Face à une crise « silencieuse », la Chine opère une purge dans ses banques régionales

La retentissante crise du géant chinois Evergrande a révélé un mal plus profond. En Chine, dans les provinces, les banques régionales ont en effet accumulé des milliards de yuans de dettes. Pékin tente de stopper l'hémorragie en forçant leur disparition ou leur absorption par de plus grandes banques. Car le poids de ces créances, reliées à l'Etat central, pourrait fragiliser l'économie chinoise déjà au ralenti. Décryptage.
Sur les 40 banques qui ont disparu en juin, 36 étaient basées dans la province du Liaoning, au Nord-Est du pays, à la frontière avec la Corée du Nord.
Sur les 40 banques qui ont disparu en juin, 36 étaient basées dans la province du Liaoning, au Nord-Est du pays, à la frontière avec la Corée du Nord. (Crédits : . REUTERS/Kim Kyung-Hoon/File.)

C'est une autre épidémie qui a frappé la Chine à la fin du printemps. Sur les six derniers mois, le nombre d'établissements bancaires chinois liquidés était quatre fois supérieur à l'ensemble de l'année 2023, selon l'agence de presse financière Yicai Global. Plus spectaculaire, en une semaine, 40 banques chinoises ont ainsi fermé boutique fin juin. Les victimes de cette purge financière sont pour la plupart des petites banques rurales en difficulté. Aussi, pour éradiquer leurs créances douteuses, le gouvernement central a ordonné une série de fusions avec les grandes banques du pays.

A Pékin, l'heure est en effet à l'assainissement. Empêtrée dans la crise immobilière depuis deux ans avec son géant Evergrande, la seconde économie mondiale fait face à un ralentissement sans précédent de sa croissance. Le gouvernement communiste tente donc de reprendre la main sur une économie qui peine à tourner à plein régime.

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Car la faillite du promoteur Evergrande connaît de multiples ramifications dans son économie, jusque dans le budget de l'Etat. Durant des décennies, d'autres promoteurs chinois ont allègrement financé leurs nouveaux chantiers à coup de prêts, le secteur immobilier représentant même, à son pic, jusqu'à la moitié de la dette chinoise. Mais, à partir de 2020, les répercussions de la crise Covid et le durcissement de l'accès aux crédits par Pékin qui s'en est suivi ont grippé sa machine, stoppant des millions de chantiers.

Des banques rurales endettées

Ainsi, aujourd'hui, de nombreuses banques locales chinoises qui avaient prêté de l'argent au secteur immobilier se retrouvent endettées. Dans une note publiée le 29 juillet, Pictet évoque même une « crise bancaire silencieuse ». D'après le groupe suisse, citant les informations de The Economist, ce sont ainsi « plus de 3.800 petites banques »  qui sont aujourd'hui en difficulté, représentant au total 13% des actifs bancaire chinois. Sur les 40 banques qui ont fermés en juin, 36 se trouvaient dans la province du Liaoning, au Nord-Est du pays, à la frontière avec la Corée du Nord.

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Une région atypique, connue pour son secteur industriel et son histoire communiste, « aujourd'hui le niveau technologique s'est beaucoup élevé », raconte Mary-François Renard, économiste spécialiste de la Chine et auteur de La Chine dans l'économie mondiale. Les 36 banques ont été sommées par le régulateur financier chinois de fusionner au sein de la Liaoning Rural Commercial Bank, créée spécialement en septembre 2023.

« La disparition soudaine de ces petites banques est la conséquence de la politique de croissance chinoise appuyée sur l'endettement (...) Certaines banques ont même assumés avoir accordé jusqu'à 40% de prêts risqués », dont certains, liés au secteur immobilier, n'ont finalement pas été remboursés, explique à La Tribune l'économiste.

Dépendance aux entreprises

De quoi provoquer « des sueurs froides aux investisseurs du monde entier », d'après Pictet. Ces petites banques qui prêtaient principalement aux ménages, aux TPE et aux PME, sont fragilisées par l'endettement croissant des entreprises chinoises, qui continue de faire peser le risque des défauts de paiement. 62 % des entreprises chinoises ont signalé des retards de paiement en 2023, contre 40 % en 2022, selon Coface.

Les gestionnaires des provinces ne font guère mieux. En raison de la crise immobilière, ces administrations publiques perdent une de leurs principales recettes : les revenus tirés de la vente de terrains. Ainsi, les dettes privée et publique chinoises suivent une trajectoire assez similaire.

