Emploi : les vraies raisons des vagues de départs des salariés français

Les salariés qui claquent la porte de leur entreprise évoquent la recherche de meilleur salaire et des conditions de travail plus favorables, révèle une enquête de l'Insee. Et pour cause. Pressés par l'inflation, les salariés du privé ont enregistré des pertes de pouvoir d'achat en 2022 et 2023. Mais les travailleurs qui ont choisi de partir ne sont pas toujours gagnants la première année.
Grégoire Normand
La plupart des grandes catégories de salariés du privé sont plus mobiles qu’avant la crise sanitaire, explique l'Insee.
La plupart des grandes catégories de salariés du privé sont plus mobiles qu’avant la crise sanitaire, explique l'Insee. (Crédits : Reuters)

Grande absente des débats lors des européennes et des législatives, la mobilité professionnelle est pourtant au coeur des préoccupations des salariés. Aux Etats-Unis, les flots massifs de démissions ont déferlé sur le marché professionnel au lendemain de la pandémie. Après les multiples confinements, des millions de salariés avaient claqué la porte de leur entreprise alors que le virus continuait de sévir dans le pays.

Outre Atlantique, les observateurs n'ont pas hésité à parler de « Grande Démission» («Big Quit »). Stupéfaits, les milieux patronaux ont tiré la sonnette d'alarme face au manque criant de main-d'oeuvre au moment où il fallait relancer l'économie américaine.  En France, les entreprises du privé et du public ont également enregistré des vagues de départs ces dernières années. Certains commentateurs n'ont pas hésité à parler d'« épidémie de flemme ». Accusés de faire moins d'heures et d'être moins impliqués, les Français auraient subi « une perte de motivation » pour leur travail.

« Pas de grande démission  »

Derrière ces mouvements brusques de salariés, il existe en réalité des raisons plus complexes à déchiffrer. Dans sa publication annuelle phare sur l'emploi dévoilée ce lundi 22 juillet, l'Insee et la Dares (le service statistique du ministère du Travail) ont passé au crible les motivations des salariés prêts à quitter leur entreprise et battent en brèche certaines idées reçues. « La mobilité des salariés par rapport à la période d'avant crise sanitaire a augmenté », explique à La Tribune, Vladimir Passeron, chef du département de l'Emploi à l'Insee. « L'année dernière, on avait vu qu'une plus grande part des salariés avaient changé d'entreprises. Un an plus tard, cela se confirme. La plus grande mobilité semble se pérenniser », complète-t-il. Pour résumé, le statisticien affirme que « ce n'est pas le big quit. C'est plutôt une grande rotation qu'une grande démission ».

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Les hausses de salaires, premier motif de départ....

Comment expliquer cette volonté de changer d'entreprise ? 26% des salariés interrogés en 2023 répondent qu'ils veulent d'abord augmenter leurs revenus. C'est une proportion qui a augmenté de 4,1 points par rapport à 2021. Pressés par l'envolée de l'inflation, de nombreux salariés ont perdu du pouvoir d'achat depuis la guerre en Ukraine compte tenu de la désindexation des salaires (hormis le SMIC).« Les hausses de salaires n'ont pas toujours été à la hauteur de qui était attendu dans le privé », souligne Vladimir Passeron.

Certaines entreprises ont accordé des primes mais elles n'ont pas suffi à compenser les pertes de salaires réels, c'est-à-dire en prenant en compte l'inflation. En 2023, les salaires réels ont baissé de 0,8% dans le secteur privé après une forte chute en 2022 (-1,9%). Changer d'entreprise est une manière au final de limiter cette perte de pouvoir d'achat.

Le second motif en hausse évoqué par les salariés concerne l'amélioration des conditions de travail. En 2023, 26% des salariés du privé (contre 25% en 2018) souhaitent ainsi avoir des horaires plus adaptées, une réduction du temps de transport ou encore une meilleure ambiance sur leur lieu de travail. La pandémie a certes pu peser sur la santé mentale de beaucoup de Français mais a permis aussi des gains de temps de transport avec le télétravail et une plus grande conciliation entre la vie personnelle et la vie professionnelle. Parmi les autres grands motifs évoqués pour la mobilité figurent le changement de métier, de secteur ou d'employeur (13%). L'autre résultat frappant de l'enquête est que toutes les catégories socio-professionnelles sont concernées par cette mobilité, à l'exception des ouvriers qualifiés et non qualifiés.

...mais les salariés ne sont pas forcément gagnants la première année

Le premier facteur de mobilité correspond à la recherche de salaire plus élevé mais les salariés qui ont changé d'entreprise ne sont pas forcément tous gagnants, surtout la première année. Les personnes salariées qui ont changé d'entreprise entre 2021 et 2022 ont obtenu une hausse de salaire de 2,9% dans leur nouveau travail contre 5,7% pour ceux qui sont restés. « En moyenne, les salariés qui changent d'entreprise subissent une perte salariale mais il peut y avoir des gains à moyen terme », rappelle Vladimir Passeron.

