![Keir Starmer, le chef de file des travaillistes (Labour) et Rishi Sunak, le Premier ministre conservateur.](https://static.latribune.fr/full_width/2398586/rishi-sunak-et-keir-starmer-lors-d-un-debat-televise-le-26-juin.jpg)
La France n'est pas le seul pays à connaître des législatives anticipées. Le 22 mai dernier, le Premier ministre britannique a annoncé la dissolution du parlement, convoquant ainsi de nouvelles élections le 4 juillet. Objectif, renouveler les membres de la Chambre des communes, la Chambre basse. 650 sièges sont ainsi mis en jeu.
Entre la montée de l'extrême droite avec Reform UK, la victoire attendue des travaillistes et le déclin des conservateurs, La Tribune revient sur les principaux enjeux du scrutin.
Comment expliquer la percée des travaillistes ?
Après être restés au pouvoir pendant quatorze ans, les conservateurs (Tories) de Rishi Sunak devraient essuyer une débâcle historique face aux travaillistes (Labour) incarnés par leur chef de file, Keir Starmer et qui sont donnés favoris selon les sondages. D'après l'institut YouGov, les travaillistes pourraient remporter 425 sièges, avec 39% des voix, du jamais-vu. Les conservateurs, de leur côté, pourraient obtenir 108 sièges, soit 257 de moins que ce qu'ils ont actuellement.
« Même si cet écart considérable pourrait se resserrer le jour de l'élection, la victoire des travaillistes semble inéluctable », estime Laetitia Langlois, maîtresse de conférences en civilisation britannique à l'université d'Angers.
Selon elle, « quand un gouvernement est au pouvoir pendant 14 ans, il semble normal que les Britanniques aspirent à un changement ».
D'autant que de nombreuses crises politiques ont abîmé l'image des conservateurs depuis plus d'une dizaine d'années. De la campagne en faveur du Brexit mené sous David Cameron, aux multiples scandales de Boris Johnson avec le célèbre « partygate », sans oublier les 44 jours au pouvoir de Liz Trust qui ont fait paniquer les marchés financiers, les conservateurs ont enchaîné les bévues.
Un héritage dur à porter pour le Premier ministre Rishi Sunak, « qui n'a jamais réussi à être apprécié du peuple », note la spécialiste. D'autant que le chef du gouvernement s'est, lui aussi, retrouvé mêlé à un scandale de paris truqués. Des membres de son entourage sont soupçonnés de délit d'initié après avoir misé illégalement sur la date du scrutin avant qu'elle ne soit annoncée par le Premier ministre.
Les Britanniques se sont aussi montrés particulièrement déçus par les conséquences du Brexit.
« Beaucoup d'électeurs en faveur du Brexit font le constat que les promesses n'ont pas été tenues, ce qui explique en partie la montée des travaillistes et de Reform UK », estime Florence Faucher, professeure de science politique et directrice du Centre d'études européennes et de politique comparée (CEE).
Que promettent les deux partis sur le volet économique ?
Le Brexit, puis la crise sanitaire et la guerre en Ukraine ont fragilisé l'économie britannique. A tel point qu'en 2023, le pays n'a connu qu'une croissance de 0,1%. Le Royaume-Uni est entré en récession technique lors de la deuxième partie de l'année. Il s'agit de la pire performance du pays depuis la crise financière de 2009, si l'on excepte 2020.
Les ménages ont, eux, été fortement touchés par la hausse des prix, notamment des biens alimentaires. À son plus haut, l'inflation a atteint 11% en 2022. En parallèle, la hausse des taux d'intérêts par la Banque d'Angleterre s'est, elle aussi, répercutée sur le porte-monnaie des Britanniques.
« Le Royaume-Uni est devenu l'un des pays d'Europe de l'Ouest avec les plus fortes inégalités sociales », pointe Laetitia Langlois.
Alors que l'inflation est revenue à la cible des 2% en mai - une bonne nouvelle mise en avant par les conservateurs - la situation s'est dégradée du côté des finances publiques. La dette publique a atteint 99,8% du PIB en mai d'après les chiffres de l'ONS.
La mauvaise tenue des comptes publics est ainsi devenue l'un des principaux arguments de campagne des travaillistes pour fustiger les conservateurs au pouvoir.
« Le premier point de leur programme est de montrer qu'ils assureront la stabilité économique et qu'ils feront baisser la dette publique à horizon de 5 ans », explique Catherine Mathieu, économiste à l'OFCE et spécialiste du Royaume-Uni.
