Tokyo et Manille votent Biden

CHRONIQUE LE MONDE À L'ENDROIT — la visite d’Etat du premier ministre japonais à Washington cette semaine a permis de constater à quel point les alliés de l’Amérique en Asie-Pacifique craignent un retour de Donald Trump à la Maison Blanche.
François Clemenceau
La chronique de François Clemenceau Le monde à l'endroit
La chronique de François Clemenceau Le monde à l'endroit (Crédits : © LTD / DR)

Qui se souvient encore de la visite au sommet de la Trump Tower de New York du Premier ministre japonais Shinzo Abe pour y rencontrer le vainqueur de la présidentielle américaine, neuf jours seulement après sa victoire de 2016 ? À ce personnage fantasque en qui il déclarait avoir « toute confiance », il offrit un club de golf plaqué or, espérant qu'il finirait peut-être par choyer le Japon. Grossière erreur : dès le premier jour de son mandat, Trump retirait les États-Unis du traité de libre-échange transpacifique, un accord patiemment négocié par l'équipe de Barack Obama et dont le Japon était le premier acteur parmi tous les États signataires de la zone Pacifique.

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Et que dire de la Corée du Nord ? Le milliardaire se voyait déjà, en un claquement de doigts et une tape dans le dos, mettre un terme aux velléités nucléaires de la dynastie tyrannique de Pyongyang dont la Corée du Sud et le Japon faisaient les frais depuis tant d'années. Côté chinois enfin, les sanctions américaines et la guerre commerciale déclenchée sous la présidence Trump contre Pékin n'ont en rien modifié la conduite de plus en plus agressive de Xi Jinping dans son environnement régional. Comment le « grand timonier » aurait-il d'ailleurs pu prendre au sérieux un président américain dont l'une des revendications, avant de visiter la base navale japonaise de Yokosuka, fut de masquer aux caméras le nom de l'un des bâtiments de l'US Navy qui y stationnait ? Les attachés de presse du Pentagone avaient réussi à bâcher le nom de l'USS John S. McCain, afin de ne pas rappeler aux Américains que le père et le grand-père du sénateur John McCain, le critique le plus intransigeant de Donald Trump au sein du parti républicain, furent des héros des États-Unis.

Le sommet entre les États-Unis, le Japon et les Philippines vise à sceller une alliance face à la Chine

L'actuel Premier Ministre japonais, Fumio Kishida, se souvient très bien de cette période désolante. Cet ancien chef de la diplomatie de Shinzo Abe fait partie des nombreux dirigeants conservateurs nippons qui pensent depuis près de vingt ans que le Japon doit adopter une politique de défense plus robuste. Pas seulement pour cesser d'être un géant économique doublé d'un nain militaire, mais aussi pour le prouver aux adversaires chinois, russe et nord-coréen et insérer cette stratégie dans un partenariat plus actif avec les autres alliés des États-Unis dans la région. C'est pourquoi la visite d'État cette semaine de Fumio Kishida à Washington était essentielle. Le chef du gouvernement nippon a obtenu de Joe Biden une revitalisation de la coopération stratégique entre les deux pays. Il faut dire que le Japon a augmenté de 50 % son budget de la défense ces deux dernières années et envisage de le doubler d'ici à 2027 pour atteindre les 2 % de son PIB. Une révolution alors que le pays est toujours doté d'une Constitution « pacifiste ». Un sommet à trois organisé à la Maison-Blanche avec le président philippin visait aussi à sceller une alliance de vigilance et de moyens face aux menées navales de Pékin en mer de Chine sur chaque îlot ou récif non défendu, notamment dans la zone des Spratly. « Il s'agit là de trois démocraties maritimes dont les objectifs et les intérêts stratégiques sont de plus en plus convergents », a assuré Jake Sullivan, conseiller à la sécurité nationale de Joe Biden. La visite à Washington a également permis au Japon de sceller un partage du renseignement avec les Américains et les Sud-Coréens face aux provocations balistiques du régime de Pyongyang. Il est aussi prévu d'améliorer la coopération missilière et la coordination de la défense antiaérienne entre Washington, Canberra et Tokyo. Joe Biden a même évoqué la possibilité que le Japon soit associé à l'alliance Aukus entre les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie. Pas dans le domaine des sous-marins, mais dans le rapprochement des efforts de recherche en matière d'intelligence artificielle, de missiles hypersoniques et d'informatique quantique.

Donald Trump osera-t-il défaire tout cela en cas de victoire au mois de novembre prochain ? Sa façon de bomber le torse en osant prétendre qu'avec lui la guerre en Ukraine serait résolue du jour au lendemain est perçue au Japon avec malaise. « Tout accord sur l'Ukraine qui apparaîtrait comme une récompense de l'agression russe serait perçu par les autorités japonaises comme un encouragement à la Chine pour poursuivre sa politique d'ambition territoriale », écrit Lionel Barber, conseiller à l'International House of Japan, un centre de réflexion établi à Tokyo. Voilà pourquoi, à sept mois de la présidentielle américaine, Fumio Kishida a choisi de voter Biden.

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