En accordant des prêts risqués à des TPE et PME souvent déjà endettées, les banques locales chinoises inquiètent Pékin qui craint un effet de bombe à retardement. Ces dernières années, les gouvernements locaux ainsi que le gouvernement national avaient pourtant essayé de renflouer les caisses de ces petites banques, que Mary-Françoise Renard qualifie de « fragiles ». Ainsi, en 2023, les provinces ont levé 152,3 milliards de yuans (21,05 milliards de dollars) via des obligations afin de reconstituer le capital des petites et moyennes banques, selon les données du China Electronic Local Government Bond Market.

« Ces banques auraient dû être en faillite depuis longtemps » souffle l'économiste française.

Les deux leviers de Pékin pour assainir les comptes

Si Pékin s'empare lentement du sujet depuis bientôt une décennie, le problème a des origines plus anciennes selon Emmanuel Véron, docteur en géographie, spécialiste de la Chine contemporaine :

« Avec l'explosion de l'économie dans les années 80, il y a eu une très grande circulation d'argent liquide et de nombreuses petites banques se sont créées. Mais ces dernières manquent de propreté, ne sont pas saines, sont mal gérées et corrompues. »

La crise de l'immobilier de 2022, symbolisée par la dette de 300 milliards de dollars d'Evergrande, a donc été l'étincelle qui a mis le feu aux poudres des créances des petites banques.

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La fusion des petites banques locales chinoises dans de plus grandes relève du sauvetage. Pour l'enseignant-chercheur « cela répond à une logique d'assainissement. C'est un phénomène structurel, ce n'est pas la première fermeture de banques locales en Chine durant ces dernières années, bien que cette série soit plus spectaculaire. » Dans sa note du 29 juillet le groupe Pictet n'interdit pas de « laisser faire faillite les plus petites banques dont la disparition n'entraîne pas de sérieux problèmes économiques et financiers. » Mais pour assainir les comptes et les pratiques de ces petites banques, « Pékin peut compter sur deux autres leviers » explique Mary-Françoise Renard. En plus des fusions, Pékin pourrait opérer une régulation des pratiques banquières « malsaines » dans les provinces. Une option à privilégier selon Mary-Françoise Renard :

« La fusion n'est pas une solution à long terme. Pékin ne peut pas laisser couler de petites banques sans quoi cela créerait un mouvement de panique dans la population. Il faut surtout bien plus de régulation »

Shadow banking

La nécessité d'assainir est d'autant plus forte que certaines de ces banques n'hésitent pas à transférer certains de leurs risques vers un secteur bien plus opaque : le shadow banking. Un ensemble d'entités - très peu régulées - qui jouent un rôle très similaire à celui des banques (crédits, gestion de liquidités etc.) Sans en avoir le statut... ni les contraintes. Ces entités vont de la spéculation de certains hedge funds jusqu'au prêteur sur gage. Interrogée par France Culture, l'économiste Jézabel Coupey-Soubeyran expliquait qu'il s'agissait « d'un déversoir pour les banques. »

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En Chine - un des principaux pays où se concentre cette finance de l'ombre selon BSI economics - les actifs issus du shadow banking représentent plus de 10% du total des actifs bancaires chinois. Ils contribuent ainsi à cette dette cachée des provinces que le Fonds monétaire international estime - en comprenant la partie visible - à 12 600 milliards d'euros. Ce système très opaque offre « une mauvaise connaissance de l'endettement », explique Mary-Françoise Renard, et son assainissement prend du temps. Si le poids de ce secteur a diminué en dix ans à force de régulation, le gouvernement « ne peut pas le réguler d'un coup. Il y a, en raison de la corruption endémique de ces institutions, des enjeux de pouvoir dans le Parti communiste chinois, qui ne permettent pas de laisser couler ces petites banques ni réduire le shadow banking », conclut Emmanuel Véron.

Commentaires 20
à écrit le 20/08/2024 à 9:25
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Dans le monde diplomatique ils ont expliqué comment le Parti communiste chinois défausse systématiquement sa nullité sur les pouvoirs régionaux toujours mieux quand même qu'en UERSS où la nullité de nos dirigeants est visiblement cultivée.

à écrit le 01/08/2024 à 16:32
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Faut arrêter de tourner autour du pot et dire la vérité.Les exilés fiscaux doivent pays les impots des richesses qu'il gagnent dans ce pays.Les RSA et chomeurs capablent de bosser doivent se remettre au boulot sinon on coupe les aides.Le gouvernement...

à écrit le 31/07/2024 à 14:22
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Pour mieux connaître la Chine lisez les récits de Jean Tuan dont le père chinois est arrivé en France en 1929. "Un siècle chinois" évoque le parcours de celui-ci, leur voyage en Chine en 1967 durant la Révolution culturelle et l’évolution incroyable ...

le 02/08/2024 à 7:14
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ce pays apporte des corrections ce qui en france est impensable il suffit de voir mme la futur 1er ministre inventer par la gauche creer jaque jour de nouveau prélèvement pour sauve les finances mais rien et jamais de remise en cause du fonctionnem...

