Pas de trêve olympique dans l'arène des fauves

CHRONIQUE LE MONDE À L'ENDROIT — Paris accueille pour les Jeux d’été 2024 de nombreuses délégations de pays en guerre qui n’entendent pas respecter la moindre trêve. Comme si l’esprit olympique et le droit international passaient loin derrière la conquête des médailles obtenues pacifiquement.
François Clemenceau
La chronique de François Clemenceau.
La chronique de François Clemenceau. (Crédits : © LTD / DR)

Les saisons passent et les guerres s'enracinent. Des trêves locales ou éphémères ont parfois été respectées, notamment à l'heure des grandes fêtes religieuses. Mais les trêves dites « olympiques », censées débuter une semaine avant l'ouverture des Jeux et s'achever une semaine après la fin des épreuves paralympiques, n'ont jamais vu le jour. Depuis des décennies, les canons continuent de tonner lorsque les athlètes des pays en conflit entendent résonner leurs hymnes nationaux à l'heure des médailles sur le podium.

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Malgré son appel lancé en mai pour plaider en faveur d'une trêve olympique, et en dépit du soutien qu'il avait obtenu en ce sens de la part du président chinois, Emmanuel Macron n'est pas parvenu à obtenir de la Russie qu'elle s'abstienne de prolonger son offensive contre l'Ukraine. Rien d'étonnant : n'est-ce pas la Russie de Vladimir Poutine qui avait bien pris soin de s'abstenir en novembre 2023, lors du traditionnel appel de l'Assemblée générale des Nations unies à observer cette trêve ? Un seul pays avait fait de même, son allié syrien dirigé par le sinistre Bachar El-Assad. N'est-ce pas également cette même Russie qui, deux ans plus tôt, avait voté en faveur d'une telle trêve olympique mondiale mais qui, à peine les JO d'hiver de Pékin terminés, s'était lancée dans sa guerre d'agression contre l'Ukraine ? Le cynisme à ce point est médaillé d'or.

Lors du vote de la résolution de novembre 2023 - non contraignante, se doit-on de préciser -, Israël avait voté en faveur du silence des armes à l'occasion des JO de Paris. Mais à cette heure, les seules trêves à avoir été respectées par l'État hébreu dans sa guerre contre le Hamas ont été âprement négociées, et dans le seul but de favoriser des libérations d'otages et le déblocage d'une aide humanitaire indispensable à la survie des Palestiniens de l'enclave. Mais une pause olympique pour les semaines à venir, pendant qu'athlètes israéliens et palestiniens concourront dans de multiples disciplines, n'est pas à l'ordre du jour.

La Russie, à peine les JO d'hiver de Pékin terminés, s'était lancée dans sa guerre contre l'Ukraine

Pourquoi d'ailleurs Israël devrait-il être le seul État à se contraindre de la sorte ? Bien d'autres pays en guerre seront représentés dans ces Jeux d'été de Paris. Mais intéressent-ils vraiment les opinions publiques ? Prenons la guerre civile au Soudan, la quatrième que connaît le pays depuis son indépendance, et qui a déjà fait des dizaines de milliers de morts et déplacé des millions d'habitants depuis le mois d'avril 2023. Cela n'a pas empêché ce qu'il reste de l'État soudanais d'envoyer à Paris quatre de ses meilleurs sportifs pour s'illustrer en athlétisme ou en natation. Idem pour la République démocratique du Congo, où sévit la pire des guerres africaines depuis trente ans, dans le Kivu. Le président Tshisekedi menace d'entrer en guerre ouverte contre le Rwanda, qu'il accuse de soutenir la milice M23 en l'appuyant par ses propres soldats. Mais la RDC comme le pays du président Kagamé, réélu la semaine dernière avec un score magnifiquement dictatorial de 99,18 %, continueront de s'accrocher à l'arme lourde dans la région de Goma pendant que leurs judokas, boxeurs et nageurs tenteront de décrocher un podium à Paris.

Dans un entretien à La Tribune Dimanche, le 5 mai, Emmanuel Macron avait pourtant insisté : « La trêve olympique doit nous servir à envoyer un message au monde », en ajoutant que ce serait une occasion de prendre « des initiatives diplomatiques ». À ce stade, rien n'est officiellement prévu, mais il n'est pas impossible, justement sur le sujet de l'Afrique des Grands Lacs, que le président de la République, discrètement ou pas, appuie les tentatives de médiation angolaise et mauritanienne pour apaiser le conflit entre Kinshasa et Kigali. « On a placé le ballon là où il faut pour que l'un des joueurs s'en saisisse », confie une source impliquée dans ce dossier. À voir donc si les Jeux de Paris seront l'occasion d'apporter un peu d'espoir de paix dans cette région du monde dévastée, si loin des caméras de la grande fête olympique.

« Le comité international olympique part du principe que la paix, la tolérance et l'amitié, fondées sur un socle universaliste, s'arrêtent là où commence la géopolitique, un monde où la morale tend à s'e­ffacer », confiait ces derniers jours à la revue L'Hémicycle le géographe Pascal Gillon, coauteur des Jeux du monde (Armand Colin, 2021). Oui, personne ne doit être dupe. Si la Chine, la Corée du Nord, l'Iran, Cuba ou la Syrie raflent des médailles à Paris, rien ne doit faire oublier que les athlètes de ces pays sont au service d'un agenda de puissance géopolitique.

François Clemenceau
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