La taxation mondiale des milliardaires, un parcours semé d'embûches

Missionné par le G20, l'économiste français Gabriel Zucman a présenté les contours techniques d'une taxe mondiale sur les milliardaires ce mardi. Appliquée aux 3.000 milliardaires de la planète, cette taxe soutenue par la France pourrait rapporter entre 200 et 250 milliards de dollars par an. Mais de nombreux obstacles de taille se présentent déjà à la mise en place d'une telle fiscalité à commencer par les Etats-Unis.
Grégoire Normand
Le projet de taxation vise les 3.000 milliardaires de la planète (Photo d'illustration).
Le projet de taxation vise les 3.000 milliardaires de la planète (Photo d'illustration). (Crédits : Reuters)

La taxation des milliardaires revient sur le devant de la scène. Entre le G20, la campagne des élections européennes et la bataille des législatives avancées en France, les propositions ont fait florès dans les débats et les meetings politiques. D'Emmanuel Macron au Nouveau Front populaire (NFP), la proposition d'une taxation mondiale des grandes fortunes est soutenue par une large partie du spectre politique. Dans ce contexte, la présidence brésilienne du G20, menée par le président Lula, compte bien avancer sur ce sujet crucial dans les semaines à venir.

Lire aussiTaxe mondiale sur les milliardaires et les entreprises : les pistes choc d'Esther Duflo

Ce mardi, l'économiste français et professeur à l'université de Berkeley en Californie, Gabriel Zucman, a remis un rapport technique au Brésil, avant la réunion des ministres des Finances prévue en juillet. Visant les 3.000 milliardaires de la planète, le projet présenté par le président de l'Observatoire européen de la fiscalité devrait permettre de lever entre 200 et 250 milliards de dollars chaque année avec un taux de 2%.

Constatant au travers de ses recherches et de ses ouvrages une érosion des assiettes taxables dans de nombreux pays, l'économiste hexagonal estime qu'« un système fiscal plus progressif permet de renforcer la cohésion sociale et la confiance à l'égard des gouvernements »« Le problème est que les super riches paient proportionnellement moins d'impôt que les autres », a souligné l'universitaire, lors d'une conférence de presse ce mardi.

Une des raisons est que les revenus sont beaucoup plus taxés que les patrimoines. Or, le patrimoine représente une très grande partie de la fortune des milliardaires. Conscient des difficultés à venir, ce spécialiste de l'évasion fiscale considère que ce projet est un point de départ.

« Ce document technique a pour but de faire démarrer et d'alimenter les discussions politiques », a-t-il indiqué.

Fernando Addad

Le ministre des Finances brésilien Fernando Addad. Crédits : Reuters.

« Un momentum » pour Esther Duflo

Pressés par l'envolée des dettes et le resserrement des contraintes budgétaires, les Etats du Vieux continent sont actuellement à la recherche de nouvelles recettes fiscales. Dans le même temps, les pays de l'UE à 27 savent qu'ils vont devoir financer des montagnes d'investissements face au réchauffement climatique et l'enlisement de la guerre en Ukraine. «Il y a un momentum », confie à La Tribune la prix Nobel d'économie, Esther Duflo, et désormais aux manettes de l'école d'Economie de Paris. Présente aux récentes réunions du G20, l'ancienne conseillère économique du président américain Barack Obama considère « qu'il va devenir difficile politiquement de s'y opposer ». « Une grande partie de l'opinion publique soutient ce type de proposition », assure-t-elle.

« On est dans un moment où les écarts de rémunération choquent les gens », acquiesce Cécile Duflot, directrice de l'ONG Oxfam. « La période est particulièrement difficile pour la population avec les inégalités, le réchauffement climatique et la crise sociale ». Dans la presse financière mondiale, le Financial Times et le Wall Street Journal ont accordé une place de choix également à ce sujet brûlant. L'agenda est certes favorable à ce type de fiscalité et un consensus sur la planète semble se dessiner, mais le parcours de cette taxe pourrait se transformer en parcours du combattant.

Les Etats-Unis appuient sur le frein

Le premier obstacle de taille sur la route de cette taxation mondiale se situe aux Etats-Unis. En pleine campagne présidentielle, le président Joe Biden a proposé une taxe domestique sur les milliardaires. L'administration Biden a ainsi proposé pour le budget 2025 un impôt minimum de 25% pour « les 0,01% les plus riches, ceux dont la fortune est supérieure à 100 millions de dollars ».

En revanche, Washington reste opposée à une taxe mondiale. Au sommet du G7 finances fin mai en Italie, la secrétaire d'Etat au Trésor, Janet Yellen, a montré son hostilité. « Je ne suis pas favorable à des négociations internationales qui impliqueraient que tous les pays acceptent de le faire et de redistribuer les recettes entre les pays, éventuellement sur la base du climat et des dommages subis du fait du climat », a-t-elle déclaré. Pour rappel, les Etats-Unis ne taxent pas en fonction du lieu de résidence, mais en fonction de la citoyenneté. Cela signifie que les citoyens américains continuent de payer des taxes, même lorsqu'ils vivent à l'étranger depuis des années.

