« L’emploi atteint des niveaux record depuis le Covid » (Jean-Luc Tavernier, directeur général de l'Insee)

ENTRETIEN - Pour le patron de la statistique publique, le risque de récession est écarté. Quant à la baisse de productivité, elle s’explique par des choix de politiques économiques.
Jean‑Luc Tavernier dans son bureau en novembre 2021.
Jean‑Luc Tavernier dans son bureau en novembre 2021. (Crédits : © LTD / Olivier Corsan)

LA TRIBUNE DIMANCHE - Le taux de chômage est resté stable au premier trimestre 2024, à 7,5 %, au sens du Bureau international du travail, malgré 6 000 chômeurs supplémentaires enregistrés sur la période. C'est une bonne nouvelle ?

JEAN-LUC TAVERNIER - Dans le contexte, oui, cette stabilité est le signe d'une forte résilience de notre économie malgré le ralentissement de l'activité au second semestre 2023. Le marché du travail résiste alors que la croissance est faible. La remontée du chômage depuis l'an dernier est limitée. Surtout, les taux d'activité et d'emploi sont à des niveaux record depuis le Covid. Aujourd'hui, la proportion des personnes en emploi parmi celles en âge de travailler [15-64 ans] atteint 68,8 % en France. Et le taux d'activité - qui prend en compte à la fois ceux qui travaillent et ceux qui sont en recherche d'emploi - est à 74,5 %. Du jamais-vu depuis que l'Insee produit ces statistiques [1975], et sans doute même avant. Cela s'explique par l'apprentissage - les alternants sont comptés comme des employés -, mais aussi par la plus grande présence des seniors sur le marché du travail.

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C'est‑à‑dire ?

Le taux d'emploi des 55-64 ans ne cesse de progresser, il est aujourd'hui à 58,9 %, soit 4,2 points au-dessus de son niveau fin 2019. C'est un effet direct des réformes successives des retraites : les seniors font valoir leur droit à pension plus tardivement. Résultat, aujourd'hui, plus de la moitié des personnes de 61 ans ont un emploi. Et pour les plus de 59 ans c'est même plus de 70 %. En revanche, à 62 ans et au-delà, on passe en dessous de la barre des 50 % qui travaillent.

Les emplois créés sont‑ils de qualité ?

Il y a davantage d'emplois en CDI qu'avant la crise et une légère baisse des contrats de type CDD ou intérim. Autre tendance de fond, le nombre d'indépendants, notamment les microentrepreneurs, et d'alternants a progressé. Par ailleurs, depuis fin 2019, la part des emplois à temps plein dans la population a augmenté de 2,7 %, alors que celle des temps partiels a diminué, cette baisse concernant notamment le temps partiel subi. Donc la croissance de l'emploi ne s'est pas faite au détriment de sa qualité, au contraire. Mais il y a des exceptions, beaucoup de microentrepreneurs ont du mal à dégager des revenus d'activité significatifs, par exemple.

Les entreprises embauchent, mais la croissance ne décolle pas. On parle d'une chute historique de la productivité en France. Que se passe‑t‑il ?

La croissance s'est nettement enrichie en emplois. Ce changement peut pour partie s'expliquer par les différentes politiques menées, par exemple les allégements de charges sur les bas salaires depuis les années 1990. Or la version « négative » de l'enrichissement de la croissance en emploi, c'est la chute de la productivité. Nous faisons deux constats. Primo, depuis la sortie de crise du Covid, les États-Unis réalisent davantage de gains de productivité que l'Europe, pour laquelle il y a un fléchissement d'ensemble. Secundo, la France a davantage perdu en productivité que ses voisins européens. Il s'agit de comprendre l'idiosyncrasie française depuis 2019.

Le marché du travail résiste alors que la croissance est faible

Quelles sont les pistes d'explication ?

D'abord, le boom de l'apprentissage : ces postes représentent un tiers des créations d'emplois et 20 % des pertes de productivité. Ensuite, la forte hausse du nombre de microentreprises individuelles a un effet similaire. Nous observons aussi des phénomènes dits de rétention de maind'œuvre. Compte tenu de leurs carnets de commandes, certains secteurs ont conservé leurs emplois alors qu'ils accusaient une baisse de production. Ce fut le cas dans l'aéronautique et dans l'électricité. Autre exemple, dans le secteur public on voit l'activité des hôpitaux s'infléchir et les embauches augmenter. Mécaniquement, cela engendre une baisse de productivité.

Les derniers embauchés sont‑ils moins qualifiés, moins compétents ?

C'est une théorie parmi d'autres, mais elle est difficile à quantifier. J'ajoute que, depuis la fin des Trente Glorieuses, on s'interroge sur la capacité de l'économie française à être à la fois productive et créatrice d'emplois. Le meilleur des mondes serait d'atteindre les deux objectifs. Aujourd'hui, une partie de la baisse de la productivité reflète des choix passés en matière de politiques publiques. La France a dû lutter contre le chômage de masse, notamment celui des personnes les moins qualifiées, pendant des décennies. Nous avons donc voulu enrichir la croissance en emplois, et cela a marché.

La croissance va‑t‑elle redémarrer au second semestre de cette année, comme l'espère Bruno Le Maire ?

Notre boussole est l'indicateur du climat des affaires, qui enregistrait une baisse continue depuis le début de la guerre en Ukraine. Depuis l'automne 2023, il tend à remonter, et a rejoint dernièrement son niveau moyen de longue période. Cela signifie que les anticipations des chefs d'entreprise s'améliorent : le risque de récession qu'avaient fait craindre les différentes crises semble derrière nous. Mais il est trop tôt pour savoir si la fin de l'année sera meilleure que le début.

Et pour l'inflation ?

Nous avions prévu un ralentissement des prix, qui a bien eu lieu. En avril, l'inflation sur douze mois est à 2,2 %, elle devrait se maintenir autour de ce niveau ces prochains mois. La hausse des prix des produits alimentaires est enrayée. La crainte d'un emballement général et d'un effet de spirale entre salaires et prix est derrière nous. C'est de bon augure pour rassurer la Banque centrale. Et, sur le premier trimestre 2024, l'évolution du salaire horaire a rejoint celle de l'inflation, le pouvoir d'achat des salariés devrait donc remonter modérément après deux ans de baisse.

Commentaires 4
à écrit le 19/05/2024 à 18:52
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Qu'en est-il de la sous-traitance de services publics (hors cabinet d'audit) où est choisie l'entreprise la mieux-disante en terme de prix...? CDD de courte durée dont parfois le jour férié fait la jonction entre 2 CDD par souci d'économie, pas de ti...

à écrit le 19/05/2024 à 9:27
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Il faut voir la qualité pas la quantité et là c'est un véritable cauchemar votre "travail".

le 19/05/2024 à 14:36
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7,5% de chômage>en France est un niveau record d'emploi ? N'importe quoi ! En Allemagne c'est 2,8% et en Suisse 1,6%

le 20/05/2024 à 8:05
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Est-ce important de se féliciter d'un tas de ruines moins gros ? Franchement on en est où là !? Nos dirigeants sont nuls.

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