Productivité : le sévère décrochage de la France

La productivité française a chuté brutalement pour atteindre un niveau en 2023 bien inférieur à celui d'avant le Covid (-3,5%), alertent les économistes. Et, l'écart avec la zone euro s'est accentué. Au centre des inquiétudes, ce décrochage pourrait s'amplifier dans un contexte de marasme budgétaire peu propice aux investissements dans la recherche et développement et à la relance de l'industrie. Plombées par l'incertitude politique, les entreprises sont dans l'attentisme. Décryptage.
Grégoire Normand
Dans l'industrie, la productivité a considérablement chuté.
Dans l'industrie, la productivité a considérablement chuté. (Crédits : Reuters)

La France traverse une zone de fortes turbulences. Trois semaines après le second tour des élections législatives, la situation politique est loin d'être tranchée. Divisée en trois blocs, l'Assemblée nationale ne dispose pas de majorité absolue. Et les interminables négociations au sein du Nouveau Front Populaire (NFP) pour proposer un nouveau Premier ministre repoussent toujours plus loin l'arrivée d'un nouvel exécutif à Matignon. Dans ce contexte troublé, les entreprises et les ménages sont toujours plongés dans un épais brouillard. « On est inquiet du choc d'incertitude », confie un ancien patron d'une grande banque française. « Les entreprises sont inquiètes sur l'investissement et l'emploi ».

Percutée par des crises brutales (pandémie, guerre en Ukraine, crise de l'énergie), la trajectoire du produit intérieur brut (PIB) de l'économie tricolore a brutalement chuté ces deux dernières décennies. Au centre des angoisses, la productivité a chuté, pour atteindre en 2023 un niveau inférieur de 3,5% par rapport à 2019 alors qu'elle accélérait entre 0,5% et 0,6% depuis 2010, selon une récente note de l'Insee. En prenant en compte la tendance pré-Covid, le déficit de productivité s'établit même à 5,5% points. « Ce décrochage est inquiétant », déclare François Geerolf, professeur d'économie à Sciences-Po contacté par La Tribune. « Le gouvernement dit que son bilan est positif. L'emploi s'est certes amélioré mais la productivité s'est effondrée ».

Insee productivité

Productivité : le décrochage brutal de la France en zone euro

Ce recul est d'autant plus spectaculaire que la zone euro a subi un décrochage mais de moindre ampleur que celui de la France. En Europe, la productivité accuse un retard de 1 point environ par rapport à la précédente décennie.« Les courbes de productivité en France et en zone euro ont suivi quasiment la même tendance jusqu'en 2020. Et après, il y a un net décrochage », poursuit l'économiste.

À l'opposé, les Etats-Unis ont gagné des points de productivité malgré les violentes crises qui ont frappé l'économie outre-Atlantique. La productivité par tête serait même 5 points au-dessus de son niveau d'avant crise sanitaire. Dopés par les gigantesques plans de relance post-Covid de Joe Biden, les moteurs de la productivité américaine tournent à plein régime.  A ceux-là s'est ajouté l'Inflation Reduction Act (IRA) en faveur de l'industrie verte et de l'innovation.

productivité

Parmi les principaux facteurs évoqués pour expliquer le décrochage zone euro/Etats-Unis figurent en premier lieu les prix de l'énergie et l'explosion des matières premières. La guerre en Ukraine a en effet plongé les industriels européens, et notamment allemands, dans un profond désarroi compte tenu de leur dépendance à l'énergie fossile russe. Les économistes avancent également de moindres investissements dans la recherche et développement ou des politiques budgétaires plus restrictives. Ces facteurs en commun avec la zone euro expliqueraient environ 20% du retard français, selon les économistes de l'Insee. « La question importante est de savoir si cette baisse de la productivité va se poursuivre à moyen ou long terme en France », déclare Vladimir Passeron, chef du département de l'emploi à l'institut de statistiques.

Une faible croissance riche en emploi

L'autre facteur qui peut aussi expliquer une partie du décrochage est le rythme important des créations d'emplois en France. La croissance de l'emploi a augmenté bien plus rapidement que la croissance du PIB depuis la pandémie. L'emploi a progressé deux fois moins vite en zone euro (+2,8%) que dans l'Hexagone (+6,1%) sur la période 2019-2023. En parallèle, le produit intérieur brut (PIB) a accéléré à un rythme comparable (2,4% en France et 2,5% en zone euro).

