[Article publié le lundi 15 juillet 2024 à 10h03, mis à jour à 17h41] Les comptes publics de la France n'en finissent pas de susciter de l'inquiétude. Cette fois de la part de la Cour des comptes, qui a présenté ce lundi un épais rapport sur le sujet. Les magistrats financiers y dressent un bilan préoccupant des finances publiques du pays, malmenées par les crises sanitaire et inflationniste et risquant de pâtir de l'incertitude post-législatives.
Ils s'interrogent notamment sur la trajectoire budgétaire du gouvernement, détaillée en avril à la Commission européenne dans le programme de stabilité (« PSTAB »). Celle-ci repose sur « des hausses importantes » des prélèvements obligatoires supplémentaires, à savoir « quelque 21 milliards d'euros » en cumul pour les années 2025 et 2026, a expliqué son premier président, Pierre Moscovici, devant la presse. Précisément, selon le rapport, la trajectoire « intègre des mesures de hausses d'impôts d'ampleur, à hauteur de 15 milliards d'euros en 2025 et de 6,2 milliards d'euros en 2026, soit 21,2 milliards à cet horizon ».
Toutefois, ces dernières semaines et derniers mois, le gouvernement a toujours présenté les hausses d'impôts comme une ligne rouge qu'il ne franchirait pas.
17 milliards non-documentés
Alors où l'exécutif compte trouver ces 21 milliards d'euros de prélèvements supplémentaires ? Pour l'expliquer, le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, met en avant la fin du bouclier tarifaire destiné à limiter les hausses des tarifs réglementés sur l'électricité, mis en place en 2022. Mais cette manne financière, qui a bien été identifiée par la Cour des comptes, est évaluée par les magistrats financiers à un gain de « 4 milliards d'euros en 2025 ».
« Pour le reste (17 milliards, ndlr), on n'a aucun élément », relève Carine Camby, présidente de la première chambre de la Cour des comptes. « Ce n'est pas du tout documenté. Il n'y a absolument pas d'éléments précis pour dire à quoi ce serait dû », poursuit-elle.
« Notre ligne reste la stabilité fiscale », a répondu depuis Bruxelles le ministre de l'Économie. Ainsi, pour les milliards restants, Bruno Le Maire mise sur un retour à « une élasticité plus normale que celle que nous avons connue en 2023 ». L'élasticité des prélèvements obligatoires au produit intérieur brut (PIB) correspond à la corrélation entre les deux données. Autrement dit, les prélèvements obligatoires augmentent de 1% quand le PIB progresse de 1%. Pour l'année 2023, cet indicateur est de 0,4 - son plus faible niveau depuis 2013 -, ce qui signifie que les prélèvements obligatoires ont peu progressé par rapport à l'augmentation du PIB.
« Le retour à une élasticité plus normale, non pas de 0,4 mais de l'ordre de 1, s'accompagne mécaniquement d'une augmentation des recettes fiscales. C'est ça qui explique en partie le chiffre des 21 milliards », précise Bruno Le Maire, qui mise donc sur un effet de rattrapage de l'élasticité pour les deux années à venir.
Reste que, pour les magistrats financiers, la faible élasticité des prélèvements obligatoires au PIB en 2023 « traduit moins un accident qu'un retour à la normale », après une année 2022 où elle avait été « particulièrement dynamique », à 1,4.
Des objectifs « peu réalistes » pour réduire le déficit public
Dans son rapport, la Cour des comptes juge par ailleurs sévèrement les prévisions à moyen terme du PSTAB du gouvernement macroniste. Pour rappel, ce document vise un déficit de 5,1% en 2024, qui diminuerait progressivement à 2,9% en 2027, malgré un dérapage à 5,5% en 2023 (au lieu de 4,9% anticipés). L'endettement s'établirait alors à 112% en 2027 - soit plus qu'en 2023 (109,9% selon l'Insee). Or, selon les magistrats, ces objectifs sont « peu réalistes ». Car, ils reposent, outre sur les fameuses « hausses importantes des prélèvements obligatoires qui ne sont pas précisées », sur des hypothèses de croissance « trop optimistes » et supposent des économies en dépense « sans précédent », soulignent-ils.
Si bien que, pour la Cour des comptes, « cette trajectoire, peu ambitieuse dans ses cibles de déficit et de dette, (...), soulève une question de crédibilité », est-il écrit. Elle ne préjuge toutefois pas de la construction du budget 2025 puisqu'un nouveau gouvernement est à venir, après les élections législatives anticipées qui ont redistribué les forces au sein de l'Assemblée nationale.
À ce stade en tout cas, le gouvernement prévoit 25 milliards d'économies cette année. Jusqu'à présent, 15 milliards d'euros d'économies ont déjà été « exécutés », comme l'a indiqué la semaine dernière le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire. Reste à trouver encore 10 milliards d'euros d'économies : 5 milliards vont être demandés aux ministères, deux milliards aux collectivités locales et trois milliards devraient être dégagés par une taxation des rentes plus efficace sur les énergéticiens, a rappelé le ministre. La Cour des comptes pointe d'ailleurs dans son rapport les incertitudes autour de ce projet de taxe.
Risque de nouveau dérapage
Outre ce manque de réalisme, la juridiction financière administrative pointe l'épée de Damoclès qui repose au-dessus des comptes publics. « Les scénarios alternatifs testés par la Cour des comptes montrent que tout écart par rapport aux prévisions de croissance, de dépenses ou de recettes suffirait à faire dérailler la trajectoire et à manquer les cibles de déficit et de dette pour 2027 », prévient-elle. Bonne nouvelle toutefois : pour le moment, l'Insee anticipe une croissance meilleure que celle du gouvernement. Elle table sur +1,1% du produit intérieur brut (PIB), soit un peu plus que la prévision du gouvernement (1%).