En France, le changement possible de majorité après le second tour des élections législatives pourrait chambouler l'agenda tricolore. « Selon la majorité obtenue, cela peut changer la position de la France au G20 », explique à La Tribune, Quentin Parrinello, conseiller à l'Observatoire européen de la fiscalité. En revanche, ce contexte politique « ne change pas l'agenda international de cette fiscalité ».

Sur la planète, l'ISF a quasiment disparu

L'autre obstacle pour mettre en place ce type de prélèvement est que la taxation sur la fortune est un instrument peu répandu. « La difficulté avec la taxation physique des personnes est qu'il n'y quasiment plus d'impôt sur la fortune dans le monde », rappelle l'architecte de la taxation minimum mondiale sur les multinationales, Pascal Saint-Amans. En Europe, « l'impôt sur la fortune a quasiment disparu, sauf en Suisse », ajoute celui qui a bataillé pendant près d'une décennie pour mettre sur pied un impôt mondial. Pendant la pandémie, plusieurs pays avaient mis en place une taxation sur les grandes fortunes mais à titre exceptionnel.

Les promoteurs de la taxe mondiale sur les milliardaires veulent s'appuyer sur la taxe minimum sur les multinationales longtemps jugée « infaisable ». Le modèle de la taxation sur les sociétés « n'est pas complètement duplicable », juge Pascal Saint-Amans, ancien directeur de la fiscalité à l'OCDE. « Il existe un précédent, mais le chemin est différent ». Depuis les années 1980, « le taux de prélèvement obligatoire sur le capital a baissé. En contrepartie, il y a une hausse des taxes sur la consommation. On assiste à une inversion de la taxation », souligne l'économiste.

Un cadre de négociation à définir

Reste encore un mur de taille à franchir : le cadre de négociation. Faut-il privilégier l'ONU ou l'OCDE ? A ce stade, rien n'est encore tranché. Les deux instances ont mis ce sujet sur la table, mais les négociations pourraient prendre du temps, compte tenu de l'expérience sur les multinationales. « Le Brésil a mis le sujet sur la table et il devrait le rester, explique Pascal Saint-Amans. Beaucoup de pays auraient un intérêt à mettre en place un impôt mondial sur la fortune, mais cela va être difficile ».

Pour le professeur de droit à HEC Paris, « il existe un chemin pour que des avancées concrètes se réalisent et que taxation entre le capital et le travail se rééquilibre ». L'économiste cite notamment « une taxation sur les plus-values au sein de l'Union européenne », une meilleure fiscalité « sur les dividendes et les transmissions ». Autant de pistes potentielles pour la prochaine mandature européenne.

La fortune des plus riches à plus haut niveau

Il n'y a jamais eu autant de riches et leur fortune n'a jamais été aussi élevée, grâce à l'augmentation des cours boursiers, montre une étude internationale menée par le cabinet de conseil Capgemini publiée début juin. Le nombre de personnes fortunées dans le monde, définies par Capgemini par les personnes dont l'argent disponible hors résidence principale dépasse le million de dollars, a augmenté sur un an de 5,1%, à 22,8 millions de personnes en 2023, a calculé le cabinet dans son étude intitulée « World Wealth Report ».

Leur fortune a, elle aussi, a augmenté, avec un patrimoine total estimé de 86.800 milliards de dollars, soit une hausse de 4,7% par rapport à l'année précédente. En nombre de personnes concernées et en fortune, il s'agit de deux records depuis que Capgemini a commencé à publier cette étude annuelle en 1997. En France, 141 milliardaires ont été recensés dans le dernier rapport de l'Observatoire des inégalités.

Grégoire Normand
Commentaires 22
à écrit le 27/06/2024 à 8:28
Signaler
C'est marrant de montrer ces superyachts pour parler des mégas riches mais je trouve que ceux-ci ne sont pas vraiment caractéristiques, pour ma part les images qui me viennent à l'esprit quand je pense à ces gens là sont d'abord les 14 tableaux de Go...

à écrit le 26/06/2024 à 11:02
Signaler
on a bien compris qu'il fallait plumer la volaille pour jeter l'argent par la fenetre de projets branlants.....Rocard, qui etait un ultra neo liberal medef mondialise capitaliste d extreme droite, disait ' un bon impot est un impot a taux modere et a...

à écrit le 26/06/2024 à 11:00
Signaler
Lu ce matin ailleurs (les noms ont été changés)... Deux gosses, Karl et Milton, passent devant une pâtisserie. Ils veulent chacun s'acheter un chou à la crème. Qui coûte 3,5 €. Problème : si Milton a 6 €, Karl n'en a que 1 €... Comment faire ? K...

