Le Brexit, grand responsable du déclin du Royaume-Uni

En huit ans, cette économie autrefois prospère se classe dernière des pays du G7. La sortie de l’Union européenne lui a coûté près de 170 milliards d’euros.
Marie-Pierre Gröndahl
Le PIB européen a augmenté de 24 % depuis 2016, pour une hausse de seulement 6 % outre-Manche.
Le PIB européen a augmenté de 24 % depuis 2016, pour une hausse de seulement 6 % outre-Manche. (Crédits : © LTD / REUTERS/ Susannah Ireland)

Les partisans les plus extrémistes d'une séparation du Royaume-Uni et de l'Union européenne avaient résumé les arguments de ses ardents adversaires par une formule cruelle : le « projet Peur ». Là où Boris Johnson, Nigel Farage ou Michael Gove ont multiplié pendant des mois les attaques irrationnelles contre Bruxelles - y compris les mensonges les plus éhontés, dont le montant de la supposée contribution du pays à Bruxelles, largement surévalué pour les besoins de leur cause -, leurs opposants, pour défendre le maintien dans l'Union, ont effectivement riposté en énumérant les dramatiques conséquences qu'entraînerait un Brexit. Suscitant d'innombrables sarcasmes du camp d'en face.

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Et pourtant. Huit ans tout juste après ce vote du 23 juin 2016, quand 52 % des Britanniques ont approuvé par référendum la sortie de l'UE, le verdict de l'Histoire donne raison aux seconds. Le prétendu « projet Peur » s'est révélé d'une sidérante exactitude. Voire, ironiquement, un peu plus optimiste dans ses prévisions que les résultats concrets d'une quasi-décennie en solo pour un Royaume-Uni désormais aux prises avec un déclin continu. Si les promoteurs du Brexit ont tous disparu de la scène politique, et que l'un des seuls patrons à le vanter s'est rapidement expatrié à Singapour après le scrutin (James Dyson, l'inventeur des aspirateurs du même nom), les dégâts, eux, sont restés. « Nous pensions - ou en tout cas espérions - que les effets négatifs ne dureraient que quelques années, mais ils persistent huit ans plus tard ; pire, certains s'aggravent », se désole un ancien dirigeant de la principale organisation patronale britannique, cible de multiples menaces personnelles à l'époque, en raison de ses plaidoyers proeuropéens.

Deux millions d'emplois perdus

Dernier exemple en date ? Le ministère des Affaires et du Commerce a publié le 27 juin les données concernant les investissements étrangers en Angleterre, tous secteurs confondus. Ils ont diminué de 6 % en un an, depuis mars 2023. Mais ils se sont effondrés de... 31 % depuis le 23 juin 2016 ! Pour Jonathan Portes, professeur d'économie et de politique publique au King's College de Londres, ce sont même les investissements qui ont le plus souffert du Brexit, avant la croissance au sens large et l'emploi, dont ils sont le socle. Le secteur automobile, en perdition outre-Manche, en est une triste illustration. Autre exemple, la récession enregistrée au second semestre 2023, avant un léger rebond depuis le début de l'année. « Nous l'avions tous prédit, se souvient un banquier d'affaires britannique expatrié depuis 2017 à Paris, mais on nous prenait pour une élite déconnectée des préoccupations de la population. Ou pour des traîtres à la patrie. Sortir de l'UE allait saper les piliers économiques du pays, à commencer par les plus fondamentaux, cela ne faisait aucun doute. Tous les économistes, tous les dirigeants d'entreprise, tous les spécialistes de l'export, de l'emploi ou de la consommation ne pouvaient pas se tromper en même temps. »

Aux antipodes du triomphe annoncé, la rupture avec l'UE n'a engendré au mieux que des déceptions. Au pire, des désastres

Les études et les enquêtes (des plus anciennes, réalisées quelques mois après le référendum, aux plus récentes, publiées il y a quelques semaines), sont également unanimes. Aux antipodes du triomphe annoncé, la rupture avec l'UE n'a engendré au mieux que des déceptions. Au pire, des désastres. Selon un rapport commandé dès 2018 par Sadiq Khan, le maire de Londres - et successeur à ce poste de Boris Johnson -, mais dévoilé en janvier 2024, le coût total du Brexit s'élève à près de 170 milliards d'euros en huit ans. Deux millions d'emplois ont été perdus, à tous les niveaux de qualification. D'ici à 2035, le coût s'élèverait à 354 milliards d'euros. Les crises subies depuis 2016 - pandémie et inflation - ont encore aggravé la situation : la hausse des prix a été la plus forte de tout le continent européen (+31 % en huit ans, contre +24 % en zone euro), avec une envolée de 30 % des étiquettes des produits alimentaires entre 2019 et 2023 et une chute du pouvoir d'achat de 4 % en deux ans, entre 2021 et 2023.

« Tous les indicateurs macroéconomiques démontrent que l'Union européenne fait mieux que le Royaume-Uni », souligne une analyse récente de Bloomberg. Produit intérieur brut (PIB), PIB par habitant, emploi et dette publique : dans chaque domaine, le pays est à la traîne. Le PIB européen a augmenté de 24 % depuis 2016, pour une hausse de seulement 6 % outre-Manche. Dix pays de la zone euro ont connu une croissance supérieure à celle du Royaume-Uni ces huit dernières années. Estimée à 0,4 % cette année et à 1,2 % en 2025, la croissance britannique est aussi inférieure à celle de 24 sur 27 des États membres du bloc européen. Le spread, c'est-à-dire l'écart entre le taux d'intérêt de la dette britannique et la moyenne de celui de la zone euro, à 2 %, atteint actuellement son plus haut niveau en un siècle.

