La mer Rouge placée sous protection internationale

Malgré l’annonce de Washington de créer une force pour préserver le trafic maritime, les rebelles houthistes du Yémen menacent de poursuivre leurs attaques.
Garance Le Caisne
Tir de missile depuis le destroyer américain « USS Carney », en mer Rouge, pour contrer les attaques houthistes du 19 octobre.
Tir de missile depuis le destroyer américain « USS Carney », en mer Rouge, pour contrer les attaques houthistes du 19 octobre. (Crédits : © Mass Communication)

Ils vivent très loin de la terre de Gaza assiégée et déchiquetée par les bombardements israéliens. Très loin du sud de l'État hébreu, qu'ils ont tenté plusieurs fois en vain de frapper avec des missiles balistiques. Plus de 2 000 kilomètres les séparent, mais les houthistes du Yémen ont su s'inviter dans la guerre entre Israël et le Hamas pour afficher leur soutien aux Palestiniens. Riverains de la mer Rouge, les rebelles houthistes ont compris l'intérêt de multiplier les attaques de drones et de missiles sur les navires qui croisent sur cette voie d'eau cruciale pour les Occidentaux dans leurs échanges commerciaux avec l'Asie, bousculant alors le trafic mondial et entraînant les États-Unis à lancer une nouvelle coalition internationale pour jouer au gendarme fluvial.

« La mer Rouge est un raccourci, utile comme tous les raccourcis, explique Pascal Ausseur, directeur général de la Fondation méditerranéenne d'études stratégiques (FMES). C'est une rue étroite pas toujours bien famée. Quand cette rue est pacifiée, les lumières sont allumées partout le soir, vous pouvez l'emprunter facilement. Vous ne vous rendez même plus compte qu'elle pourrait vite être mal famée. Mais quand ça dégénère, vous êtes bien obligé de faire le tour. » Rien d'étonnant pour l'ancien amiral dans la récente décision de nombreux grands armateurs de renoncer à s'aventurer en mer Rouge et de franchir le canal de Suez. D'autant que Pascal Ausseur a souvent navigué sur cette voie fluviale où passe 10 % du trafic maritime mondial pour relier « l'atelier du monde de l'Asie, avec en particulier la Chine et Shanghai, et les consommateurs occidentaux », poursuit l'expert.

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Devant les risques d'attaque et la hausse des frais d'assurance, le danois Maersk, le français CMA CGM (propriétaire de La Tribune), l'allemand Hapag-Lloyd, le hongkongais Evergreen et le pétrolier britannique BP ont décidé d'envoyer leurs porte-conteneurs et navires prendre la direction du cap de Bonne-Espérance pour contourner l'Afrique, rallongeant leur route vers Rotterdam de dix à quinze jours.

S'afficher hostile à Israël est aussi une stratégie de politique interne

Paul Ausseur, directeur de la Fondation méditerranéenne d'études stratégiques

Vendredi soir, la Maison-Blanche a accusé l'Iran d'être « très impliqué dans la planification » des attaques récentes des houthistes, apportant « un soutien [...] solide » se traduisant par des « livraisons d'équipements militaires sophistiqués, [de] transmission de renseignements, d'aide financière et de formation ». Les images de propagande inédites de l'arraisonnement d'un pétrolier par un commando houthiste en hélicoptère mi-novembre et la prise en otage des membres d'équipage de ce bateau appartenant à un homme d'affaires israélien le laissent à penser. Pourtant, si les houthistes appartiennent à l'« axe de la résistance » iranien contre Israël, comme le Hamas palestinien, le Hezbollah libanais ainsi que des milices chiites en Syrie et en Irak, ils ont leur propre agenda et une certaine autonomie.

De confession zaydite, une branche minoritaire du chiisme musulman, lui-même minoritaire au Yémen, les houthistes contrôlent près d'un tiers du pays, notamment dans le Nord et l'Ouest, avec Sanaa, la capitale, et le port de Hodeïda, sur la mer Rouge. Depuis plus de dix ans, le pays est en proie à une guerre civile qui s'est internationalisée avec l'entrée dans le conflit de l'Arabie saoudite à la tête d'une coalition contre les rebelles. Non reconnus par la communauté internationale, les houthistes affirment qu'ils continueront à mener leurs attaques sur les navires qui passent par le détroit de Bab el-Mandeb, à l'extrémité sud de la mer Rouge, « jusqu'à ce que cesse l'agression israélienne contre le peuple palestinien à Gaza et en Cisjordanie » et tant qu'une aide humanitaire n'entrera pas en quantité suffisante dans la bande de Gaza.

« Les houthistes veulent marquer leur solidarité avec le peuple palestinien, explique Pascal Ausseur. S'afficher hostile à Israël est aussi une stratégie de politique interne. » Comme pour de nombreux États arabes, surfer sur la cause palestinienne permet d'éviter de s'attirer les foudres de la population, massivement en faveur des Gazaouis. Critiqués pour leur gestion autoritaire, corrompue voire mafieuse des territoires qu'ils administrent, les houthistes tentent aussi de montrer les muscles dans les négociations qu'ils mènent avec les Saoudiens afin de mettre un terme à la guerre civile. Le conflit a laissé le Yémen exsangue. Déjà l'un des plus pauvres de la région, le pays est confronté aujourd'hui à une des pires crises humanitaires au monde. Trois quarts des 33 millions d'habitants ne peuvent survivre sans une aide internationale.

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Personne ne veut l'escalade militaire

Après avoir annoncé lundi la création d'une coalition de dix pays pour protéger le transport maritime, les États-Unis ont précisé jeudi que plus de vingt pays avaient accepté de participer à l'opération Prosperity Guardian. Parmi eux, la France, le Royaume-Uni, le Canada, la France, l'Italie, les Pays-Bas, la Norvège... Washington n'a pas encore révélé le nom de tous les pays. Surtout, les puissances régionales, comme l'Égypte et l'Arabie saoudite, sont absentes. Délicat pour elles en effet de s'associer aux Américains, allié indéfectible d'Israël, dans une telle entreprise. Le fonctionnement exact de cette coalition reste encore flou. D'autant que d'autres opérations navales internationales existent déjà dans la zone pour se protéger, entre autres, de la piraterie au large des côtes somaliennes.

Malgré les mises en garde, « personne ne veut l'escalade », précise le directeur général de la Fondation méditerranéenne d'études stratégiques. « La guerre médiatique est une des caractéristiques de cette guerre entre Israël et le Hamas, poursuit-il. L'annonce de la nouvelle coalition par les Américains est une façon de dramatiser ce conflit en mer Rouge. C'est du pain bénit pour Joe Biden, qui fédère une forme de coalition pour préserver le commerce mondial. »

Garance Le Caisne
Commentaire 1
à écrit le 24/12/2023 à 8:59
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Nous rappelant que c'est tellement fragile cette économie mondialisée avec du transport de marchandises partout et tout le temps. Ils envoient des protes avions pour sauver des fours à micros-ondes ! lol ! Grotesque, ne faisant qu'exposer l'incroyabl...

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