à écrit le 26/06/2024 à 10:55
Signaler
Beaucoup plus facile et beaucoup plus consensuel : taxer les pauvres, afin de les inciter à devenir riche.

à écrit le 26/06/2024 à 10:46
Signaler
A quand l'instauration d'un délit de "richophobie" ?

à écrit le 26/06/2024 à 10:33
Signaler
c'est pour ca qu'on taxe les "masses biologiques" il n'y a pas d'embuches, ca roule tout seul.

à écrit le 26/06/2024 à 9:52
Signaler
Comment voulez vous mettre tout le monde d'accord alors que rien n'est fait en France qu'on pourrait montrer en exemple.

à écrit le 26/06/2024 à 8:13
Signaler
Nos dirigeants politiques osnt trop faibles, regardez les franchement, on ne peut que les accuser encore une fois de nous amuser avec leur chimère. La taxe Tobin ? Que dalle.

à écrit le 26/06/2024 à 8:00
Signaler
La taxe mondiale est la marotte des économistes de gauche , une utopie pavée de bonnes intentions mais qui finira comme toujours par se rabatttre sur les riches français "façon Hollande" , ceux à plus de 3000 euros par mois pendant que ce monsieur b...

à écrit le 26/06/2024 à 7:30
Signaler
A la Recherche de la martingale, de la panacée à tous nos problèmes.. Le monde politique au plus haut niveau se ridiculise, et nos « économistes » gauchistes encore plus!

à écrit le 26/06/2024 à 5:58
Signaler
Bla, bla, bla. C'est duvent touca. Il est moins complique de taxer les sans dents. Le principe colbertiste doit primer. Mettre a contribution les plus nombreux. Comme par hasard cette annonce trois jours avant les erections pestilentielles, une co...

à écrit le 26/06/2024 à 0:00
Signaler
Deux pointures de la recherche en économie (Ivar Ekeland et Jean-Charles Rochet) avaient dévoilé une proposition intéressante de micro taxe, présentée dans ce journal le 30 avril 2020. J'invite chacun à la relire attentivement : https://region-a...

le 26/06/2024 à 7:38
Signaler
@Christophe-3400. Effectivement 👍, il s'agirait là d'un formidable outil fiscal pour récupérer une mini dime fiscale sur l'ensemble des flux financiers, les premiers perdants en seraient en conséquence les spéculateurs. Et à plus forte raison toutes ...

le 26/06/2024 à 23:15
Signaler
@Raymond - Merci Raymond pour cette contribution et ces précisions fort instructives. Effectivement, on ne pourrait que souhaiter que les politiques se saisissent enfin des pistes et sérieuses et agissent enfin dans l'intérêt général. Ils ne risquen...

à écrit le 25/06/2024 à 21:53
Signaler
🔥🇲🇫 La suppression de TOUTES les niches fiscales (et les postes de fonctionnaires qui vont avec), y compris celles concernant les avantages des journalistes, un parcours semé d'embûches ‼️

à écrit le 25/06/2024 à 21:11
Signaler
La taxe sur les milliardaires qui finira par une taxe pour tous les ultra riches à plus de 3000 euros par mois. Sacré blague.

à écrit le 25/06/2024 à 21:07
Signaler
La haine des riches est la seule haine qui soit légale...

à écrit le 25/06/2024 à 20:18
Signaler
Et peut-on savoir ce que la France - et l'économiste en question - compte faire de ce pactole, elle dont les gouvernements ne savent pas équilibrer un budget? Ou il y a un défaut de l'enseignement dès la maternelle ou on devrait fermer tous les orga...

le 25/06/2024 à 21:16
Signaler
Pour moi le vrai levier se trouve dans la fiscalité des entreprises . Certaines entreprises, notamment dans le numérique, contournent les règles du jeu. Je ne vais pas détailler le genre de processus qui font que les clients sont en France, la présen...

à écrit le 25/06/2024 à 19:47
Signaler
il faudra un jour songer a acheter un cerveau au bon peuple de gauche, qu'il prenne des cours d'economie qu'il comprendra grace a un cerveau, ca lui evitera de raconter n'importe quoi.......les milliardaires saoudiens russes qataris venezueliens ont ...

le 26/06/2024 à 13:06
Signaler
Vous savez , un économiste de gauche et un économiste de droite peuvent se contredire sur tous les sujets. Ce n'est pas une science exacte, c'est même souvent une science pas exacte. Alors des cours d'économie pffff.

à écrit le 25/06/2024 à 19:18
Signaler
Cela me rappelle Jospin 1e Ministre qui voulait une conférence mondiale pour faire la paix entre palestiniens, israéliens et arabes pour imposer une paix juste et durable, et ensuite ds une autre question sur les grèves à la RATP et à la SNCF, il exp...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.