Nouvelle-Calédonie : l'économie au bord de l'asphyxie

Les violentes émeutes en Nouvelle-Calédonie vont avoir de lourdes conséquences pour l'économie locale. La CCI chiffre déjà des dégâts estimés à 200 millions d'euros alors que le territoire est traversé par une grave crise sur le secteur du nickel, qui représente plus d'un quart des emplois du « Caillou ».
La Nouvelle-Calédonie est secouée depuis 48h par de violentes émeutes qui ont déjà fait quatre victimes.
La Nouvelle-Calédonie est secouée depuis 48h par de violentes émeutes qui ont déjà fait quatre victimes. (Crédits : Delphine Mayeur / Hans Lucas via Reuters Connect)

[Article publié le mercredi 15 mai 2024 à 19h10 et mis à jour le jeudi 16 mai 2024 à 15h25] Pillages, incendies, échanges de tirs... La Nouvelle-Calédonie est secouée depuis lundi par de violentes émeutes qui ont déjà fait cinq victimes. A tel point qu'Emmanuel Macron a déclaré mardi l'état d'urgence, entré en vigueur jeudi à 5 heures du matin à Nouméa (soit mercredi 20h à Paris). Gabriel Attal, le Premier ministre, a également annoncé mercredi soir le déploiement de militaires pour sécuriser les ports et l'aéroport de l'archipel.

Les émeutes pourraient même tourner à la « guerre civile » alerte Jean-François Merle, conseiller de Michel Rocard pour les Outre-mer lors de la négociation des accords de Matignon sur l'archipel en 1988, aujourd'hui expert à la Fondation Jean-Jaurès.

Au cœur de la crise : la réforme du code électoral de Nouvelle-Calédonie, votée à l'Assemblée nationale. Dans le détail, le corps électoral actuel est limité seulement aux électeurs inscrits sur listes avant 1998 et à leurs descendants. Ce qui exclut de ce fait les résidents arrivés juste après. La réforme vise donc à revenir sur cette organisation mais les indépendantistes la rejettent, estimant qu'elle lèse le poids électoral du peuple autochtone Kanak.

« Ce qu'il se passe est apocalyptique, on n'a pas connu une crise de cette ampleur depuis des années », s'alarme Xavier Benoist, le président de la Fédération des Industries de Nouvelle-Calédonie.

Pillages et incendies d'entreprises

Des émeutes qui vont avoir des conséquences économiques lourdes sur un territoire déjà fragilisé. Le manque d'approvisionnement des commerces provoque déjà des pénuries alimentaires et d'essence dans une économie tiraillée par de nombreuses inégalités. L'aéroport de Nouméa est également fermé depuis lundi.

D'après la Chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Nouvelle-Calédonie, les émeutes auraient même causé 200 millions d'euros de dégâts. D'après son président, 80% à 90% du circuit de distribution (magasins, entrepôts, grossistes) de Nouméa ont été détruits.

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« Des entreprises disparaissent car elles sont pillées et brûlées, plus de 150 entreprises sont concernées », énonce Xavier Benoist. D'après lui, c'est 1.500 à 2.000 emplois qui vont disparaître dans le privé, sur un total de plus de 60.000 emplois enregistrés en 2020. « On ne connaît pas encore le bilan définitif, mais on n'arrivera pas à se relever seul de la situation », pointe Xavier Benoist.

« Il faudra réparer après la crise, ce qui signifie des coûts et des interrogations sur le fonctionnement des assurances », argue de son côté Hervé Mariton, président de la Fédération des entreprises des Outre-mer FEDOM et ancien ministre de l'Outre-mer en 2007.

Climat des affaires morose

D'autant que le contexte économique sur le « Caillou » était déjà tendu. « Les émeutes aggravent une dynamique qui n'était déjà pas favorable », pointe Ivan Odonnat, président de l'IEDOM et directeur général de l'IEOM. En 2023, le climat des affaires s'est profondément dégradé, d'après l'Institut d'Emission d'Outre Mer (IEOM), avec une détérioration de la trésorerie des entreprises. « Le premier trimestre de cette nouvelle année est aussi marqué par des perspectives de baisse d'activité », complète-t-il. Le contexte institutionnel indécis ajoutant un peu plus à l'incertitude des entreprises et des investisseurs.