Cette accélération très forte de l'emploi, notamment dans les services a pu plomber les gains de productivité. Contrairement à l'industrie, la productivité dans le tertiaire est souvent bien plus faible, à l'exception des emplois très qualifiés. Or, la chute vertigineuse du poids de l'industrie dans l'économie tricolore a contribué à plomber la productivité. «Une grande partie de la baisse de la productivité vient de l'industrie. Or, cette baisse vient en décalage avec le discours du gouvernement sur la réindustrialisation », note François Geerolf, qui parle même d'un « effet d'hystérèse ». En économie, cela correspond aux effets persistants d'une crise comme la pandémie par exemple.

Lire aussiProductivité dans l'industrie française : anatomie d'une chute

Envol de l'apprentissage et des micro-entreprises

Comment une telle différence sur l'emploi entre la France et la zone euro peut-elle s'expliquer ? Le gouvernement tricolore a fortement mis l'accent sur l'apprentissage depuis 2017, d'abord en faisant passer une réforme puis en déployant un arsenal d'aides important. « L'effet de l'alternance est une spécificité française », souligne Vladimir Passeron. Au total, le nombre de contrats d'alternants a bondi de 60% entre 2019 et 2023. Ces alternants sont comptabilisés dans la statistique publique sur des emplois à temps complet dans les entreprises.

Or, ces personnes moins expérimentées suivent des formations et ne sont pas à 100% dans les sociétés. Enfin, l'objectif de baisse du chômage a pu s'accompagner d'une baisse de la productivité. En effet, le chômage a d'abord baissé pour les personnes les plus éloignées de l'emploi ou les moins qualifiés. Ce qui a pu jouer en faveur de la productivité du travail. A l'inverse, le taux de chômage des cadres est resté relativement stable ces dernières années.

En parallèle, le nombre de micro-entreprises s'est envolé depuis la libéralisation du statut de l'auto-entrepreneur. « Phénomène bien plus lourd, le travail indépendant explose, avec la prolifération de l'auto-entrepreneuriat. Et avec ce phénomène dopé par les crises, de plus en plus de personnes comptabilisées en emploi, mais sans activité ou en sous-activité, ce qui plombe la durée de travail attachée aux indépendants », indique l'économiste Olivier Passet, du cabinet Xerfi.

Face aux difficultés de recrutement, des rétentions de main-d'oeuvre

La mise à l'arrêt de l'économie pendant la pandémie pour éviter la propagation du virus a également provoqué des frictions sur le marché du travail. Pour faire repartir plus facilement l'activité au moment des déconfinements, beaucoup d'entreprises ont préféré garder leurs salariés face aux difficultés criantes de recrutement. Contrairement à la grande crise de 2008-2010, le gouvernement français a rapidement mis en place le dispositif de chômage partiel pour des millions de salariés.

Ce vaste filet de sécurité a certes permis aux moteurs de l'économie hexagonale de repartir plus rapidement. Mais ces rétentions de main-d'oeuvre ont également pu pénaliser la productivité des entreprises. « Une des hypothèses de la chute de la productivité est que les dispositifs de chômage partiel ont été très généreux en France », souligne François Geerolf. Ces phénomènes de rétention ont par exemple été observés dans l'aéronautique ou dans l'énergie. De même que certains économistes évoquent des phénomènes de « zombification » de l'économie liés aux aides Covid. Beaucoup d'entreprises auraient survécu grâce aux aides du « quoi qu'il en coûte ». Mais ce phénomène semble s'estomper au regard de l'envolée des défaillances d'entreprises et de la cure de régime budgétaire.

Lire aussiDéfaillances d'entreprises : alerte rouge pour les PME et TPE françaises

Grégoire Normand
Commentaires 22
à écrit le 24/07/2024 à 19:29
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Il serait préférable, voir judicieux de regarder du coté des entreprises qui réussissent : Andros leader européen dans son domaine tout comme Heulote , Altrad , Figeac Aéro , Dassault Système et d'autres et ce qui caractérise leurs succès : équipes d...

à écrit le 24/07/2024 à 16:12
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Le point positif, c'est que le chômage baisse. Mais, bientôt, la FRANCE ne sera plus qu'un pays de serveurs, de cuisiniers et de paysans (sans aucune connotation péjorative sur ces gens qui font généralement bien leur travail, contrairement aux macro...

le 25/07/2024 à 10:07
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C'était aussi le rêve de la droite française, Jean Pierre Raffarin déclarant que les emplois de service à la personne étaient l'avenir "car ils ne sont pas délocalisables"... Après, on s'étonne que deux élèves ingénieurs sur trois aspirent à travaill...

à écrit le 24/07/2024 à 15:10
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De mon point de vu, la baisse de productivité a pour principale cause la mise en place du marché européen de l'énergie. Il est tellement désavantageux que des sociétés vont maintenant s'implanter aux USA, et d'autres ferment devant les factures exorb...

