![Sergueï Choïgou est remplacé par Andreï Belooussov et devient secrétaire du Conseil de Sécurité.](https://static.latribune.fr/full_width/2291910/le-ministre-russe-de-la-defense-serguei-choigu.jpg)
Alors que l'armée russe est à l'offensive dans la région ukrainienne de Kharkiv, Vladimir Poutine a limogé le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou, en poste depuis 2012. Ceci, à l'occasion d'un remaniement surprise en profondeur, quelques jours après l'investiture du président russe pour un cinquième mandat au Kremlin et après plus de deux ans de conflit en Ukraine. Sergueï Choïgou est remplacé par Andreï Belooussov et devient secrétaire du Conseil de Sécurité, poste occupé jusque-là par Nikolaï Patrouchev, qui est lui démis de ses fonctions, selon un décret publié par le Kremlin. Le chef du Kremlin a proposé de conforter Sergueï Lavrov à la tête du ministère des Affaires étrangères et Valeri Guerassimov devrait rester à son poste de chef d'état-major des forces armées russes.
Lieutenant proche de Vladimir Poutine et l'un des visages de l'assaut russe en Ukraine, Sergueï Choïgou n'aura donc pas survécu aux critiques sur sa gestion du conflit La position de ce fidèle de longue date du pouvoir russe était précaire depuis des mois et avait été encore davantage affaiblie ces dernières semaines par des accusations de corruption visant un de ses anciens vice-ministres.
Autrefois auréolé de ses succès dans des missions sensibles, Sergueï Choïgou, 68 ans, est aujourd'hui honni par une bonne partie des partisans de l'offensive russe en Ukraine. Pour eux, il est le responsable des difficultés de l'armée russe, en cachant notamment à Vladimir Poutine l'étendue des pertes sur le terrain et l'inaptitude des commandants.
C'est lui, et non Vladimir Poutine, qui était visé directement en juin 2023 par la rébellion de Wagner : « Ce salaud sera arrêté », lançait Evguéni Prigojine avant d'envoyer ses hommes vers Moscou. Pendant les 24 heures de la crise, Sergueï Choïgou était resté introuvable, suscitant les railleries de nombreux combattants sur le front.
Il a servi sous une douzaine de Premiers ministres
Originaire de la région reculée de Touva en Sibérie, Sergueï Choïgou est l'un des très rares Russes non-ethniques à avoir occupé un poste gouvernemental de haut niveau après l'effondrement de l'URSS. Commençant sa carrière politique dès l'époque soviétique, il déménage à Moscou en 1990, où il prend à sa charge le ministère des Situations d'urgence, devenant l'un des responsables politiques les plus populaires du pays en gérant accidents d'avions et tremblements de terre. Servant sous une douzaine de Premiers ministres, il quitte le ministère des Situations d'urgence en 2012 pour être nommé gouverneur de la région de Moscou, puis ministre de la Défense la même année. Depuis, il semblait incarner la stabilité des différents gouvernements sous Vladimir Poutine, tout comme le chef de la diplomatie, Sergueï Lavrov, en poste depuis 20 ans. Il est alors nommé général malgré son absence d'expérience militaire de haut niveau et chargé de poursuivre la modernisation de l'armée russe, vêtu d'un uniforme qu'il ne semble plus quitter. Aux avant-postes du conflit en Syrie, où Moscou intervient à partir de 2015 pour sauver son allié, le président Bachar al-Assad, il préside aussi à l'opération qui permet aux forces russes de prendre le contrôle de la péninsule ukrainienne de Crimée en 2014. Après le lancement de l'assaut russe en Ukraine en février 2022, sa popularité s'effondre à mesure des revers de son armée, empêtrée dans des problèmes logistiques et de commandement, forcée de se retirer de plusieurs secteurs du front.
Les signes d'approbation se tarissent : Sergueï Choïgou en est réduit à marmonner des rapports lors de rencontres avec le chef du Kremlin, quand il n'est pas relégué dans un coin pendant que le président supervise une vidéoconférence. Le conflit avec Evguéni Prigojine n'a fait que s'envenimer au fil des mois, sans qu'aucune intervention publique de Vladimir Poutine ne vienne sauver son fidèle ami. Dans une vidéo incendiaire publiée juste avant sa rébellion il y a près d'un an, le patron de Wagner accusait sans détour Sergueï Choïgou et son ministère d'être responsables du conflit avec l'Ukraine, après avoir "trompé" le président russe sur la réalité de la menace représentée par Kiev.
« La guerre était nécessaire à une bande de salauds pour qu'ils montrent à quel point ils sont forts. Pour que Choïgou devienne un maréchal », lançait alors le chef du groupe Wagner.
Un proche en prison
Cette annonce intervient moins de trois semaines après que la décision de la justice russe de placer en détention provisoire un vice-ministre de la Défense, Timour Ivanov (48 ans), arrêté pour corruption et dont le train de vie avait été dénoncé en 2022 dans une enquête de l'organisation de l'opposant Alexeï Navalny. Un cas rare d'arrestation et de poursuites judiciaires graves au plus haut niveau de l'appareil militaire russe. En poste depuis 2016, Timour Ivanov est placé en détention préventive jusqu'au 23 juin, dans l'attente de son procès.
Il est inculpé de « prise de pots-de-vin à grande échelle », un crime passible de 15 ans de prison. Les mêmes accusations ont été portées contre un complice présumé, Sergueï Borodine, également placé en détention provisoire. Timour Ivanov était chargé du BTP au sein du ministère de la Défense, notamment de travaux dans des installations militaires. Selon les enquêteurs, il a fait partie d'un système de corruption dans le cadre de « la réalisation de travaux contractuels et de sous-traitance pour les besoins du ministère de la Défense. »
En 2019, le magazine Forbes Russie avait désigné Timour Ivanov comme étant l'un des membres de l'appareil sécuritaire russe les plus riches de son pays. Selon Forbes, ce diplômé en mathématiques et en cybernétique a fait une grande partie de sa carrière dans le domaine de l'industrie atomique et avait rejoint en 2012 l'équipe de Sergueï Choïgou, quand celui-ci était le gouverneur de la région de Moscou.
Il avait ensuite suivi, toujours selon Forbes, Sergueï Choïgou après sa nomination au poste de ministre de la Défense, qu'il occupe toujours actuellement. Par le passé, en particulier dans les années 1990 et 2000, après la dislocation de l'URSS, l'armée russe avait été éclaboussée par de multiples scandales de corruption ayant conduit à plusieurs reprises à de sévères peines de prison.