![Les entreprises et administrations s'envoient chaque année 253 millions de courriers, selon Bercy. (photo d'illustration)](https://static.latribune.fr/full_width/2173914/chef-d-entreprise.jpg)
Les entreprises françaises pâtissent-elles davantage des lourdeurs administratives que dans les pays voisins ? Ce lundi arrive en séance publique au Sénat le projet de loi de simplification de la vie économique, porté par Bruno Le Maire. Le ministre de l'Economie a présenté fin avril un plan de 50 mesures, dont la moitié sont l'objet de ce projet de loi, afin de débarrasser les entreprises de « la paperasse ».
Bruno Le Maire a ainsi dévoilé comment l'Etat allait aider des patrons de TPE et PME « fatigués, exaspérés » par les tâches administratives, auxquelles ils consacrent « en moyenne huit heures par semaine », l'équivalent de trois points de PIB par an. Et pour cause. Il y a, en France, 400.000 normes applicables, les huit principaux codes comptent 23.000 pages, contre 828 en 1833, les entreprises et administrations s'envoient chaque année 253 millions de courriers, a souligné Bercy. Pour les petits patrons, « on est parfois chez Kafka », remarquait la ministre des Entreprises, Olivia Grégoire, fin avril.
Ce plan de simplification permettra-t-il à la France de se mettre au niveau de ses voisins sur le Vieux Continent ? Pour Olivier Rietmann, les démarches administratives sont, en effet, plus lourdes pour un chef d'entreprise en France que dans les autres pays européens. « Oui, c'est plus compliqué », confirme ainsi à La Tribune le sénateur LR, qui a fait voter au Sénat en mars une proposition de loi visant à généraliser les « tests PME », afin d'évaluer en amont l'impact des normes sur les entreprises.
La France, 107e sur 140 pour le fardeau administratif
Selon l'indice de compétitivité mondiale, la France se classait en 2018 au 107e rang sur 140 pays pour le fardeau administratif, les entreprises interrogées ayant répondu à la question : « Dans votre pays, comment est-il fastidieux pour les entreprises de se conformer aux exigences de l'administration (permis, réglementations, rapport) ? »
Autre indicateur : la France arrive en tête de l'indice mondial de complexité de la paie 2023, réalisé par le cabinet international spécialisé dans les ressources humaines Alight. Les bulletins de paie français comptent jusqu'à 55 lignes, contre une quinzaine en Belgique, au Royaume-Uni, en Allemagne ou en Espagne. Le projet de loi du gouvernement prévoyait une fiche de paie simplifiée à 15 lignes, mais le dispositif a été supprimé mardi dernier par une commission spéciale au Sénat. Les sénateurs redoutaient que cela représente une tâche supplémentaire pour les entreprises, le salarié pouvant toujours demander une version détaillée de son bulletin de paie.
« Il y a les normes, et il y a les contraintes d'application avec la surtransposition des directives européennes », explique Olivier Rietmann, co-auteur avec les sénateurs Gilbert-Luc Devinaz (PS) et Jean-Pierre Moga (UDI) d'un rapport d'information relatif à la simplification des règles et normes applicables aux entreprises, publié le 15 juin 2023. « La France applique au maximum la fourchette d'application des directives européennes, alors que l'Allemagne ou les Pays-Bas l'appliquent au bas mot », affirme-t-il. « En France, un chef d'entreprise est censé ne pas ignorer 11.176 articles du Code du travail, 7.008 articles du Code du commerce, ou encore 6.898 articles du Code de l'environnement », ajoute le sénateur Gilbert-Luc Devinaz.
« Ce qui crée de la complexité, c'est l'état d'esprit dans lequel l'administration crée de la norme, avec une certaine défiance vis-à-vis du monde de l'entreprise », estime Olivier Rietmann. « Nous devrions beaucoup plus travailler en confiance avec les entreprises, faire des lois et des normes simples, avec un dialogue simple, et ensuite faire du contrôle et sanctionner en cas de volonté affichée de tricher. »
Olivier Rietmann regrette que, « depuis des décennies », la France engage « des chocs de simplification » et « s'attaque à des stocks de normes, de documents ». Mais, « tant que nous ne maîtrisons pas en amont la machine à produire la loi et que nous ne travaillons pas sur le flux, comme le font beaucoup de pays qui nous entourent, c'est peine perdue. C'est un coup d'épée dans l'eau », déplore-t-il.
Le sénateur LR appelle à « la création d'une instance, d'une entité ou d'un haut conseil qui va travailler sur tout ce qui est lié aux textes législatifs, réglementaires et européens avec une information en amont et la réalisation de tests PME ».
Gilbert-Luc Devinaz précise toutefois que le fardeau administratif est « une problématique qui se pose dans tous les pays » et qui n'est « pas spécifique à la France ». Contactée par La Tribune, Elvire Fabry, chercheure senior à l'Institut Jacques Delors, confirme qu'il ne s'agit « pas d'un sujet qui est porté dans l'agenda simplement en France, mais qui réémerge à travers pas mal d'États membres ».