« Les incertitudes politiques pèsent sur l'économie calédonienne et les difficultés de l'économie calédonienne n'aident pas à trouver une sérénité politique », souligne Hervé Mariton.

Principalement à la base des tensions économiques : le secteur du nickel qui représente près de 20% du PIB. La Nouvelle-Calédonie est le troisième producteur mondial de ce minerai stratégique utilisé pour la fabrication de batteries des voitures électriques. Mais l'industrie traverse une grave crise alors qu'elle emploie directement et indirectement près de 25% des salariés du « Caillou », soit le premier employeur privé de la Nouvelle-Calédonie. En cause, la baisse du prix du nickel de 45% en 2023, provoquant une chute de la production, ainsi que de l'augmentation des prix de l'électricité et une concurrence de plus en plus accrue d'autres pays tel que l'Indonésie.

Pacte nickel

Dans ce contexte, trois usines, qui fabriquent et exportent du nickel sont directement menacées. L'une d'entre elles, KNS, a même dû suspendre son activité. Une décision de son principal actionnaire, Glencore. Mais même si l'opérateur s'est engagé à couvrir les salaires pendant plusieurs mois, c'est toute la filière, notamment les sous-traitants, qui se retrouvent donc impactés, sans être dédommagés.

« C'est un risque quand une économie est très dépendante d'une activité, comme la Nouvelle-Calédonie, elle doit faire face aux évolutions favorables ou non du secteur », fait valoir Ivan Odonnat.

Pour tenter de sauver la filière, le gouvernement a proposé un « pacte nickel », qui doit par ailleurs permettre d'amener la production principalement vers le marché européen plutôt que vers l'Asie. Mais les indépendantistes ne voient pas ce pacte d'un bon œil. En effet, ce dernier prévoit des centaines de millions d'euros de subventions, en échange d'une contribution attendue de 66,7 millions d'euros. Un coût considéré comme trop important pour certains. De quoi accentuer la dégradation du climat économique et social.

Le territoire traverse aussi d'autres difficultés. Parmi elles, la dégradation des finances publiques avec un taux d'endettement estimé à 153%. De ce fait, « le gouvernement n'a donc pas forcément les moyens de compenser la perte de revenus liée au nickel », estime Ivan Odonnat.

Alors que la réforme du code électoral à l'origine des heurts, doit être définitivement adoptée par l'Assemblée nationale et le Sénat réunis en Congrès fin juin, Emmanuel Macron a annoncé donner un délai d'un mois pour que les forces politiques locales puissent trouver un accord.

En attendant, les acteurs économiques locaux et la population doivent prendre leur mal en patience et faire face à l'incertitude. « Si on veut que l'économie reparte, il faut rétablir l'ordre public le plus rapidement possible  », pointe Hervé Mariton. « On peut être optimiste mais s'il faut passer par cette crise pour trouver un chemin de croissance et d'équilibre pour la société calédonienne, c'est cher payé », conclut Ivan Odonnat.

La Nouvelle-Calédonie, territoire français à l'histoire tourmentée au milieu du Pacifique

Conquise en 1853, colonie française jusqu'en 1946 devenue un territoire de la République, la Nouvelle-Calédonie est en proie à de violentes émeutes depuis deux jours, du fait d'une réforme électorale controversée faisant resurgir l'histoire tourmentée de cet archipel de l'océan Pacifique Sud.

  • Colonie de peuplement

Le 24 septembre 1853, sur ordre de Napoléon III, la France prend officiellement possession de la Nouvelle-Calédonie, située à 18.000 km de la métropole et à 2.000 km de l'Australie. La capitale Port-de-France, aujourd'hui Nouméa, est fondée en juin 1854.

