Espagne : en Galice, les combats écologiques préfèrent le circuit court

La question environnementale, éludée lors de la campagne européenne, ressurgit dans la mobilisation contre une usine de cellulose, offrant un levier électoral aux partis régionaux.
Manifestation dans les rues de Palas de Rei, le 26 mai.
Manifestation dans les rues de Palas de Rei, le 26 mai. (Crédits : latribune.fr)

Habituellement, ce sont les pèlerins du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle qui foulent les rues de Palas de Rei, une jolie bourgade de la province de Lugo. Or, ce dernier dimanche du mois de mai, près de 20 000 personnes venues des quatre coins de la Galice ont envahi le centre-ville pour protester contre la construction d'une gigantesque usine de cellulose, qui devrait voir le jour en bordure du parc naturel. Un seul mot d'ordre : « Non à Altri », l'entreprise portugaise de pâte à papier. Sur les pancartes des manifestants, on peut lire également des messages adressés à Bruxelles, tels que « SOS UE, sauve notre rivière Ulla » ou encore « UE courage, dis non à Altri ». « L'Europe est notre dernier espoir. Il ne faut absolument pas que Bruxelles verse un centime pour ce projet », assure d'un ton ferme Ana Miranda, eurodéputée et candidate pour le parti régionaliste Bloc nationaliste galicien (BNG), deuxième force politique en Galice. Et de poursuivre en marchant d'un bon pas : « Sans le financement européen, le projet ne se fera pas. Cette usine va à l'encontre des directives européennes de l'eau et du réseau Natura 2000, qui préserve la faune et la flore. »

Lire aussiFinance et écologie : est-ce compatible ?

L'entreprise Altri estime à 850 millions d'euros la construction de son usine, dont 25 % proviendraient des fonds européens Next Generation EU prévus dans le plan de relance post-Covid. Or écologistes et scientifiques parlent d'un impact désastreux sur l'environnement. Pour la fabrication de la pâte à papier, qui sert également à créer du textile, l'usine doit pomper 46 millions de litres d'eau par jour dans la rivière Ulla, soit autant que toute la consommation quotidienne de la province de Lugo. « Il ne faut pas oublier les milliers de litres d'eau contaminée par les produits toxiques qui vont être ensuite reversés dans la rivière, laquelle se jette dans la baie d'Arousa, où travaillent près de 4 000 familles de ramasseurs de coquillages. Sans compter l'utilisation de millions d'eucalyptus par an, un arbre qui détruit la biodiversité de nos forêts », explique Juan, du collectif Sauver Ulla.

« Nous appelons à plus de solidarité climatique »

 À en croire les derniers sondages publiés en Galice, cette bataille environnementale est parvenue à mobiliser l'électorat local. Le parti régionaliste BNG en a fait l'axe principal de sa campagne pour les européennes et oblige désormais les conservateurs au pouvoir, plutôt réticents à parler d'écologie, à s'exprimer sur le sujet. « Ici, en Espagne, comme un peu partout ailleurs, le grand défi planétaire ou l'agenda climatique ne marquent pas la campagne électorale européenne ; en revanche, les combats environnementaux locaux, comme cette usine de cellulose, la gestion de l'eau en Catalogne, les mesures pour faire face à la sécheresse dans l'agriculture en Andalousie ou encore le problème du surtourisme dans les îles des Baléares ou aux Canaries sont des questions qui agitent le débat électoral au niveau régional. La droite a tort de ne pas y prêter plus d'attention », assure le politologue Pablo Simón.

Dans ce débat, la tête de liste du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), Teresa Ribera, ministre de la Transition écologique, est de loin la candidate la plus à l'aise pour défendre la cause écologique. Dans chacun de ses meetings, la ministre europhile rappelle l'importance de voter pour une Europe plus verte : « Notre pays est celui qui subit de plein fouet le changement climatique, et les pénuries d'eau y sont le plus fréquentes. Nous appelons à plus de solidarité climatique de l'Europe humide envers l'Europe sèche et surtout nous condamnons tous ceux qui nient les effets du climat sur notre territoire », déclarait-elle lors d'un récent meeting en Estrémadure, faisant référence au gouvernement régional formé par les conservateurs et l'extrême droite.

Ce n'est pas un hasard si Pedro Sánchez, le leader socialiste, a désigné Teresa Ribera pour briguer le probable poste de commissaire à l'Écologie et à l'Énergie dans le futur exécutif européen. Faute de parti écologique en Espagne, la question environnementale est absorbée par le Parti socialiste. « Mais parler du climat est aussi une façon de recentrer le débat sur des thèmes où les socialistes se sentent confortables », commente Pablo Simón. Et d'ajouter : « Cela évite ainsi de s'engouffrer dans la brèche du conflit catalan ou dans les affaires de corruption qui éclaboussent la femme du leader Sánchez. »

Esp.


