LA TRIBUNE - Au lendemain du dépôt des candidatures pour le second tour des législatives, quelles leçons tirez-vous des désistements ?
BRUNO CAUTRES - Sur les 306 triangulaires issues du premier tour, il en reste moins d'une centaine. Les appels au désistement ont donc bien fonctionné en termes numériques. En revanche, les messages à faire passer pour le second tour sont quand même très compliqués à décoder pour les électeurs. Les messages envoyés par la majorité n'ont pas été à l'unisson.
Beaucoup de membres de la majorité, à commencer par le chef du gouvernement Gabriel Attal ou le président de la République, Emmanuel Macron, demandent aux électeurs de la France Insoumise (LFI) de voter pour des députés du bloc du centre, tout en renvoyant dos à dos le Rassemblement national et les partis à gauche.
Le RN va-t-il être en mesure d'imposer une cohabitation à Emmanuel Macron ?
À ce stade, il est en position d'avoir le groupe le plus important à l'Assemblée nationale en pourcentage de votes et en nombre de députés. Il semblerait difficile pour le RN de ne pas aller à Matignon, même s'ils n'ont pas de majorité absolue. Le RN est moins en capacité d'imposer une cohabitation que dans l'hypothèse du maintien des triangulaires partout.
Cela aurait accentué l'hypothèse d'une majorité absolue pour le RN. Si ce dernier finit premier des élections législatives même avec une majorité relative, Emmanuel Macron sera dans l'impossibilité de ne pas lui proposer de former un gouvernement. C'est au RN de montrer s'il va y arriver ou non.
Peut-on parler d'un barrage à l'extrême droite comme en 2002 ?
On dispose de peu de données de sondages sur les réactions des électeurs entre les deux tours. Partant de ce que l'on sait, le barrage républicain est davantage un réflexe des électeurs de gauche que ceux de droite ou de la majorité. Il n'y a pas de processus symétrique entre les électeurs. On sait qu'il y aura beaucoup de déperdition si on demande à des électeurs de la majorité de voter pour un candidat France Insoumise. Si on demande à un électeur de la majorité de voter pour un candidat socialiste, il y aura beaucoup moins de déperdition. Cela va dépendre des configurations.
Le Rassemblement national peut-il profiter d'un réservoir de votes important chez Les Républicains après l'alliance avec Eric Ciotti ?
Oui, il y a un réservoir de voix chez Les Républicains. Et, il y a sans doute une réserve de voix chez les abstentionnistes, même si les seconds tours mobilisent moins. Est-ce que les arrangements entre les partis ne vont pas donner envie aux électeurs sensibles au RN de participer au second tour ? C'est dans ces deux réservoirs de votes que le RN peut essayer de contrecarrer l'effet de la disparition des triangulaires.
Comment expliquez-vous qu'Emmanuel Macron ait échoué sur son pari de la dissolution ?
C'est d'abord Emmanuel Macron qui a pris la décision de la dissolution. Lorsqu'on regarde les réactions, le chef de l'Etat n'a pas consulté les principaux membres de la majorité. Le président ne s'est vraisemblablement pas concerté avec le Premier ministre. Cette initiative est désastreuse pour son mouvement politique. Son bloc va voir son nombre de députés divisé par deux ou deux et demi.
Dans une récente chronique, vous avez évoqué l'image « d'un pompier incendiaire » à propos d'Emmanuel Macron. Que voulez-vous dire ?
Emmanuel Macron est celui qui a allumé l'incendie et il demande aujourd'hui de l'éteindre. Le chef de l'Etat demande à des forces politiques de se rassembler dans un gouvernement d'unité nationale alors qu'il n'a cessé de les combattre. Le président a pris une responsabilité majeure. Cette décision a provoqué une situation incroyablement chaotique dans le pays.
Quel regard portez-vous sur la stratégie du Nouveau Front populaire ?
La stratégie du Nouveau Front populaire est conforme à celle de la Nupes avec l'unicité de candidature dans les circonscriptions. Pour le moment, cette stratégie a donné de bons résultats. Elle a permis la qualification au second tour de nombreux candidats de la gauche. Ce qui n'aurait pas été le cas s'il y avait eu une pluralité de candidats au premier tour.
En revanche, il y a toujours des ferments de division potentiels. Avant le premier tour, le rôle de Jean-Luc Mélenchon dans le Nouveau Front populaire a été débattu. Après le second tour, la proposition de Gabriel Attal de former un gouvernement d'unité nationale a déjà provoqué des clivages. La France Insoumise a immédiatement réagi, en affirmant qu'ils étaient là pour appliquer le programme du Nouveau Front populaire. Du côté des écologistes et une partie des socialistes, certains sont prêts à réfléchir à cette proposition.
Le bloc du centre a subi plusieurs revers lors des derniers scrutins. Peut-on parler d'une rebipolarisation de la vie politique française et de l'affaiblissement de la tripartition ?
Non, on peut surtout parler d'une nouvelle donne de la tripartition. Il y a toujours les trois pôles, mais ils ne pèsent plus le même poids. Le pôle central pèse aujourd'hui beaucoup moins et le pôle du Rassemblement national va peser au moins deux fois plus qu'en 2022. C'est un fait majeur.
Propos recueillis par Grégoire Normand