi tous dit pendant leur première réunion de groupe : « Jean-Luc Mélenchon a été un boulet pendant la campagne. » À l'inverse, pour les Insoumis, François Hollande incarne cette gauche du renoncement, une social-démocratie bien trop molle à leur goût.
La radicalité contre le compromis
Derrière ces deux figures de la gauche, des logiques politiques s'entrechoquent. La fureur et la radicalité d'un côté, le compromis et la culture de gouvernement de l'autre. Ces deux gauches sont aujourd'hui contraintes au dialogue, mais chaque jour qui passe affiche leurs grandes difficultés à se mettre d'accord. « Le PS cherche à gouverner quand Jean-Luc Mélenchon veut témoigner de sa radicalité, résume l'ancien premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis. Ils n'ont pas le même objectif, ce qui rend l'entente quasi impossible. »
Chaque camp accuse l'autre de volonté hégémonique. D'une part parce que Jean-Luc Mélenchon est omniprésent, d'autre part parce que le PS serait trop gourmand aux yeux des Insoumis. « Les socialistes sont dans la nostalgie ou le fantasme d'un parti immense alors que tout cela est faux, pointe Paul Vannier, le négociateur pour LFI et député du Val-d'Oise. Il y a un revival hollandiste au PS, responsable du blocage dans lequel nous sommes. Ils sont dans une culture gestionnaire, l'une des principales caractéristiques du hollandisme. » Les Insoumis avaient déjà fait de la figure de l'ancien locataire de l'Élysée l'un de leurs principaux angles d'attaque lors de la campagne des élections européennes, allant jusqu'à dire que « voter Glucksmann, c'est voter Hollande », alors même que le candidat des socialistes ne s'est jamais affiché au côté de l'ancien président.
À 72 et 69 ans, Jean-Luc Mélenchon et François Hollande n'ont pas opté pour la même stratégie pour la suite. Après la bombe de la dissolution, le premier a hésité plusieurs jours. Pouvait-il se priver d'une tribune dans cet hémicycle où tout se jouera désormais ? S'il était candidat, ce serait soit à Marseille, où il a été député de 2017 à 2022, soit en Seine-Saint-Denis, où les Insoumis détiennent plusieurs circonscriptions en or. Mais le triple candidat à l'élection présidentielle n'a finalement pas voulu prendre la place d'un sortant.
Sept ans après avoir quitté le pouvoir, François Hollande a fait le choix inverse de redevenir député de Corrèze. Au Palais-Bourbon, l'ancien chef de l'État visait la présidence de la commission des Affaires étrangères. Mais il a bien senti que sa candidature ne faisait pas consensus en Macronie et qu'elle était même rejetée par les Insoumis. Il a donc décidé d'en être un simple membre. Marine Le Pen y siégera aussi. L'envie de la battre en 2027, c'est sans doute le seul point commun qu'il partage avec son rival Insoumis.