La réforme des retraites « va coûter beaucoup plus cher qu'elle ne rapporte », François Hommeril (CFE-CGC)

ENTRETIEN - Le patron du syndicat des cadres, François Hommeril, qui brigue un troisième mandat, tire à boulets rouges sur la réforme des retraites du gouvernement à la veille d'un mouvement de grève.
Grégoire Normand
François Hommeril va se représenter pour un troisième mandat au mois de mars prochain.
François Hommeril va se représenter pour un troisième mandat au mois de mars prochain. (Crédits : Reuters)

LA TRIBUNE - À la veille de la mobilisation du mardi 31 janvier, l'intersyndicale regroupant les huit principales organisations de salariés a exprimé sa volonté de mobiliser encore plus massivement. En face, le gouvernement continue d'avancer ses pions sur cette réforme décriée des retraites. Quelle est votre stratégie à la CFE-CGC pour faire reculer l'exécutif alors que le texte arrive au Parlement ?

FRANÇOIS HOMMERIL - Notre stratégie est de construire un argumentaire et une position syndicale, de la défendre et de la faire connaître. Sur certains sujets, nous avons contribué à faire voler en éclats la position gouvernementale. Notre stratégie est aussi de poursuivre cette intersyndicale avec les organisations.

Cette intersyndicale, qui réunit les huit principaux syndicats, est le fruit d'un travail en profondeur depuis des années. Sur le sujet des retraites, nous travaillons ensemble depuis six mois. Le gouvernement a déjà reculé. L'objectif est qu'il retire le décalage de l'âge légal à 64 ans. Pour les autres sujets, nous sommes prêts à discuter.

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Selon vous, le système de retraites est-il en « danger » comme l'affirme le gouvernement ?

Après les législatives de juin 2022, le gouvernement a beaucoup insisté sur « le déficit et la faillite du système de retraite ». Dans les syndicats, nous connaissons très bien la situation financière des caisses complémentaires des retraites en tant qu'administrateur, nous participons au conseil d'orientation des retraites (COR). En ne donnant pas les indicateurs en juin dernier, le gouvernement a empêché la publication du rapport du COR au début de l'été pour le rendre public à l'automne. Nous contestons les indicateurs retenus par le gouvernement.

Le président du Conseil d'orientation des retraites (COR) Pierre Louis Bras a affirmé récemment que « le système n'était pas en danger dans sa trajectoire ». Aujourd'hui, les réserves des régimes complémentaires augmentent. Les déficits prévus de la CNAV (Caisse nationale d'assurance vieillesse) seraient très faibles. Sur les régimes du privé, tout est à l'équilibre. Tout le déficit vient du régime des fonctionnaires.

C'est à ce moment que le gouvernement affirme qu'il va faire une réforme des retraites « juste ». Or, on s'est aperçus que les grandes perdantes sont les femmes mères de famille. Aujourd'hui, elles peuvent faire valoir des retraites à taux plein avant 62 ans. Le décalage à 64 ans va les obliger à travailler deux ans de plus. Dans l'étude d'impact, il est écrit que les femmes seront plus affectées que les hommes. Le gouvernement est dans une attitude de dénégation.

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L'exécutif assure qu'il n'y aura pas de perdants à cette réforme. Pourtant, des économistes sont montés au front pour affirmer le contraire, notamment chez les femmes qui seront davantage pénalisées. Pourquoi le gouvernement n'assume pas ces effets négatifs ?

C'est une réforme injustifiée et injuste. La seule motivation du gouvernement est que pour son budget le gouvernement a besoin de récupérer de l'argent donné aux entreprises. Il va chercher de l'argent dans les poches des salariés et des agents de la fonction publique. Ce qui lui permettra de diminuer son engagement à verser des pensions aux fonctionnaires. La seule raison est de faire monter les réserves dans les régimes complémentaires.

Or, la mesure qui fait monter rapidement les réserves est le décalage de l'âge de départ à la retraite. Dans l'Agirc-Arrco, il est prévisible que les réserves vont monter en flèche. Le scénario a changé au moment des élections législatives. Le décalage de l'âge de départ à la retraite sélectionne des catégories d'individus qui vont tout payer. C'est une réforme qui ne touche pas tout le monde dans son équilibre.

En quoi la réforme des retraites est-elle défavorable aux cadres selon vous ?

Les gens qui ne sont pas touchés par la réforme correspondent aux cadres masculins, diplômés et qui entrent sur le marché du travail à 23 ans. Ce profil particulier dans la population cadre ne correspond pas à la majorité des salariés. Je représente en majorité des gens qui ont plus de 50 ans et sont entrés techniciens dans la banque à 20 ans, des techniciens dans la métallurgie qui sont entrés comme ouvriers à 18 ans.