Au-delà de la stabilité, les travaillistes promettent de remettre sur pied les services publics, avec une priorité mise sur le National Health Service (NHS). Ils comptent ainsi débloquer 40.000 rendez-vous supplémentaires chaque semaine ou encore embaucher 8.500 personnels dédiés à la santé mentale. Un programme qui risque de coûter cher, taclent les conservateurs.
De son côté, le parti de Rishi Sunak fait de la baisse d'impôt un de ses principaux arguments de campagne. « Le Premier ministre avait déjà commencé à baisser les cotisations salariales il y a quelques mois, avec désormais dans son programme l'objectif de les éliminer totalement à long terme », précise Catherine Mathieu.
Assiste-t-on à une poussée de l'extrême droite, comme en France ?
Sur l'échiquier politique, Reform UK est le parti le plus à droite. Conservateur et eurosceptique, il est bien parti pour réaliser 15% des voix et gagner cinq sièges, d'après le sondage YouGov. Il compte ainsi profiter de la division au sein des conservateurs en attirant les électeurs de droite, déçus par le gouvernement et qui ne voudront pas voter travaillistes. Pour rappel, Reform UK est issu d'une scission au sein de UKIP, le parti en faveur de l'indépendance du Royaume-Uni fondé par Nigel Farage.
Plus généralement, « les partis ont glissé vers la droite », décrypte Laetitia Langlois. « On constate une obsession nationale autour de l'immigration, une tendance qui précède le Brexit, mais qui s'est cristallisée à ce moment avec les discours extrêmes de Nigel Farage », complète-t-elle.
En témoigne la politique des conservateurs, avec le Safety of Rwanda Bill adopté fin avril. Ce projet de loi permet d'expulser vers le Rwanda les migrants entrés illégalement au Royaume-Uni. De leur côté, les travaillistes comptent abandonner ce dispositif, mais ont également promis de faire baisser l'immigration, une mesure pourtant éloignée de la ligne politique historique de leur parti.
Que va-t-il advenir du parti conservateur ?
Affaiblis par la montée de Reform UK à droite et la lassitude générale des électeurs, les conservateurs pourraient perdre des bastions décisif. C'est notamment le cas du fief du Premier ministre britannique, à Richmond dans le Yorkshire. La possibilité que Rishi Sunak y perde son siège devient de plus en plus crédible. Ce serait une première pour un chef de gouvernement.
Des personnalités importantes du gouvernement comme les ministres des Finances et de la Défense pourraient également perdre leur siège.
Mais il en faudra plus pour anéantir le parti. « Ce n'est pas la première fois que le parti conservateur est en déshérence, il a déjà passé de longues années du côté de l'opposition lorsque Tony Blair était au pouvoir [de 1997 à 2007, ndlr] », note Laetitia Langlois. D'après elle, les conservateurs devraient d'ailleurs connaître dans un futur proche des « guerres intestines » pour savoir qui sera le prochain leader de l'opposition. Car pour le moment, Rishi Sunak est mal engagé pour conserver sa place...
Les parlementaires de la Chambre des Communes (House of Commons en Anglais) sont élus au suffrage universel direct pour cinq ans lors d'un scrutin en un seul tour. C'est le candidat qui remporte le plus de voix dans chaque circonscription qui est désigné vainqueur. Le Roi nomme ensuite le Premier ministre, qui se trouve être le chef du parti majoritaire ou celui de la coalition lorsqu'il n'y a pas de majorité absolue. Pour qu'un parti puisse avoir la majorité absolue, il faut qu'il remporte au moins 326 sièges. Néanmoins, « ce système favorise les plus gros partis, au détriment des plus petits qui ont des difficultés à s'imposer », selon Tony Travers, directeur de la London School of Economics. « Les élections au Royaume-Uni voient donc s'affronter continuellement deux grands partis », complète-t-il. Contrairement à la majorité des parlements, la chambre des Communes n'est pas sous forme d'hémicycle. La salle est rectangulaire, et les membres de la majorité, assis sur des bancs, font face aux membres de l'opposition. Au milieu se situe le « speaker », le président de la chambre, et les membres de la majorité sont à sa droite. Si les travaillistes remportent bien la majorité, ils devront donc échanger de place avec les conservateurs.Le déroulé des élections législatives au Royaume-Uni