![Jean-Christophe Dumont est économiste et chef de la division des migrations internationales à la Direction de l’Emploi, du Travail et des Affaires sociales de l’OCDE.](https://static.latribune.fr/full_width/2402676/jean-christophe-dumont.jpg)
LA TRIBUNE - Dans l'ensemble des pays développés, quel est le coût de l'immigration en matière de finances publiques ?
JEAN-CHRISTOPHE DUMONT - Dans tous les pays de l'OCDE y compris en France, les immigrés contribuent plus en impôts et cotisations sociales qu'ils ne reçoivent en prestations individuelles (allocations familiales, chômage, logement, retraites, santé et éducation). Les immigrés sont des contributeurs fiscaux directs nets. Cette contribution correspond à environ 1 point de PIB (entre 20 et 25 milliards d'euros) chaque année entre 2006 et 2018.
Lorsque l'on tient compte du coût des services publics qui dépendent directement de la taille de la population (infrastructure, police, justice), le calcul est positif dans 90% des pays de l'OCDE. En France, la contribution devient neutre (0,25 point de PIB). L'impact fiscal devient négatif, pour les natifs comme pour les immigrés, dès lors que l'on prend en compte l'ensemble des dépenses publiques (service de la dette, dépenses militaires, etc). Sur les biens publics, les immigrés contribuent positivement, mais cette contribution nette dépend de la situation budgétaire de chaque pays. Au final, les effets sont souvent faibles et plutôt positifs à long terme.
Malgré cet effet « faible », le coût de l'immigration est toujours pointé du doigt par les forces politiques comme le Rassemblement national ou son prédécesseur le Front national de Jean-Marie Le Pen...
Sur le coût de l'immigration, le sujet a évolué. Dans les années 1980, le Front national (FN) faisait campagne sur son slogan « 1 million d'immigrés =1 million de chômeurs ». La problématique tournait autour du sujet : « Les immigrés viennent prendre notre travail ». Les débats ont évolué des questions du travail vers des questions fiscales. Ces questions sont cruciales, car elles renvoient au sujet de la soutenabilité de notre système de redistribution (pensions de retraite, aides au logement). La capacité à financer notre modèle social a pris de l'importance dans les débats.
Sur les finances publiques, il y a des préjugés. La question de l'impact fiscal est abordée généralement du point de vue du coût. L'immigration a certes un coût, mais il faut mettre en face les contributions. Les immigrés ne reçoivent pas forcément plus de prestations sociales que les Français. Ils reçoivent même moins, si on rapporte ces prestations par tête. Si on veut améliorer l'impact fiscal de l'immigration, il faut accentuer les efforts sur l'intégration sur le marché du travail. Les immigrés doivent avoir accès à des emplois qui correspondent à leur qualification et bien rémunérés. C'est le levier le plus important de la politique d'intégration à activer. L'immigration n'est ni la cause, ni la solution au déficit public.
Pourquoi la question du coût de l'immigration est-elle aussi présente dans les débats ?
Les gens ont l'impression que l'immigration est incontrôlée et que la puissance publique est incapable de gérer l'afflux de personnes. C'est faux. La plupart des immigrés qui arrivent en Europe et en France sont en situation régulière avec un titre de séjour. Même parmi ceux qui demandent l'asile, il y a eu environ 1.1 million de demandes d'asile en Europe l'année dernière, moins de 300.000 personnes ont passé les frontières de manière irrégulière.
Le poids des images influence aussi négativement le débat sur l'immigration. L'image d'un bateau rempli de réfugiés est potentiellement anxiogène, alors que l'arrivée d'immigrés qui passent la frontière avec leur titre de séjour et passeport est invisible.
Quel est l'impact de l'immigration sur la croissance du produit intérieur brut (PIB) d'un pays comme la France et en Europe ?
La littérature économique souligne que l'immigration est toujours positive pour le PIB. La population supplémentaire ajoute de la richesse en plus. La question importante est de savoir si l'immigration favorise le PIB par tête ? Cela va dépendre de plusieurs facteurs comme le niveau de compétences des immigrés par rapport à celui des natifs. Il peut s'agir d'une immigration très sélectionnée comme au Canada ou au Royaume-Uni.
Dans ces deux pays, une part très importante des immigrés est diplômée du supérieur. L'impact de l'immigration sur la croissance du PIB par tête va également dépendre de l'utilisation de leur compétence, c'est-à-dire de leur taux d'emploi et taux de déclassement. Les immigrés ne sont pas forcément employés à leur niveau de qualification et ne sont donc pas rémunérés à la hauteur de leur diplôme. Ces situations altèrent l'effet positif attendu à moyen long terme de l'apport migratoire.
Quelle peut être la contribution des immigrés sur les créations d'entreprises ?
Les immigrés sont légèrement plus enclins à créer des entreprises que les natifs. Il peut aussi y avoir des effets de complémentarité entre la population immigrée et la population non-immigrée. L'immigration tend, par exemple, à accroître l'offre de services domestiques. En l'absence de solution de garde d'enfants par exemple, l'offre d'emploi pour la population active peut être plus restreinte.
Dans son dernier rapport, la Commission nationale consultative des droits de l'homme souligne que le rejet de l'immigration peut s'expliquer par le fait que « les immigrés profitent du système social français ». 61% des Français pensent que « de nombreux immigrés viennent en France uniquement pour profiter de la protection sociale ». Et dans le même temps, les Français estiment très majoritairement que « les travailleurs immigrés doivent être considérés ici comme chez eux puisqu'ils contribuent à l'économie française» (80%). Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
Sur l'impact fiscal, le paradoxe peut s'expliquer par le fait que l'on se focalise sur les prestations reçues et on ne tient pas compte de la contribution des immigrés. Les immigrés perçoivent plus certaines prestations sociales (aides aux logements), mais reçoivent moins de retraites ou de prestations santé. Au final, les immigrés reçoivent moins que les natifs.
Il y a une forme de schizophrénie sur l'immigration. D'un côté, on voit les problèmes potentiels, mais de l'autre on sait bien que l'immigration ne représente pas une menace pour l'économie. Les emplois d'aidants familiaux sont souvent occupés par des personnes immigrées. Les récoltes de fruits et légumes ne pourront pas s'effectuer sans immigré pour faire face à l'afflux de demande de travail saisonnier dans les champs. A l'hôpital, un médecin sur six est d'origine étrangère. Il y a sans doute un besoin de rassurer l'opinion publique en rappelant que l'immigration n'est pas hors de contrôle. Si l'immigration est bien gérée, elle peut contribuer à l'économie et à une société harmonieuse.
Propos recueillis par Grégoire Normand