L'espérance de vie diminue

Les analystes de la banque américaine Goldman Sachs, dans une note parue il y a quelques mois sur les coûts structurels et cycliques du Brexit, chiffrent à 5 % la perte de croissance face « aux économies comparables » depuis 2016, due en partie à une baisse de 15 % des échanges commerciaux pendant cette période : le secteur des cosmétiques aurait à lui seul vu s'évaporer près de 1 milliard d'euros, faute de pouvoir exporter comme avant le référendum. Les experts de l'OCDE, eux, viennent d'affirmer que l'économie britannique sera la moins performante du G7 en 2025. Les Britanniques eux-mêmes en tirent des conclusions similaires : un sondage de 2023 indique que les deux tiers d'entre eux pensent que le Brexit a nui à l'économie de leur pays.

Ils en subissent les conséquences tous les jours. Dans la santé (le système public, le National Health Service, est tout près de l'asphyxie), le logement, les aides sociales ou l'éducation, les difficultés et les restrictions s'aggravent : « Le Royaume-Uni s'appuyait sur une économie prospère tirée par la finance et la City de Londres, qui n'a plus aujourd'hui les mêmes capacités, précise Philippe Waechter, directeur de la recherche économique chez Ostrum Asset Management. La livre sterling a perdu près de 20 %. Comment redistribuer dans ces conditions ? » Les plus fragiles sont bien sûr ceux qui en souffrent le plus. Le chiffre le plus inquiétant depuis le vote de 2016 n'est pas un indicateur économique : depuis douze ans, l'espérance de vie n'augmente plus outre-Manche. Elle diminue, même, dans certaines des régions les plus pauvres du pays. Pour la première fois depuis plus d'un siècle.

Marie-Pierre Gröndahl
Commentaires 11
à écrit le 01/07/2024 à 7:35
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"Le Brexit, grand responsable du déclin du Royaume-Uni" Vive le négationnisme des années Thatcher ayant poussé le Royaume-Uni dans les bras du FMI avant d'intégrer l'UERSS pour en sortir avec perte de souveraineté territoriale et fracas sociaux....

à écrit le 30/06/2024 à 12:20
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C'est drôle ! Parce que le déclin français, on le doit à la coalition bruxelloise qui casse notre atout concurrentiel depuis le début !

à écrit le 30/06/2024 à 12:08
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le déclin date d'avant le Brexit. l'investissement total (public / privé) du pays est inférieur à celui des autres pays du G7 depuis les années 1990 (étude sur le sous-investissement britannique, think tank anglais IPPR, 20 juin 2023). il était en 20...

à écrit le 30/06/2024 à 8:28
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Auriez-vous l'amabilité de comparer économiquement la France et le Royaume-Uni (déficit, dette, chômage, salaire minimum, etc.)? Après cette étude comparative, les lecteurs pourront se faire une opinion un peu plus nuancée. Merci.

le 01/07/2024 à 0:13
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Pas compliqué : taux endettement 105%.. il était à moins 60% avant le covid .. donc les anglais comme les espagnols se sont plus endettés que nous pour le covid , taux de pauvreté le double de la France : 1 anglais sur 4 mangé sur un repas - industri...

le 01/07/2024 à 0:13
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Pas compliqué : taux endettement 105%.. il était à moins 60% avant le covid .. donc les anglais comme les espagnols se sont plus endettés que nous pour le covid , taux de pauvreté le double de la France : 1 anglais sur 4 mangé sur un repas - industri...

le 01/07/2024 à 0:17
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Pas compliqué : taux endettement 105%.. il était à moins 60% avant le covid .. donc les anglais comme les espagnols se sont plus endettés que nous pour le covid puisqu on est passé de 96% à 110% , taux de pauvreté le double de la France : 1 anglais ...

le 01/07/2024 à 0:17
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Pas compliqué : taux endettement 105%.. il était à moins 60% avant le covid .. donc les anglais comme les espagnols se sont plus endettés que nous pour le covid puisqu on est passé de 96% à 110% , taux de pauvreté le double de la France : 1 anglais ...

à écrit le 30/06/2024 à 8:23
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Bien sûr que non, pas de déclin spécifique au brexit, extrait d'un de vos autres articles: "J'ai voté contre le Brexit mais le Brexit n'a pas été le désastre dont vous entendez parler. S'il n'est pas populaire, c'est parce que le gouvernement conserv...

le 30/06/2024 à 11:50
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Bien sûr que non, déjà, globalement, selon les avis des services financiers et des industriels exportateurs du pays. Il suffit de lire et d'écouter, faire sa propre analyse n'est plus utile, voire débile sauf à faire de la propagande. Les pour et c...

le 01/07/2024 à 8:50
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"Les pour et contre le Brexit c'est du passé, constater la réalité et passer à autre chose" C'est exactement ce que fait ce monsieur et je trouve que nous devrions avoir beaucoup plus d'analyses de la part de professionnels britanniques, ils ont un r...

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