Cette image d'Epinal du cadre en cravate qui partira en retraite à 66 ans ne représente qu'une minorité. La réforme sera plus défavorable pour les générations nées à partir des années 70. Le décalage va se faire progressivement avec la montée en charge de la réforme.

La pénibilité chez les cadres est moins évoquée dans les débats. Est-elle prise en compte par l'exécutif ?

La pénibilité du travail chez les cadres n'est absolument pas prise en compte par l'exécutif. La première ministre Elisabeth Borne m'a dit que l'on ne pouvait rien faire. Elle a une vision des années 80 sur le sujet qui consiste à dire qu'il y a des individus plus fragiles que d'autres.

Cette vision est très grave. Les entreprises ont compris aujourd'hui que si elles ne prenaient pas en compte la question des risques psychosociaux, elles allaient dans le mur. La question des risques psychosociaux est liée aux conditions de travail et à l'environnement de travail. Le gouvernement n'a pas envie de traiter cette problématique.

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Le gouvernement a annoncé la mise en place d'un index de l'emploi des seniors dans les entreprises. Quel regard portez-vous sur cet outil ?

Le gouvernement va probablement être obligé de sortir l'index de la loi. L'index des seniors ne doit pas être intégré à un projet de loi rectificative de financement de la sécurité sociale (PLFRSS). Le ministre du Travail, Olivier Dussopt a commencé à reculer sur ce sujet. Il a d'ailleurs annoncé un projet de loi en juin. Le gouvernement n'a pas de maîtrise du dossier sur l'emploi des seniors. Leur seul argument est de dire que si on décale l'âge de deux ans, le taux d'emploi des 60-62 ans va augmenter. La hausse prévue ne va pas permettre de combler le déficit du taux d'emploi des seniors en France par rapport à la moyenne européenne.

Ce décalage va générer une population entre 62 et 64 ans qui ne sera pas en retraite mais va se retrouver au chômage. Dès qu'une personne dépasse l'âge de 60 ans, chaque année coûte beaucoup plus à la sécurité sociale car le risque de maladie augmente beaucoup. Sur le plan économique, c'est une réforme catastrophique qui va probablement coûter beaucoup plus cher qu'elle ne rapporte.

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Comment analysez-vous la stratégie budgétaire et la politique économique du gouvernement  ?

Dès la campagne de présidentielle de 2022, l'argument d'Emmanuel Macron était de dire que la France n'a pas de budget pour financer les grands projets. Il faut que les gens travaillent plus et il est nécessaire de décaler l'âge de départ à la retraite. Les gouvernements successifs ces dernières années ont doublé les subventions aux entreprises, en passant de 90 milliards d'euros à plus de 200 milliards d'euros en huit ans. Emmanuel Macron était déjà aux manettes de l'Économie sous François Hollande.

Nous avons dénoncé le CICE (crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi), les baisses consécutives de la CVAE (Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises), les politiques d'exonération de cotisations sociales. Ces exonérations sont nocives sur le plan économique et social. Cette gabegie d'argent publique a complètement asséché les marges de manœuvre budgétaires.

Le premier février, les nouvelles règles de l'assurance-chômage présentées à l'automne vont entrer en vigueur. Quel regard portez-vous sur ce changement de règles ?

Ce projet consiste à priver le chômeur des droits pour lesquels il a cotisé. Ces indemnités permettent de limiter la précarité quand les travailleurs se retrouvent au chômage. Ce durcissement va obliger les gens à accepter des emplois qui ne correspondent pas aux qualifications, aux souhaits des personnes, ou aux salaires attendus.

C'est une réforme populiste qui aura pour effet de faire baisser artificiellement le taux de chômage. Cette réforme va faire sortir des demandeurs d'emploi des statistiques de la catégorie A. Cette catégorie A correspond aux demandeurs d'emploi indemnisés. C'est une réforme qui risque de faire basculer de nombreux chômeurs dans la précarité.

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Votre mandat à la tête de la CFE-CGC s'arrête en mars prochain. Etes-vous toujours candidat à votre succession ?

Je suis candidat pour un troisième mandat. La période est particulièrement motivante. Je suis entouré d'une équipe qui va incarner la nouvelle génération à la CFE-CGC.

J'ai annoncé au conseil confédéral en novembre dernier qu'une ancienne génération va s'en aller et qu'une autre va prendre sa place. Je veux continuer à porter notre organisation vers des sommets.

