![Si le déficit de la Sécu s’est creusé plus que prévu en 2023, c’est parce que les recettes ont été moins importantes qu'espéré selon le gouvernement.](https://static.latribune.fr/full_width/2381638/securite-sociale-assurance-maladie-retraite-sante-caisse-primaire-cpam.jpg)
[Article publié le jeudi 30 mai 2024 à 08H44 et mis à jour à 14H08] À 10,8 milliards d'euros en 2023, le « trou de la Sécu » s'est révélé supérieur aux prévisions du gouvernement de 2,1 milliards d'euros. Et le pire reste à venir : les prévisions actuelles « montrent une dégradation continue » et « non maitrisée » de ce déficit, « qui atteindrait 17,2 milliards d'euros en 2027, sans plus de perspective de stabilisation et encore moins de retour à l'équilibre », indique la Cour des comptes dans son rapport d'application sur les lois de financement de la Sécurité sociale, présenté mercredi.
Pour tenter de reprendre le contrôle, l'institution suggère de s'attaquer aux dépenses d'indemnisation des arrêts de travail, « qui ont augmenté de plus de 50% entre 2017 et 2022 pour atteindre 12 milliards d'euros dans le régime général ». Pour cela, elle préconise « d'aller plus loin dans la lutte contre la fraude aux arrêts de travail et dans le contrôle des prescriptions des médecins », et de simplifier la réglementation existante.
Parmi d'autres « mesures possibles », la Cour cite la non-indemnisation par l'Assurance maladie des arrêts de moins de 8 jours (470 millions d'euros de dépense en moins), l'augmentation à 7 jours du délai de carence contre trois actuellement (950 millions d'euros de dépenses en moins) ou encore la réduction à deux ans (contre trois aujourd'hui) de la durée maximale d'indemnisation (750 millions d'euros de dépenses en moins).
Afin de réduire les dépenses de l'assurance maladie, la Cour des comptes propose donc de « modifier les paramètres de l'indemnisation des arrêts de travail, notamment en vue de mieux en répartir la charge entre la sécurité sociale, les entreprises et les assurés, à l'issue d'une concertation avec les partenaires sociaux », résume l'institution.
De son côté, « la Cour des comptes confirme qu'un arrêt de l'indemnisation des arrêts de travail de moins de huit jours, reviendrait, dans la plupart des cas, à une prise en charge des arrêts de travail, avec maintien du salaire, par les entreprises jusqu'à sept jours, au lieu de trois jours actuellement ». L'institution précise néanmoins qu'« elle ne privilégie aucune mesure en particulier, mais chiffre les économies qu'apporteraient différentes mesures ».
Les exonérations et médicaments innovants aussi dans le viseur
De son côté, la Cour des comptes propose également de redonner des recettes à la Sécurité sociale. En effet, si le déficit s'est creusé plus que prévu en 2023, c'est parce que les recettes ont été moins importantes qu'espéré, « en lien avec la dégradation macroéconomique », rappelle le ministère délégué aux Comptes publics.
Pour y parvenir, l'institution évoque l'idée de s'attaquer aux exonérations de cotisations sociales sur les compléments de salaire. Ces possibilités dont disposent les employeurs pour compléter la rémunération de leurs salariés (financement des complémentaires santé, prévoyance et retraite supplémentaire, aides directes comme les titres-restaurants, partage de la valeur comme l'intéressement ou la participation...) ne cessent de croître, au détriment des salaires... et des cotisations sociales assises sur ceux-ci, explique la Cour des comptes. Les exonérations qui leur sont appliquées « se traduisent par une perte de recettes pour la Sécurité sociale qui peut être estimée à 18 milliards en 2022 », selon elle. Selon les chiffres de l'institution, les compléments de salaire dans le secteur privé se sont élevés à 87,5 milliards d'euros en 2022, ajoutant en moyenne 13,2% au salaire de base.
Autre piste d'économie présentée mercredi : une meilleure régulation des médicaments anti-cancéreux innovants, pour réduire leur prix plus rapidement. La Cour suggère la mise en place d'un réseau d'organismes de recherche indépendant pour évaluer les coûts et les bénéfices induits par les nouveaux médicaments. Il faut pouvoir notamment « renégocier le prix des médicaments anti-cancéreux innovants lorsque des études (...) montrent des résultats inférieurs à ceux attendus », note la Cour. La dépense de l'Assurance maladie pour ces médicaments « a atteint 5,9 milliards d'euros en 2022, 2,4 milliards après déduction des remises versées par les laboratoires », selon la Cour.
Des économies indispensables
La Cour des comptes proposera fin juin des pistes détaillées d'économies sur l'Assurance maladie, a indiqué son président Pierre Moscovici mercredi. Dans cette « revue de dépenses » demandée par le Premier ministre, la Cour suggèrera « des pistes d'économies concrètes », a-t-il indiqué.
« Il y a des gisements importants », mais il faudra de la « volonté politique » pour les mettre en œuvre, a-t-elle prévenu.
Cette volonté de maîtriser le déficit de la Sécurité sociale n'est pas nouvelle mais s'inscrit dans un contexte particulier cette année, compte tenu du dérapage du déficit public. Ce dernier s'est élevé à 5,5% du PIB en 2023, au lieu des 4,9% anticipés. Si bien que le gouvernement a lancé dans la foulée une chasse aux économies pour le ramener à 5,1% cette année (puis 4,1% en 2025, 3,6% en 2026 et finalement 2,9% en 2027, conformément aux attentes de Bruxelles en dessous des 3%).
Pour cela, 10 milliards d'euros d'économies sont à trouver pour 2024 - sachant qu'autant ont déjà été actées. Un effort budgétaire que l'Exécutif entend répartir entre « les administrations publiques centrales, la Sécurité sociale, les collectivités territoriales et les opérateurs de l'État », comme précisé dans son programme de stabilité pluri-annuel (PSTAB) présenté mi-avril.
Une trajectoire qui laisse dubitatif notamment le Haut Conseil des finances publiques (HCFP). Cet organisme indépendant placé auprès de la Cour des comptes l'a jugée manquant de « crédibilité » et de « cohérence », face à une situation des finances publiques « préoccupante ».
Le Fonds monétaire international (FMI) ne partage pas non plus l'avis du gouvernement. Dans son rapport sur les politiques budgétaires publié mi-avril, il anticipe que le déficit public français refluerait de façon très lente, à 4,9% cette année et l'an prochain, avant de passer à 4,4% en 2026 et 4,3% en 2027. Loin de l'objectif cible de 3%.
(Avec AFP)