Il n'empêche, pour la Cour des comptes, il y a des lacunes dans les prévisions gouvernementales. À moyen terme, par exemple, elles n'intègrent « pas pleinement » les enjeux liés au réchauffement climatique et à la transition énergétique. « Or, que ce soit en matière de croissance, d'investissements ou d'érosion de la fiscalité, cette transition a un coût qui pèsera nécessairement sur les finances publiques », relève-t-elle. Ainsi, les magistrats financiers avertissent que, dès 2024, des « risques importants » pèsent sur l'atteinte de ces objectifs, dont celui d'un dérapage des dépenses alors que la crise des agriculteurs, celle en Nouvelle-Calédonie ou l'organisation des Jeux olympiques ont nécessité de délier les cordons de la bourse.
La France, mauvaise élève européenne
Les comptes publics de la France sont par ailleurs encore loin des clous européens, qui fixent un déficit à 3%. « Cette situation française contraste avec celle de nos partenaires européens, qui ont commencé à réduire leurs déficits et leurs dettes. Ce n'est ni satisfaisant ni acceptable », tacle le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, dans un entretien au journal Les Échos. L'Italie, notamment, a connu une nette amélioration de ses finances en ce début d'année. Pour autant, le pays, comme la France et d'autres voisins européens, ont été épinglés, avec d'autres, par la Commission européenne pour déficit excessif - la procédure devrait être formellement ouverte cette semaine.
En conclusion, le rapport estime « indispensable d'engager résolument l'effort de réduction du déficit public pour replacer la dette sur une trajectoire descendante », d'autant que la charge de la dette va croître, pour atteindre 72,3 milliards d'euros en 2027, selon les prévisions du gouvernement, soit plus que le budget de l'Éducation nationale.
« Réduire notre dette est une ardente obligation », quel que soit le gouvernement qui sera finalement formé après les élections législatives anticipées, a insisté Pierre Moscovici dans son interview aux Échos. « Il y a plusieurs façons d'y parvenir, c'est la démocratie, mais cet impératif doit être partagé ».
Des propos réitérés ensuite au micro de France Inter. « Qui que ce soit qui gouverne demain la France, le prochain gouvernement devra s'emparer de cette situation de finances publiques. Un État endetté est un État paralysé ».
Le gouvernement Macron s'affiche confiant
Dans une réponse annexée au rapport, le ministère de l'Économie et des Finances en conteste certaines conclusions. Il rappelle avoir beaucoup déboursé pour protéger ménages et entreprises des crises survenues ces dernières années et que, sans cela, « la France n'aurait pas été parmi les premiers pays européens à retrouver un niveau de PIB antérieur à la crise du Covid ». Un argument que Bruno le Maire a déjà mis en avant précédemment. « On a dépensé pour protéger face au Covid et à l'inflation, maintenant (...) c'est un moment où il faut rétablir les finances publiques. J'ai commencé à le faire et je compte bien poursuivre dans cette direction », a-t-il assuré fin juin sur LCI.
« La crédibilité de notre gestion budgétaire est attestée par le maintien de la notation française par la majeure partie des agences de notation (...) et par la stabilité » de l'écart de taux d'intérêt d'emprunt avec l'Allemagne, référence en Europe, « jusqu'à l'annonce récente de la dissolution de l'Assemblée nationale », ajoute le ministère dans sa réponse.
Reste que la France pourrait subir une nouvelle dégradation de sa note souveraine par une agence de notation, après celle décidée par S&P fin mai. Et, actuellement, l'écart entre le taux d'intérêt de l'emprunt de la France et celui de l'Allemagne demeure plus élevé qu'avant la dissolution annoncée le 9 juin dernier.
La situation n'inquiète en tout cas pas seulement la Cour des comptes. La Commission européenne et le Fonds monétaire international (FMI) estiment que le déficit français devrait atteindre 5,3% cette année (quand l'exécutif s'attend pour rappel à 5,1%). Sur le plus long terme, l'objectif du gouvernement de revenir sous les 3% en 2027 est largement balayé par le FMI, qui table sur 4,5% de déficit à cette échéance. Sans avoir donné de chiffres, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) a, de son côté, jugé que les prévisions de l'exécutif manquent de « crédibilité (et de) cohérence ».
Il n'y a pas que la Cour des comptes qui s'inquiète de la trajectoire des finances publiques de l'Hexagone, la Commission européenne aussi. « Il est clair qu'il y a un besoin d'ajustement budgétaire en France et dans les autres pays ayant une dette élevée », a estimé, ce lundi, le Commissaire européen à l'Economie, Paolo Gentiloni, avant une réunion des ministres des Finances de l'Union européenne à Bruxelles. « Bien sûr, nous sommes conscients des difficultés institutionnelles » du pays, a souligné le Commissaire européen, tout en jugeant « possible » et « nécessaire » de réduire les déficits publics. Les ministres doivent discuter durant deux jours des procédures pour déficits publics excessifs contre sept pays de l'UE, dont la France qui se trouve plongée dans une crise politique depuis les élections législatives début juillet qui n'ont pas fait ressortir de majorité claire.La Commission européenne met la pression à la France
(Avec AFP)