à écrit le 31/07/2024 à 12:40
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Les banques, c'est fait pour sauter. Le gouvernement chinois totalitaire et communiste gère bien son économie capitaliste, et laisse la destruction créatrice schumpeterienne faire son oeuvre. Bref : du bon boulot difficile à bien apprécier en France,...

le 31/07/2024 à 19:50
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@Asimon..."Si l'economie est une science "! Tout est là. Vu les differentes "chapelles économiques ", il est douteux que l'économie puisse être une science. Tout au plus une série de "combines" au service de gens qui ne pensent que par le pognon.

le 01/08/2024 à 9:53
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@asimon : avec 40% du pib en shadow banking en quoi le gouvernement centralise et opaque chinois gère. T’il bien son pays? Expliquez nous…. Je serai les. Industriels, commerçants , frandes firmes occidentales je plierai bagage sur le champ car la pr...

le 01/08/2024 à 9:53
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@asimon : avec 40% du pib en shadow banking en quoi le gouvernement centralise et opaque chinois gère. T’il bien son pays? Expliquez nous…. Je serai les. Industriels, commerçants , frandes firmes occidentales je plierai bagage sur le champ car la pr...

à écrit le 31/07/2024 à 12:22
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partout où il s'implante le " communisme " engendre l'inefficacité latente et la corruption. C'est dans les gènes de la théorie marxiste qui fait fi de la réalité humaine. Et pourtant, le concept théorique trouve toujours des admirateurs alors qu'i...

le 31/07/2024 à 16:22
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@vercaud : "autocorrecteur" ? heureusement qu'il y a des gouvernements pour réfréner la cupidité d'une bonne partie de l'humanité, qui ne se gêne pas pour exploiter les gens jusqu'au trognon dès que c'est faisable. Un truc comme Uber, c'est le retour...

le 01/08/2024 à 9:41
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C'est en fait plutôt l'inverse, à savoir que c'est dans les sociétés très corrompues que les communistes sont arrivés à prendre le pouvoir et à s'y maintenir, la Chine étant à se titre assez caricaturale, les Américains ayant fini par arrêter de sout...

à écrit le 31/07/2024 à 7:52
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Dans le monde diplomatique ils ont expliqué comment le Parti communiste chinois défausse systématiquement sa nullité sur les pouvoirs régionaux toujours mieux quand même qu'en UERSS où la nullité de nos dirigeants est visiblement cultivée.

le 31/07/2024 à 16:26
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@dossier 51. Vous êtes sûr que le Monde Diplomatique vaut mieux que le reste des journaux ? Et que la Vérité, la seule, l'unique, la vraie, est dans Le Monde ? ce à quoi on nous dresse très bien, il faut le dire, dans nos grandes et belles écoles. D'...

le 20/08/2024 à 9:26
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Oui j'en suis ^sur et comme je suis plus intelligent que toi... pardon beaucoup plus intelligent.

à écrit le 30/07/2024 à 22:39
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Pour mieux connaître la Chine, lisez les trois récits de Jean Tuan : "Un siècle chinois" (chez CLC Éditions) évoque le parcours de son père chinois arrivé en France en 1929, leur voyage en Chine en 1967 lors de la Révolution culturelle et les incroya...

le 01/08/2024 à 8:16
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Dix ans après tu en as toujours des stocks ? Tu veux pas essayer un autre moyen pour les vendre dis moi ? Je sais pas moi je dis ça comme ça visiblement ça fonctionne pas...

à écrit le 30/07/2024 à 18:22
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Les Chinois n'ont pas une bonne pratique financière, comme tous les pays gouvernés par des dictateurs, dont les stalino communistes du PCC. Turquie, Russie, Chine, Venezuela, Argentine... ont ignoré et continuent d'ignorer certaines constantes econo...

à écrit le 30/07/2024 à 17:54
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Bonjour, ils est claire que dans un pays si grand, le gouvernement dois impérativement contrôler les dettes des régions périphérique... Ils en est de même avec la BCE ... Bien sûr ils ne faut pas le dire.

le 01/08/2024 à 10:12
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@Rogger: vous faites de raccourcis puérils… la chine est 2, 2 fois plus peuplée que l Europe mais son pnb est inférieur. Note pays est endetté oui mais la chine l est à 237% soit deux fois plus… sans compter les dettes cachées dans le banking shado...

le 05/08/2024 à 15:23
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La majorité des dettes Chinoise est interne et sera remboursée selon le service rendu (exemple les trains à grande vitesse avec la tarification des billets, les abonnements ou les impôts locaux). Elle n'est pas soumise aux échéanciers du FMI.

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