Teresa Ribera en meeting à Barakaldo, au Pays basque, vendredi. © LTD / ION ALCOBA POUR LA TRIBUNE DIMANCHE

Toujours au pouvoir après avoir menacé de démissionner, Pedro Sánchez espère ressouder son camp et ses partisans au lendemain du scrutin européen. Son gouvernement, qui se maintient dans une position minoritaire et instable, est à la merci d'alliés catalans imprévisibles au Parlement. Faute de soutien, l'exécutif a été contraint d'abandonner les budgets généraux de l'État et a renoncé à présenter plusieurs initiatives législatives au Congrès des députés, comme la loi sur le logement. Or Sánchez continue de croire en sa bonne étoile. Présent dans les meetings auprès de la candidate Teresa Ribera, il évoque une nouvelle remontada de la gauche le 9 juin, comme ce fut le cas lors des élections législatives de juillet dernier. Car si les sondages donnent gagnant le Parti populaire (PP) avec une faible marge (33,5 % contre 30,1 % pour le Parti socialiste), le PSOE a réussi à réduire l'écart ces derniers jours.

À droite, le leader du PP, Alberto Núñez Feijóo, appelle à une mobilisation maximale. Sortant de sa réserve, ce Galicien âgé de 62 ans multiplie les interventions publiques et n'a pas hésité à organiser un grand rassemblement à Madrid avec tous les barons de la droite le premier jour de la campagne électorale pour les européennes. Son objectif est clair : bousculer le chef du gouvernement et le forcer à convoquer des élections législatives anticipées. Pour y parvenir, la droite revient en boucle sur l'éternelle question catalane et la loi d'amnistie, qui vient d'être approuvée au Parlement. Ce texte, adopté en échange du soutien des partis catalans à l'investiture du leader socialiste Pedro Sánchez, va permettre de blanchir les dirigeants catalans impliqués dans le processus d'indépendance de 2017, parmi lesquels l'ex-président catalan Carles Puigdemont, qui pourra revenir sur le territoire espagnol après six ans passés en exil, car il était poursuivi par la justice espagnole. « Pour la droite, ces élections européennes sont comme un second tour des législatives qui se sont tenues en juillet. Les conservateurs, qui rêvent d'une victoire éclatante le 9 juin, espèrent que Pedro Sánchez sera sanctionné dans les urnes pour avoir trahi les Espagnols avec l'amnistie », assure Cristian Monge, professeur de science politique à l'Université autonome de Saragosse.

Parler du climat est une façon de recentrer le débat sur des thèmes où les socialistes se sentent confortables

Pablo Simón, politologue

Mais dans cette surenchère catalane, le Parti populaire a un concurrent de poids. La formation d'extrême droite Vox, membre du groupe Conservateurs et Réformistes (CRE) au Parlement européen aux côtés de l'Italienne Giorgia Meloni, a recours à des arguments semblables pour attirer les électeurs mécontents de la politique de « réconciliation » de Pedro Sánchez avec Barcelone. Or, à la différence de ses homologues européens, Vox ne devrait pas créer de surprise le 9 juin. Crédité de 12,6 % dans les sondages, il arrive loin derrière le Parti populaire et le Parti socialiste. « Le phénomène Vox est assez tardif par rapport au reste de l'Europe, rappelle Pablo Simón. Vox va bien quand le PP va mal et vice versa. Ils ont besoin l'un de l'autre, mais la ligne radicale et outrancière de Vox met souvent le PP dans l'embarras. » Certains observateurs politiques pensent toutefois que Vox, très présent lors des mouvements de protestations d'agriculteurs qui ont secoué l'Europe cet hiver, va bénéficier du vote rural.

Car, à l'inverse du Parti populaire, les enjeux climatiques et plus largement l'environnement occupent une place importante de son programme électoral européen. « Vox est le seul parti à avoir une position eurosceptique en Espagne. Il instrumentalise l'écologie, et en fait l'exemple même du prétendu "diktat" bruxellois. L'agenda vert, la transition écologique ou les directives européennes protectrices de l'environnement sont des normes à bannir pour ce parti qui défend la tauromachie et l'agriculture intensive », remarque Pablo Simón.

Ce coup de pouce du monde agricole, Vox ne l'aura sans doute pas en Galice, seule région d'Espagne où la formation d'extrême droite n'a aucune représentation au Parlement régional. Dans le cortège qui parcourt les rues de Palas de Rei, Carmena, âgée de 32 ans et qui vit à quelques mètres de là où devrait être construite la méga-usine de cellulose, appelle ses compatriotes à se mobiliser : « Je veux croire encore à la capacité des politiques européens à agir pour l'environnement, c'est d'ailleurs la seule raison pour laquelle je vais aller voter le 9 juin. »

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.