![Le projet de taxation vise les 3.000 milliardaires de la planète (Photo d'illustration).](https://static.latribune.fr/full_width/2393254/yachts-millirdaires.jpg)
La taxation des milliardaires revient sur le devant de la scène. Entre le G20, la campagne des élections européennes et la bataille des législatives avancées en France, les propositions ont fait florès dans les débats et les meetings politiques. D'Emmanuel Macron au Nouveau Front populaire (NFP), la proposition d'une taxation mondiale des grandes fortunes est soutenue par une large partie du spectre politique. Dans ce contexte, la présidence brésilienne du G20, menée par le président Lula, compte bien avancer sur ce sujet crucial dans les semaines à venir.
Ce mardi, l'économiste français et professeur à l'université de Berkeley en Californie, Gabriel Zucman, a remis un rapport technique au Brésil, avant la réunion des ministres des Finances prévue en juillet. Visant les 3.000 milliardaires de la planète, le projet présenté par le président de l'Observatoire européen de la fiscalité devrait permettre de lever entre 200 et 250 milliards de dollars chaque année avec un taux de 2%.
Constatant au travers de ses recherches et de ses ouvrages une érosion des assiettes taxables dans de nombreux pays, l'économiste hexagonal estime qu'« un système fiscal plus progressif permet de renforcer la cohésion sociale et la confiance à l'égard des gouvernements ». « Le problème est que les super riches paient proportionnellement moins d'impôt que les autres », a souligné l'universitaire, lors d'une conférence de presse ce mardi.
Une des raisons est que les revenus sont beaucoup plus taxés que les patrimoines. Or, le patrimoine représente une très grande partie de la fortune des milliardaires. Conscient des difficultés à venir, ce spécialiste de l'évasion fiscale considère que ce projet est un point de départ.
« Ce document technique a pour but de faire démarrer et d'alimenter les discussions politiques », a-t-il indiqué.
Le ministre des Finances brésilien Fernando Addad. Crédits : Reuters.
« Un momentum » pour Esther Duflo
Pressés par l'envolée des dettes et le resserrement des contraintes budgétaires, les Etats du Vieux continent sont actuellement à la recherche de nouvelles recettes fiscales. Dans le même temps, les pays de l'UE à 27 savent qu'ils vont devoir financer des montagnes d'investissements face au réchauffement climatique et l'enlisement de la guerre en Ukraine. «Il y a un momentum », confie à La Tribune la prix Nobel d'économie, Esther Duflo, et désormais aux manettes de l'école d'Economie de Paris. Présente aux récentes réunions du G20, l'ancienne conseillère économique du président américain Barack Obama considère « qu'il va devenir difficile politiquement de s'y opposer ». « Une grande partie de l'opinion publique soutient ce type de proposition », assure-t-elle.
« On est dans un moment où les écarts de rémunération choquent les gens », acquiesce Cécile Duflot, directrice de l'ONG Oxfam. « La période est particulièrement difficile pour la population avec les inégalités, le réchauffement climatique et la crise sociale ». Dans la presse financière mondiale, le Financial Times et le Wall Street Journal ont accordé une place de choix également à ce sujet brûlant. L'agenda est certes favorable à ce type de fiscalité et un consensus sur la planète semble se dessiner, mais le parcours de cette taxe pourrait se transformer en parcours du combattant.
Les Etats-Unis appuient sur le frein
Le premier obstacle de taille sur la route de cette taxation mondiale se situe aux Etats-Unis. En pleine campagne présidentielle, le président Joe Biden a proposé une taxe domestique sur les milliardaires. L'administration Biden a ainsi proposé pour le budget 2025 un impôt minimum de 25% pour « les 0,01% les plus riches, ceux dont la fortune est supérieure à 100 millions de dollars ».