Comment cela peut-il s'expliquer ? Il y a principalement « deux motifs ». « Le changement n'est pas forcément volontaire. ll peut être subi comme dans le cas d'un CDD ou d'un licenciement », souligne le statisticien. La perte d'un emploi peut parfois entraîner une inscription à France Travail ou un éloignement du marché professionnel. Par ailleurs, certaines primes ou dispositifs (participations et intéressement sont liés à l'ancienneté dans l'entreprise. Or, la plupart des salariés ne bénéficient pas de ces leviers la première année de leur prise de poste. Le chef de l'Etat Emmanuel Macron a souvent promu les dispositifs de partage de la valeur (prime, participation, intéressement). Ces outils défiscalisés et désocialisés ont permis aux entreprises de donner un coup de pouce à leurs salariés. Mais en période de forte inflation, beaucoup de salariés, notamment dans les TPE et les PME, sont passés outre ces mécanismes. Ce qui a pu représenter des difficultés pour beaucoup d'entre eux confrontés à l'envolée des factures d'énergie ou du prix des courses dans les supermarchés.

Bas salaire : une progression très limitée en dix ans

Les travailleurs en bas des grilles salariales ont très peu progressé sur la décennie 2010-2020. Selon des chiffres frappants révélés par l'Insee, la moitié des salariés qui avaient un bas revenu en 2011 sont dans la même situation 8 ans plus tard. En parallèle, 43% sont sortis de ces bas salaires mais la majorité d'entre eux restent bloqués dans la première moitié de l'échelle salariale.

Au début de l'année 2024, le Premier ministre démissionnaire Gabriel Attal avait promis de s'attaquer à la « smicardisation » de la société française. L'objectif était de stopper le tassement des salaires en France. En effet, l'indexation du salaire minimum en France limite le risque de pauvreté mais les autres catégories de travailleurs ont souvent connu des hausses de salaires moindres que l'indice des prix à la consommation. Ce qui a provoqué une stagnation du niveau de vie des classes moyennes.

Grégoire Normand
Commentaires 13
à écrit le 30/07/2024 à 16:21
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bonjour, pour moi sous le couvert de manque de ressources, la réalité pour moi et plein d'autres c'est l'absence d'augmentations de salaire à titre personnel le déclencheur : si mon chef ne pense pas à moi , c'est le mépris de sa part, qu'il se déb...

à écrit le 23/07/2024 à 12:39
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Pauvre France.

le 26/07/2024 à 13:16
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En quoi pauvre France, alors que ça touche tous les pays du monde ?? Et à part cette phrase, vous dites quoi ? Sarko avait raison quand on vous lit.

à écrit le 23/07/2024 à 8:27
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Grâce à notre patronat bien franchouillard bien plus adeptes des châteaux, des résidences secondaires et des piscines que d adaptation au changement de tropisme des jeunes générations sur le travail - nées après 1990- elles n’ ont pas changé l...

le 23/07/2024 à 16:38
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Oui, je me souviens d'une interview de feu Francis Mer qui regrettait implicitement que la Guerre Froide n'aie pas duré 15/20 ans de plus pour que le temps aie raison de figures patronales constituant les meilleurs alliés objectifs de la CGT tant ell...

à écrit le 23/07/2024 à 7:44
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La question qui se pose aujourd´hui pour tout employé, est: pourquoi travailler avec engagement? Puisque la plupart des entreprises sont gérées selon le reporting, donc on est sous pression, mais ce qui compte : voir les problèmes, en parler, amélior...

le 24/07/2024 à 7:45
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Penser, innover, créer, découvrir de nouveaux marchés: la direction ou le management répondra " merci c'est gentil" et classera verticalement sans regarder la proposition. Sans parler des incivilités provenant la plus part du temps des salariés eux...

à écrit le 23/07/2024 à 7:02
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Il y a des départs non voulus comme chez Truffaut . Cadre sup pendant 20 ans , la nouvelle direction venant de la grande distribution a licencié une vingtaines de cadres expérimentés et tous de plus de 45 ans… jugé trop cher . A ce jour - 8-18 mois...

à écrit le 23/07/2024 à 6:51
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Mon témoignage sur le sujet : cadre sncf sédentaire émargeant à 2578€ net - 25 ans de boîte- je suis retourné dans le privé il y a 2 ans avé une hausse salariale de 18% . J ai également bénéficié de plus de rtt et de congés : de 28 jours je suis pass...

à écrit le 22/07/2024 à 20:23
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" En parallèle, 43% sont sortis de ces bas salaires mais la majorité d'entre eux restent bloqués dans la première moitié de l'échelle salariale." Logique dans beaucoup de boite ,il y a eu pendant des années des plans de départs en pré-retraite à 5...

à écrit le 22/07/2024 à 20:15
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Quel type de salarié, cadres ,non-cadres,ouvriers ,employés ,le nombre ,par catégorie ,etc..? .On peut noter, que quand il s'agit de quitter une boite ,le mot collaborateur disparait ,on redevient subitement un salarié lambda

à écrit le 22/07/2024 à 19:41
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Bonjour. Bon pour la petite histoire. Lorsque vous faite votre metier depuis 10 ou 15 ans et que votre chef d'équipe vous explique la vie . Alors que lui n'as que 5 ans d'expérience, vous etre tres vite démotivé... Surtout que le management, ils n...

à écrit le 22/07/2024 à 19:10
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Aux États-Unis, la "Grande Démission" était en fait une vague de départs anticipés en retraite alors qu'en France, il serait plus pertinent de parler de "grande rotation" car il est des métiers où les salaires ne sont pour dire jamais revalorisé et s...

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