à écrit le 24/07/2024 à 12:08
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Avec LFI , tout va être sauvé , retraite à 60 ans , SMIC à 1600 et 32 heures de travail, augmentation des impôts sur les actionnaires , hausse de la fiscalité sur l'IR avec un renforcement de la fiscalité progressive etc.... On va avoir une économie ...

à écrit le 24/07/2024 à 10:42
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En économie, les salaires et la productivité sont liés dans un monde ouvert. L'industrie n'ayant qu'un poids de 10 % dans le PIB, les gains de productivité dans l'industrie ne couvrent pas les pertes dans les services, administrations et services pub...

à écrit le 24/07/2024 à 9:49
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Pas grave vu que déjà peu compétitive les PME et ETI françaises s'exportent quasiment pas. L'augmentation somptueuse de 200€/mois va doper les importations de produits technologiques dont les ploucs raffolent. Hip hip houra pour le NFP sauveur des ...

à écrit le 24/07/2024 à 7:51
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L'inflation réglementaire paralyse de plus en plus l'activité économique. Tout est trop complexe, trop normé, on ne peut plus innover. Plutôt que de mal faire, les gens baissent les bras ou s'en vont. Le climat est à la démotivation générale. Tout ce...

à écrit le 24/07/2024 à 6:44
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Des gens qui travaillent toujours plus longtemps en toujours moins bonne santé, c'est logique. A force de tirer sur la corde elle se casse.

à écrit le 24/07/2024 à 3:30
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À la France : Avec ses 35 heures de travail par semaine, ses nombreux jours de vacances et ses jours fériés que le monde nous envie, sans oublier les multiples jours de grève, il ne faut pas s'étonner que la productivité s'effondre.

à écrit le 24/07/2024 à 2:16
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Declin de l'occident, la France en tete. Pour une fois.....

à écrit le 24/07/2024 à 1:23
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Bon j'ai regardé l'étude de l'Insee, pour expliquer la baisse de productivité, ils partent loin et évoquent même les cadences accrues de maintenance des centrales nucléaires! Puis la phrase qui tue : "Il faut toutefois souligner que ce décrochage de ...

à écrit le 23/07/2024 à 23:43
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S'il est question de productivité en valeur ajoutée, c'est assez cohérent car pour se prémunir d'un scénario à la Tunisienne où la jeunesse massivement sous-employée avait renversé la table, l'Etat subventionner des tas d'activités de services non-dé...

à écrit le 23/07/2024 à 21:42
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Rien à voir avec le gouvernement: plus personne ne bosse dans ce pays! Vous avez essayé de faire appel à un peintre ou un plombier?

à écrit le 23/07/2024 à 21:25
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La France gagne en productivité bureaucratique.chaque année et avec le nouveau front populaire on sera champion du monde

à écrit le 23/07/2024 à 20:07
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"Dans l'industrie, la productivité a considérablement chuté" Quand on voit la photo ,on en doute pas une seconde.

à écrit le 23/07/2024 à 19:53
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ca prouve que le nivellement par le bas, ca marche!!! les resultats sont conformes a ce qui etait prevu, tout comme la pauperisation qui va suivre.......tout les jours je regarde le VENEZUELA ou l'ami de MELENCHON a reduit les inegalites, car il n'y ...

à écrit le 23/07/2024 à 19:53
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Comment vouloir se defoncer au boulot sachant que tu n auras rien de plus ou si peu, mais que cela engraissera un peu plus les gros qui en foutent pas une. Petit rappel, il n y a jamais eu autant de millionnaires et milliardaires que maintenant........

à écrit le 23/07/2024 à 19:40
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Votre article oubli une donnée européenne et française que ne connaissent pas les usa : le vieillissement de la population européenne : on ne peut pas exiger la même prod a un salarié de 60-65 ans qu un salarié de 25-40… dans certaines sociétés fr...

à écrit le 23/07/2024 à 19:40
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Votre article oubli une donnée européenne et française que ne connaissent pas les usa : le vieillissement de la population européenne : on ne peut pas exiger la même prod a un salarié de 60-65 ans qu un salarié de 25-40… dans certaines sociétés fr...

à écrit le 23/07/2024 à 19:24
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Productivité (négative), quel succès ✌Un brin de positivité? Bientôt la croissance "négative" (synonyme de récession en langage "maintream"); un autre succès✌? 🤡

à écrit le 23/07/2024 à 19:12
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Les résultats de la France, dans le classement PISA, sont « parmi les plus bas jamais mesurés », selon l’OCDE. En mathématiques, elle connaît entre 2018 et 2022 « une baisse historique du niveau des élèves ». La France connait également une forte bai...

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