Le peuplement de la Nouvelle-Calédonie est marqué à partir de 1864 par la colonisation pénale, plus de 20.000 bagnards y étant détenus jusqu'en 1897. Parmi eux, des milliers de prisonniers politiques sont déportés après 1871, année où la Commune de Paris et une insurrection kabyle en Algérie, autre ancienne colonie française, sont violemment réprimées.

Des « réserves » sont instaurées pour les indigènes, qui se voient dépossédés de leurs terres et soumis au travail obligatoire. L'exploitation du nickel, poumon économique de l'archipel, aujourd'hui en crise, entraîne plusieurs vagues de migration, notamment asiatique, tahitienne ou antillaise.

« La Nouvelle-Calédonie a été historiquement avant tout une colonie de peuplement, observe Benoît Trépied, anthropologue et spécialiste de cette problématique, interrogé sur la radio France culture. C'est une terre lointaine du Pacifique que la France a conquise non seulement pour exploiter les ressources mais aussi pour créer une nouvelle société locale ».

  • Kanak et Caldoches

Quelque 271.400 habitants, selon le dernier recensement de 2019, vivent dans l'archipel, dont les lagons exceptionnels sont inscrits au patrimoine mondial de l'Unesco. Parmi eux, 24% de la population est issue de la communauté européenne, dont les Caldoches, descendants des colons blancs.

Les Kanak, premiers habitants du pays, sont progressivement devenus minoritaires (41% des habitants aujourd'hui) en Nouvelle-Calédonie, territoire situé à au moins 24 heures de vol de Paris, qui a connu plusieurs soulèvements.

Dès 1878, une révolte kanak éclate contre la spoliation des terres. Quelque 600 insurgés et 200 Européens sont tués, des tribus anéanties et 1.500 Kanak contraints à l'exil.

Si la Nouvelle-Calédonie devient un Territoire d'outre-mer (TOM) en 1946 et les Kanak obtiennent la nationalité française, puis le droit de vote, des violences les opposent aux Caldoches dans les années 1980, dont la prise d'otage et l'assaut de la grotte d'Ouvéa en mai 1988 constituent le point culminant. Quelque 19 militants kanak et deux militaires français périssent.

  • « Décolonisation »

Un mois plus tard, les accords de Matignon scellent la réconciliation, au travers d'un rééquilibrage économique et d'un partage du pouvoir politique. Ils sont suivis en 1998 par l'accord de Nouméa qui dote l'archipel d'un statut unique dans la République française reposant sur une autonomie progressive.

Trois référendums sont prévus dans ce cadre. Le premier, en 2018, voit le non à l'indépendance l'emporter à 56,7%, ce que confirme la deuxième consultation populaire, en 2020 (53,26% de non). En 2021 le non l'emporte à 96,5%, mais les indépendantistes contestent la validité du scrutin, marqué par une forte abstention en pleine épidémie de Covid-19.

Les accords de Nouméa visent également à la « construction d'une citoyenneté calédonienne (...) dans la France mais avec une vocation d'émancipation », souligne Benoît Trépied, pour qui « le cœur du problème » reste de savoir « comment sortir d'une situation coloniale autrement que par la violence ».

Le Comité spécial de la décolonisation de l'ONU considère encore la Nouvelle-Calédonie comme l'un des 17 « territoires non autonomes dans le monde », « dont les populations ne s'administrent pas encore complètement par elles-mêmes ».

  • Réforme controversée

Une révision constitutionnelle prévoyant l'élargissement du corps électoral à tous les natifs calédoniens et aux résidents depuis au moins dix ans pour les élections provinciales, votée le 2 avril 2024 au Sénat, puis dans la nuit de mardi à mercredi par l'Assemblée nationale, a récemment mis le feu aux poudres.

Cette réforme, pour être adoptée, doit être approuvée par le Congrès à Versailles, qui devrait se réunir « avant la fin juin » selon le président Emmanuel Macron.

Si elle l'était, quelque 25.000 personnes, dont la moitié nées en Nouvelle-Calédonie, intégreraient le corps électoral, ce qui modifierait « profondément les équilibres politiques », selon Benoît Trépied.