Après toutes ces années aux manettes de la CFE-CGC, quel regard portez-vous sur le paritarisme en France ?

Le paritarisme est en ruine en France. Emmanuel Macron a annihilé ce qui fonctionnait très bien depuis la Seconde Guerre mondiale, c'est-à-dire la cogestion en associant les employeurs et les représentants de salariés. Mais, je crois qu'il ne peut pas exister de démocratie sociale sans corps intermédiaires, sans représentants.

Propos recueillis par Grégoire Normand

Grégoire Normand
Commentaires 17
à écrit le 31/01/2023 à 10:14
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Hier : " La réforme des retraites est "indispensable quand on se compare en Europe" et pour "sauver notre système" par répartition, a déclaré Emmanuel Macron ". Dans son argumentaire pour la réforme des retraites, le gouvernement n'a de cesse de ...

à écrit le 31/01/2023 à 9:55
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"Hier La réforme des retraites est "indispensable quand on se compare en Europe" et pour "sauver notre système" par répartition, a déclaré Emmanuel Macron ". Si, on se compare à l'Europe ,on peut rappeler que nous sommes le dernier pays à ne pas a...

à écrit le 31/01/2023 à 6:00
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ET pas un mot sur la compétitivité ? Pourtant selon une enquête Ifop , sur le sentiment des cadres dirigeants 45 % considéraient que la compétitivité des entreprises avait bel et bien progressé en 2019. Avant la COVID; Et par la baisse du taux d'I,...

à écrit le 30/01/2023 à 18:20
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La loi dépendance est bien plus urgente que la réforme des retraites.

le 30/01/2023 à 18:39
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La seule façon de la financer c'est de travailler plus. Nous somme déjà le pays avec le plus haut niveau de prélèvements obligatoires... Donc la reforme des retraites est un préalable nécessaire meme si insuffisant.

à écrit le 30/01/2023 à 17:25
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C'est exactement ce que je disais !!! La france fait des réformes pour économiser, et pour compenser elle distribue des droits puis renonce aux économies !!! La faillite et la guerre civile seront d'une hyper tolérance à te faire pâlir la gauche b...

à écrit le 30/01/2023 à 15:05
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Et on va voir encore voir les policiers et les CRS se démener comme de loyaux chien de garde du système qui les méprise et les souilles . Et quand ils font finir leurs laborieux parcours professionnel de plus de 43 ans , ils finiront avec une retr...

le 30/01/2023 à 17:49
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Ce n'est pas la loi d'aujourd'hui qui décidera de la retraite de demain. Ce sera la compétitivité du pays, la productivité et le rapport actifs/retraités. La loi peut dire qu'on a le droit à la retraite à 62 ans pour caresser l'ignorance et éviter ...

à écrit le 30/01/2023 à 14:58
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Charlie, vous pouvez développer svp.

à écrit le 30/01/2023 à 14:58
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Charlie, vous pouvez développer svp.

à écrit le 30/01/2023 à 13:29
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La réforme la plus honteuse des cent dernières années.

le 30/01/2023 à 15:19
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Si nos gouvernants ne sont pas bons copions les reformes allemandes ou suédoises mais quel crédit donner à des syndicalistes qui ne vivent pas des contributions volontaires des adherents? L'argent public et des entreprises qui va dans leur poches ...

à écrit le 30/01/2023 à 12:37
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La réforme des retraites « va coûter beaucoup plus cher qu'elle ne rapporte » : Oh, le gros menteur démagogue. Terrible, ces gens qui racontent n'importe quoi, uniquement parce qu'ils sont dans l'opposition

le 30/01/2023 à 13:14
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@Charlie: Développez, svp: il y a longtemps que les gouvernements français n'ont prouvé qu'une chose, c'est qu'ils ne savaient pas compter et qu'ils s'en foutaient.

le 30/01/2023 à 15:10
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Oui, si le niveau de mensongerie du gouvernement de 1 à 20 est 10 le niveau de ce monsieur est à 19. Il y a des gens qui vont travailler trop longtemps, d'autres qui vont percevoir leur retraite trop tard mais à la fin l'état va perdre de l'argent......

le 30/01/2023 à 15:40
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"les gens qui racontent n'importe quoi, uniquement parce qu'ils sont dans l'opposition" A la présidentielle ,les cadres étaient plutôt favorable à la majorité actuelle.

le 30/01/2023 à 16:45
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Un syndicat qui ne vit pas des contributions volontaires des adherents est basé sur la tromperie et le sectarisme. La logique ne l'intéresse pas, si ils avaient les sens de l'interet général ils démissionneraient tous parce que ils vivent sur le dos ...

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