« Nous avons devant nous 100 jours d'apaisement, d'unité, d'ambitions et d'actions au service de la France ». Après un printemps électrique marqué par le passage au 49-3 de la réforme des retraites, Emmanuel Macron voulait faire redescendre la pression dans tout le pays. Lors d'un discours prononcé le 18 avril, le chef de l'Etat avait promis de faire « un premier bilan le 14 juillet prochain ». A la veille de la fête nationale, le président de la République a finalement annoncé qu'il ne fera pas d'entretien à la télévision. Au palais de l'Elysée, les conseillers du chef de l'Etat s'efforcent d'expliquer qu'il n'a pris la parole « que deux fois ce jour-là » depuis son élection en 2017. Et que ce n'est pas dans « ses habitudes ».
Derrière cette communication, le gouvernement reste confronté à une forte défiance de la population et une France déchirée. La mort du jeune Nahel, tué par un policier à bout portant pour avoir refusé d'obtempérer à un contrôle, a provoqué de la sidération et a été le point de départ de violentes émeutes sur l'ensemble du territoire. Et cet épisode de chaos risque de laisser des traces profondes au-delà de la première année du second mandat d'Emmanuel Macron.
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Un bilan des 100 jours largement assombri
Malgré le renoncement du chef de l'Etat à dresser les leçons de cette situation, le gouvernement a tenté de tirer un bilan optimiste de ces trois mois agités. « Les chantiers présentés en avril n'ont pas été en souffrance », a déclaré le porte-parole de l'exécutif, Olivier Véran, lors d'un point presse donné à l'issue du conseil des ministres.
« L'apaisement est symbolisé par plusieurs choses. Les représentants des organisations patronales et syndicales ont été reçus à la table de la Première ministre, des progrès pour les Français ont été faits en ce qui concerne les médecins traitants », a-t-il poursuivi.
Au lendemain de l'adoption de la réforme des retraites, le gouvernement avait mis les bouchées doubles sur les réformes avec des textes sur le plein emploi, le partage de la valeur. Le chef de l'Etat avait également misé sur la réindustrialisation avec le texte de loi sur l'industrie verte actuellement en discussion au Parlement. Lors de déplacements et au sommet Choose France organisé en grande pompe à Versailles, le quadragénaire a voulu faire oublier les mobilisations sociales inédites depuis plusieurs années contre la réforme des retraites en misant sur des sujets plus consensuels.
Mais ce pari de l'apaisement au milieu d'une France polarisée a échoué aux yeux de quelques observateurs. « Avant la crise des violences urbaines, Emmanuel Macron avait vu s'apaiser la violence des oppositions depuis quelques semaines et pouvait envisager d'entrer dans une phase de réconciliation avec les citoyens, de reconstruction d'un lien détérioré. Cette crise inédite sous sa présidence va élargir le chantier présidentiel de l'apaisement », a expliqué à La Tribune Erwan Lestrohan, directeur conseil chez Odoxa.
La présentation de la planification écologique chamboulée
L'autre signe qui montre que les émeutes ont complètement chamboulé l'agenda du gouvernement concerne la planification écologique. Une grande présentation de la stratégie du gouvernement devait avoir lieu dans la semaine du 14 juillet, puis a été reportée au 17 juillet avant d'être finalement suspendue.
Mais les annonces ont pour l'instant été distillées dans un entretien de la Première ministre accordé au Parisien le week-end dernier. Et la réunion du conseil national de la transition écologique organisée le mercredi 12 juillet a permis au gouvernement d'annoncer quelques détails de la feuille de route. Mais la réunion était moins ambitieuse que celle prévue. « Il n'y pas encore de date programmée sur les propositions du conseil de la planification écologique », a indiqué Olivier Véran.
Un diagnostic en cours
Pour trouver une issue à cette crise, le gouvernement a d'abord apporté une réponse sécuritaire importante. « Le retour au calme passe par l'arrestation de 4.000 personnes. Beaucoup sont passés en comparution immédiate et certains sont sous les verrous », a rappelé le porte-parole de Matignon. Mais ce virage régalien ne sera pas suffisant. Dans une note dévoilée ce jeudi 13 juillet, le groupe de réflexion Terra Nova appelle à aller au-delà du renforcement de l'arsenal sécuritaire déjà bien fourni.
Face au défi de la reconstruction, Emmanuel Macron a chargé l'exécutif de plancher sur un diagnostic de la situation et « a demandé de travailler sur les causes de ces émeutes ». « Les comptes-rendus des audiences judiciaires montrent que ce n'est pas en défense de Nahel. Il y a un rapport à l'éducation et à l'emploi. Une partie des explications fait appel à la sociologie », a-t-il ajouté. Autant dire que le projet de loi d'urgence détaillé par le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu pour accélérer la reconstruction des bâtiments détruits ou endommagés devra être complété par des mesures ambitieuses de l'exécutif.
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Des rumeurs de remaniement
D'abord pressenti pour le 14 juillet, le remaniement pourrait avoir lieu avant la trêve estivale au mois d'août. « Le remaniement est une décision du président de la République », a souligné Olivier Véran interrogé sur ce point. Pour l'instant, les pronostics vont bon train sur l'ampleur de ce mercato. Dans l'entourage de la Première ministre Elisabeth Borne, certains ont déjà fait leurs cartons.
Son directeur de cabinet Aurélien Rousseau doit quitter Matignon ce jeudi 13 juillet au soir, selon Politico après douze mois intenses. L'ancien patron de l'agence régionale de la santé (ARS) d'Île-de-France, pourtant habitué des crises sanitaires hors normes, n'aura fait qu'une année à ce poste très sensible. D'autres membres de cabinets ministériels pourraient également suivre si Macron annonçait un nouvel exécutif. Les deux prochaines semaines avant la pause estivale du mois d'août pourraient être chargées.
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