![Le ministère des Finances.](https://static.latribune.fr/full_width/2382276/bercy.jpg)
L'horizon se dégage un peu pour l'économie française. Après une année 2023 au ralenti, les indicateurs passent au vert les uns après les autres. Au premier trimestre, la croissance du produit intérieur brut (PIB) français a accéléré de 0,2% comme anticipé lors de la précédente estimation, selon les derniers chiffres de l'Insee dévoilés ce vendredi 31 mai. Cette estimation est néanmoins supérieure à celle de la note de conjoncture de l'Insee du mois de mars qui prévoyait seulement 0,1%. Sur le front de l'emploi, l'embellie est plus marquée avec une croissance des créations de postes de 0,3% (+75.100 postes) contre 0,1% (+20.000 postes) initialement prévu.
« La croissance au premier trimestre reste estimée à +0,2%, soit une progression modérée. L'acquis de croissance pour 2024 à l'issue du T1 est un peu revu à la hausse (+0,6% vs +0,5%), en raison d'une estimation du 4ème trimestre 2023 plus élevée (+0,3% vs +0,1%) », a déclaré Nicolas Carnot, directeur des études et synthèses économiques à l'Insee.
Pour rappel, le calcul de la comptabilité nationale est passé en base 2020 depuis ce vendredi 31 mai. Cette modification a pu entraîner des légères révisions sur le calcul du produit intérieur brut (PIB) et d'autres indicateurs conjoncturels de l'économie tricolore. Sous pression de l'agence Standard and Poor's, le gouvernement ne devrait pas manquer de vanter ces derniers chiffres de l'institut public.
La France doit connaître une accélération plus forte au second semestre pour arriver à 1% en fin d'année
Le gouvernement a certes révisé à la baisse son chiffre de croissance pour 2024 de 1,4% à 1%. Peut-il pour autant tenir son pari avec un chiffre de 0,2% au premier trimestre ? Les avis sont loin d'être tranchés chez les économistes interrogés par La Tribune. Les chiffres de croissance du premier trimestre « sont loin d'être formidables même si c'est mieux qu'attendu. Il y a une amélioration de la croissance mais il faudra une accélération plus forte au second semestre que ce l'on attend dans notre scénario central pour atteindre 1% », déclare Philippe Ledent, économiste chez ING. « Il y a une stabilisation de l'économie mais l'industrie ne montre pas de forte accélération », complète-t-il.
Parmi les incertitudes citées figure « le ralentissement de l'économie américaine ». « Ce qui a va peser sur les exportations françaises. » Sur le plan industriel, « l'Europe connaît toujours un problème de compétitivité énergétique face aux Etats-Unis ». Sur le plan budgétaire, « la France va être mise en procédure de déficit excessif » par la Commission européenne le 19 juin prochain. « La France ne va pas pouvoir faire de politique budgétaire expansionniste. Le 1% est probablement le haut de la fourchette », prédit-il. En effet, les mesures de rigueur pourraient pénaliser l'activité française dans certains secteurs comme l'a rappelé l'OFCE, lors de ses récentes prévisions. Enfin, la reprise va également dépendre du rythme d'assouplissement de la politique monétaire de la BCE. Le gouvernement espère une baisse des taux la semaine prochaine mais cela ne présage en rien du rythme de réduction des futures baisses.
A l'opposé, certains économistes sont bien plus optimistes. « L'objectif de 1% est tout à fait atteignable », explique l'économiste et directeur de la recherche chez Natixis Jean-François Robin. « L'acquis de croissance est déjà de 0,6%. Avec la baisse de l'inflation attendue et les Jeux olympiques, cela devrait soutenir la consommation. Nous tablons sur une croissance du produit intérieur brut de 1,1% en 2024 », ajoute-t-il.
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La croissance portée par le commerce extérieur mais la demande reste atone
Au premier trimestre, l'activité est principalement portée par les chiffres du commerce extérieur. Les exportations ont bondi plus vite (+1,2%) que les importations (+0,4%). Ce qui explique que la contribution du commerce extérieur au PIB soit positive (0,2%) après un dernier trimestre 2023 (+1%) plus favorable. En revanche, la demande, traditionnel moteur de l'économie tricolore est restée particulièrement atone. La consommation des ménages a quasiment fait du surplace (0,1%) au premier trimestre après une fin d'année 2023 à peine meilleure (+0,2%).
L'Insee a d'ailleurs amplement révisé ses chiffres sur la consommation des Français (+0,4% précédemment). L'inflation a certes ralenti au cours de l'année 2023, mais continue de grever le pouvoir d'achat des ménages en France. Les ventes de matériels de transport ont brutalement chuté (-2,8%). Quant à l'investissement des ménages, il est également en repli (-1,4%) sur le début de l'année, comme celui des entreprises (-0,6%). Seuls les investissements des administrations publiques accélèrent légèrement (+0,6%).
Une épargne encore au plus haut
S'agissant de l'épargne des ménages, elle continue de s'envoler avec un taux à 17,6% au premier trimestre. « Si le taux d'épargne des ménages s'est maintenu à ce niveau élevé, c'est en raison du manque de dynamisme de la croissance de la consommation qui reste inférieure à la normale (+0,9% par exemple en 2023), affectée notamment par l'impact de l'inflation sur la consommation en biens (alimentation et énergie principalement), puis par celui de la hausse des taux d'intérêt sur la consommation en biens durables », explique Stéphane Colliac, économiste chez BNP Paribas.
Une croissance de l'emploi révisée à la hausse...
Sur le front de l'emploi, les indicateurs soulignent une croissance plus robuste (+0,3%) que celle prévue (0,2%). Cette dynamique est portée par l'emploi salarié dans le secteur privé (+0,3% ; +61.000 emplois). Dans le secteur public, l'emploi a également augmenté mais moins fortement (0,2%). Par secteur économique, ce sont principalement les services marchands et non-marchands qui ont boosté les créations de postes.
En revanche, l'intérim, l'agriculture et surtout la construction affichent des résultats négatifs. Frappées par l'inflation et le durcissement des conditions financières, les entreprises du bâtiment s'enfoncent dans une crise à rallonge. La légère embellie de l'activité pourrait redonner du souffle au secteur mais il reste particulièrement asphyxié depuis la guerre en Ukraine. Résultats, les entreprises détruisent des emplois à tour de bras (-8.900 postes au premier trimestre).
...mais une productivité toujours en panne
Ces meilleurs chiffres que prévu sur l'emploi ne doivent pas faire oublier que la productivité tricolore est toujours en berne. Avec une croissance de l'emploi supérieure à celle de l'activité, la richesse produite par emploi diminue mécaniquement. Sur ce point les économistes sont encore très loin d'avoir trouvé l'ensemble des facteurs qui expliquent cette chute de la productivité française. « Les révisions de la croissance sont loin de faire disparaître le mystère de la "panne de productivité" », a d'ailleurs rappelé Nicolas Carnot, à l'Insee.
Le boom des contrats en apprentissage depuis la réforme de 2018 et des aides massives à l'embauche peuvent expliquer une partie de cette érosion. Confrontés à des difficultés de recrutement persistantes, les industriels ont également fait appel à du personnel moins qualifié pour répondre à leurs besoins en main-d'œuvre. Loin de concerner uniquement la France en Europe, ce décrochage est d'autant plus inquiétant qu'il explique une grande partie du fossé entre l'économie du Vieux continent et celle des Etats-Unis.