« Ceux qui sont issus de ce qu'on appelle le peuple premier se considèrent plus légitimes que les autres, mais ceux qui sont arrivés par les aléas de la vie considèrent que c'est aussi leur terre et qu'ils doivent être traités de manière égale », justifiait mercredi matin le rapporteur du projet de loi Nicolas Metzdorf, député de Nouvelle-Calédonie (majorité), sur la radio France Inter.

A l'inverse, « pour les indépendantistes, le corps électoral, c'est la mère des batailles depuis l'origine », analyse Philippe Gomès, ancien président du gouvernement de Nouvelle-Calédonie, hostile à l'indépendance. « Ils ne peuvent pas s'empêcher de penser qu'à la sortie, la République française veut une nouvelle fois les diluer dans leur propre pays ».

(Avec AFP)

Commentaires 14
à écrit le 16/05/2024 à 11:39
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Le chaos social est là, il est installé et comme pour le sauvetage de Notre Dame il faudrait une forte personnalité pour gérer tout ce qui découle de cette crise: la pénurie alimentaire, l'électricité, l'eau, le logement de fortune, la permanence des...

à écrit le 16/05/2024 à 11:05
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Un peu de courage , le gouvernement ne doit pas céder aux revendications d'une minorité de la population . Tous les résidents doivent voter , rien de plus normal. En Afrique , partout la France est attaquée , espérons que nos politiques soient à la...

à écrit le 16/05/2024 à 10:10
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"Les émeutes vont avoir de lourdes conséquences pour l'économie". Comme en métropole : les gilets jaune, la Russie, la Chine, le covid, l'Europe, les réseaux sociaux, ect.Je pense que l'explication est plus simple, ils ont les mêmes dirigeants que no...

à écrit le 16/05/2024 à 10:01
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Ce gros problème jamais solutionné ne date pas d'aujourd'hui. A force de mettre les choses difficiles sous le tapis ça explose. Pour moi, mais je n'y connais rien, cette explosion préfigure ce qui pourrait se passer en France avec cette immigration n...

à écrit le 16/05/2024 à 9:28
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On va encore avoir de l'indignation de gauche sur les blancs colonisateurs qu'il faut mettre dehors. Quand ca sera fait la chine fera ses choux gras, enverra ça au t'as, et on aura de manifs d'indignation sue la responsabilité de l'ancien colonisateu...

à écrit le 16/05/2024 à 8:36
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L'amateur de cachoterie va de nouveau faire une conseil de défense, on n'a pas fini de se faire enfumer ! ;-)

à écrit le 16/05/2024 à 8:20
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Facile, c'est la faute à Mélenchon, aux jeunes, aux assistés et à LFI et aux écolos certainement aussi ce parti composé de psychopathe serial killer pédophiles terroristes de gauche ! Depuis le temps que la télé dit qu'il faut les interdire et les a...

à écrit le 16/05/2024 à 5:27
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L'un des boulets français.

le 16/05/2024 à 20:43
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"L'un des boulets français." Un boulet utile au commerce caldoche ainsi qu'aux nombreux ponctionnaires présents sur le territoire.

à écrit le 15/05/2024 à 21:35
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Comment ils ont des fusils .

le 16/05/2024 à 0:39
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"Comment ils ont des fusils ." De la même manière qu'un homme plombe 2 policiers dans un commissariat de métropole avec une arme de service non sécurisée... Encore un bienfait du colonialisme français.

à écrit le 15/05/2024 à 20:18
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"Nouvelle-Calédonie : l'économie au bord de l'asphyxie" Cela doit faire une belle jambe aux kanaks floués (cf. ségrégation ethnique et économique) par l'impérialisme français...

le 15/05/2024 à 20:50
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le 16/05/2024 à 9:56
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N’importe quoi les mines de nickel sont ds la partie indépendantistes de l’île et gérés par les seuls kanaks, la France coloniale et impérialiste met la main à la poche régulièrement ou pour soutenir le cours du nickel par des aides financières ou pa...

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