Le coût des normes mal évalué
Du côté des chefs d'entreprise, la vice-présidente de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), Bénédicte Caron affirme que « pour les entreprises françaises, les normes sont trop lourdes, insatisfaisantes, clairement ». La représentante suppose que « c'est plus complexe en France que chez nos voisins », mais reconnaît ne pas disposer de suffisamment d'éléments pour le démontrer. Et pour cause, le poids des normes en France reste encore difficile à chiffrer précisément.
« Le coût macro-économique de la réglementation pesant sur les entreprises n'est pas connu avec certitude, variant du simple au double », indique le rapport d'information du Sénat.
« Le problème est que le coût des normes en France n'a jamais été véritablement évalué », regrette, en effet, Agnès Verdier-Molinié, directrice de la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (iFRAP), interrogée par La Tribune. « L'Allemagne, les Pays-Bas ou la Belgique ont fait une évaluation du stock au départ et évaluent depuis en permanence le flux de normes. La France n'a jamais fait cette évaluation du stock et évalue encore moins le flux, sauf curieusement en ce qui concerne les collectivités locales ».
Dans une étude de juillet 2022, l'iFRAP estime la charge administrative à 75 à 87 milliards d'euros pour les entreprises, mais « il ne s'agit que d'une estimation », précise Agnès Verdier-Molinié, qui aimerait « une véritable évaluation officielle en temps réel par un organisme indépendant en stock et en flux, comme en Allemagne avec le NKR ».
Les Pays-Bas, pays le plus avancé
S'il semble difficile de comparer les lourdeurs administratives avec nos voisins, qu'en est-il en termes d'efforts de simplification ? Dans le cadre du rapport d'information de juin dernier, Olivier Rietmann dit s'être inspiré de trois pays « avec une véritable efficacité » en la matière : les Pays-Bas, l'Allemagne et la Suisse.
« Les Pays-Bas sont souvent présentés comme les pionniers de la simplification du droit en Europe », rappellent les sénateurs dans leur rapport. Le test PME y a été déployé en mai 2019 et « permet une discussion avec des entrepreneurs de PME, pour s'assurer que les nouvelles lois et réglementations sont réalisables et praticables / applicables pour les PME et qu'elles impliquent la charge réglementaire la plus faible possible ».
Une autorité indépendante y donne par ailleurs son avis sur toutes les normes qui ont un impact sur les entreprises. Résultat, « la charge réglementaire pesant sur les entreprises a été réduite de 2,5 milliards d'euros entre 2012 et 2017 », selon le rapport d'information.
« Je trouve la démarche intéressante, avec beaucoup de moyens pour que l'autorité indépendante fasse un travail sérieux », salue le sénateur Gilbert-Luc Devinaz, qui voit dans les Pays-Bas « le pays le plus avancé » en matière de simplification. « Quand des lois européennes se traduisent en normes et en transpositions aux Pays-Bas, ils font l'analyse de ce que ça va impliquer en réglementation à la charge des entreprises. »
Baisse de 12 milliards des coûts administratifs en Allemagne
En Allemagne, « une politique rigoureuse de simplification a porté ses fruits puisque entre 2006 et 2011, les coûts administratifs pour l'économie ont baissé de plus de 12 milliards d'euros », indique également le rapport.
Comme aux Pays-Bas, une autorité indépendante, le NKR, créée en 2006, veille depuis 2011 « au contrôle de la qualité des études d'impact des projets de réglementation et au contrôle des coûts d'information, découlant d'une loi, d'un règlement, de statuts ou de dispositions administratives, et obligeant une entreprise à collecter, mettre à disposition ou transmettre des données et autres informations aux autorités ou à des tiers », selon le rapport d'information rédigé par les sénateurs.
Par ailleurs, un indice des coûts de la bureaucratie calcule depuis 2012 celui des obligations à la charge des entreprises en Allemagne. Trois lois de simplification ont été adoptées depuis 2016 et le gouvernement allemand en a présenté une nouvelle, en mars, afin d'alléger la bureaucratie.
Plusieurs centaines de millions de francs suisses économisés
De son côté, la Suisse s'est dotée d'un « test de compatibilité PME » en 1998. Depuis 2006, une commission extraparlementaire, composée en majorité de chefs d'entreprise, doit par ailleurs « analyser les réglementations existantes qui occasionnent une charge administrative importante aux entreprises », permettant « plusieurs centaines de millions de francs suisses d'économies pour les PME concernées ». « À bien des égards, les efforts de la Suisse en ce domaine sont exemplaires », saluent les sénateurs.
Olivier Rietmann affirme que le Royaume-Uni et l'Italie effectuent également un travail sur le flux de législatifs et réglementaires, et espère que l'Espagne et le Portugal suivront afin de « créer un club des pays européens qui pourraient peser sur les textes et européens et sur les directives, grâce à des tests PME sur leurs entreprises ». Et de rappeler que « la Commission européenne a elle-même créé un comité d'évaluation des normes qui réalise des tests PME sur les futures directives ou textes européens ».