Augmentation du temps travaillé pour être indemnisé, réduction de la durée d'allocation à quinze mois... Pour Marylise Léon, numéro un de la CFDT, jamais réforme de l'assurance chômage n'a été aussi violente. Elle se pose en chef de file de la contestation.
LA TRIBUNE DIMANCHE - Pour adopter sa réforme de l'assurance chômage qui entrera en vigueur le 1 er décembre, le gouvernement doit prendre un décret. Vous allez le contester ?
MARYLISE LÉON - Oui, nos services vont chercher tous les leviers juridiques pour le faire, car les règles du gouvernement sont très dures. Cette réforme est avant tout budgétaire. Selon nos estimations, les économies iront d'ailleurs bien au-delà des 3,6 milliards d'euros annoncés. Ce seront plus de 4 milliards d'économies faites sur le dos des chômeurs. D'habitude, il y a un équilibre entre les baisses des droits des demandeurs d'emploi et les efforts des entreprises. Là, les employeurs vont pouvoir négocier l'extension du bonus-malus, dispositif qui doit éviter les embauches en contrat précaire, et s'en sortir à bon compte. Par contre, les chômeurs, eux, paient tout de suite l'addition.
Vous organisez un événement mardi. Pour sensibiliser l'opinion ?
Oui, avec les syndicats représentatifs, nous réunissons des économistes, des parlementaires, pour échanger autour de cette réforme dont nous voulons évaluer les conséquences concrètes. Nous sommes dépités de voir que le gouvernement prend une réforme sans même en mesurer l'impact. Il s'agit aussi de pointer ses incohérences : l'exécutif expliquait, il y a encore peu, que le régime devait être plus protecteur quand le chômage repart à la hausse. Or il fait le contraire, il durcit les règles quand la conjoncture se tend, quand de plus en plus d'entreprises sont en difficulté et que des secteurs entiers souffrent (bâtiment, grande distribution...).
Pourquoi ne pas manifester comme pour la réforme des retraites ?
Contrairement à la retraite, qui concerne tout le monde, le chômage fait moins bouger l'opinion. Pourtant, la perte d'emploi, ce n'est pas que pour les autres. Tout le monde peut connaître dans sa carrière une période sans travail. Mais, dans notre société, le chômage est tabou, honteux. Surtout avec un discours ambiant très culpabilisant qui consiste à dire que si vous n'avez pas de travail, c'est que vous l'avez bien cherché, que vous êtes un profiteur. 60 % des inscrits à France Travail (ex-Pôle emploi) ne sont pas indemnisés. Le montant moyen de l'allocation est de 1 033 euros par mois, quand le seuil de pauvreté en France est à 1 158 euros mensuels. Les chômeurs sont loin d'être des privilégiés ! C'est pourquoi nous dénonçons cette réforme extrêmement dure, dont le seul motif est de faire des économies.
En même temps, le contexte budgétaire est contraint...
Oui, mais le régime de l'assurance chômage est à l'équilibre ! Et la trajectoire actuelle permet un désendettement.
Vous soutenez le contre-projet de loi du groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (Liot)... Démocratie sociale et politique se rejoignent ?
Elles se complètent. Il nous semble important que la représentation nationale se saisisse du sujet. Dans leurs permanences, les parlementaires voient de plus en plus de personnes qui évoquent leur crainte de perdre leur emploi, de ne pas en retrouver un... Les députés se sont prononcés mercredi dernier en commission contre la réforme du gouvernement, en approuvant le projet du groupe Liot, qui propose notamment d'inscrire dans la loi dix-huit mois d'indemnisation des chômeurs, contre quinze mois comme le souhaite le gouvernement. Ce texte sera discuté jeudi prochain, le 13 juin.
C'est un ultime recours, qui signe l'échec des syndicats ?
Nous avons échoué à nous mettre d'accord avec le patronat sur la question de l'emploi des seniors. La CFDT le regrette, alors que nous avions trouvé un accord en 2023. Le gouvernement a repris la main, mais le dossier est loin d'être clos. La CFDT fera tout son possible pour combattre cette réforme injuste et dure.
Est-ce que, comme la CGT, vous appelez à la grève, notamment lors des JO ?
Non, ce n'est pas en menaçant de faire grève lors de cet événement que l'on va convaincre. Ce serait contre-productif. Sur les Jeux, je souhaite qu'il y ait désormais du dialogue social au cas par cas. Mais il y a un problème de méthode. Depuis 2016, la CFDT n'a pas vu un ministre du Travail pour parler des JO. La première réunion aura lieu demain ! C'est un peu tard...
Craignez-vous une rentrée sociale difficile ?
Elle sera très chargée, ne serait-ce que parce que le gouvernement évoque un deuxième acte de la loi travail. C'est le grand flou, même si l'attente est forte : les questions des conditions de travail, du sens, de la bonne articulation entre les temps de vie et de travail me sont posées par les travailleurs à chaque déplacement. Mais le pouvoir d'achat et les salaires restent LA priorité. C'est le premier motif de mobilisation dans les entreprises en 2023 et 2024... Le 18 juin par exemple, le secteur de l'hospitalisation privée débraie, car un accord salarial adopté cet hiver n'a toujours pas été appliqué par les directions. Signe que les travailleurs se mobilisent, adhèrent. En 2023, la CFDT a enregistré un solde positif de 23 000 adhérents. Nous sommes aujourd'hui plus de 634 000, dont 52 % de femmes. C'est une réponse à ceux qui nous disent que les syndicats sont affaiblis...