En revanche, Washington reste opposée à une taxe mondiale. Au sommet du G7 finances fin mai en Italie, la secrétaire d'Etat au Trésor, Janet Yellen, a montré son hostilité. « Je ne suis pas favorable à des négociations internationales qui impliqueraient que tous les pays acceptent de le faire et de redistribuer les recettes entre les pays, éventuellement sur la base du climat et des dommages subis du fait du climat », a-t-elle déclaré. Pour rappel, les Etats-Unis ne taxent pas en fonction du lieu de résidence, mais en fonction de la citoyenneté. Cela signifie que les citoyens américains continuent de payer des taxes, même lorsqu'ils vivent à l'étranger depuis des années.
En France, le changement possible de majorité après le second tour des élections législatives pourrait chambouler l'agenda tricolore. « Selon la majorité obtenue, cela peut changer la position de la France au G20 », explique à La Tribune, Quentin Parrinello, conseiller à l'Observatoire européen de la fiscalité. En revanche, ce contexte politique « ne change pas l'agenda international de cette fiscalité ».
Sur la planète, l'ISF a quasiment disparu
L'autre obstacle pour mettre en place ce type de prélèvement est que la taxation sur la fortune est un instrument peu répandu. « La difficulté avec la taxation physique des personnes est qu'il n'y quasiment plus d'impôt sur la fortune dans le monde », rappelle l'architecte de la taxation minimum mondiale sur les multinationales, Pascal Saint-Amans. En Europe, « l'impôt sur la fortune a quasiment disparu, sauf en Suisse », ajoute celui qui a bataillé pendant près d'une décennie pour mettre sur pied un impôt mondial. Pendant la pandémie, plusieurs pays avaient mis en place une taxation sur les grandes fortunes mais à titre exceptionnel.
Les promoteurs de la taxe mondiale sur les milliardaires veulent s'appuyer sur la taxe minimum sur les multinationales longtemps jugée « infaisable ». Le modèle de la taxation sur les sociétés « n'est pas complètement duplicable », juge Pascal Saint-Amans, ancien directeur de la fiscalité à l'OCDE. « Il existe un précédent, mais le chemin est différent ». Depuis les années 1980, « le taux de prélèvement obligatoire sur le capital a baissé. En contrepartie, il y a une hausse des taxes sur la consommation. On assiste à une inversion de la taxation », souligne l'économiste.
Un cadre de négociation à définir
Reste encore un mur de taille à franchir : le cadre de négociation. Faut-il privilégier l'ONU ou l'OCDE ? A ce stade, rien n'est encore tranché. Les deux instances ont mis ce sujet sur la table, mais les négociations pourraient prendre du temps, compte tenu de l'expérience sur les multinationales. « Le Brésil a mis le sujet sur la table et il devrait le rester, explique Pascal Saint-Amans. Beaucoup de pays auraient un intérêt à mettre en place un impôt mondial sur la fortune, mais cela va être difficile ».
Pour le professeur de droit à HEC Paris, « il existe un chemin pour que des avancées concrètes se réalisent et que taxation entre le capital et le travail se rééquilibre ». L'économiste cite notamment « une taxation sur les plus-values au sein de l'Union européenne », une meilleure fiscalité « sur les dividendes et les transmissions ». Autant de pistes potentielles pour la prochaine mandature européenne.
Il n'y a jamais eu autant de riches et leur fortune n'a jamais été aussi élevée, grâce à l'augmentation des cours boursiers, montre une étude internationale menée par le cabinet de conseil Capgemini publiée début juin. Le nombre de personnes fortunées dans le monde, définies par Capgemini par les personnes dont l'argent disponible hors résidence principale dépasse le million de dollars, a augmenté sur un an de 5,1%, à 22,8 millions de personnes en 2023, a calculé le cabinet dans son étude intitulée « World Wealth Report ». Leur fortune a, elle aussi, a augmenté, avec un patrimoine total estimé de 86.800 milliards de dollars, soit une hausse de 4,7% par rapport à l'année précédente. En nombre de personnes concernées et en fortune, il s'agit de deux records depuis que Capgemini a commencé à publier cette étude annuelle en 1997. En France, 141 milliardaires ont été recensés dans le dernier rapport de l'Observatoire des inégalités.La fortune des plus riches à plus haut niveau