Le gouvernement s'apprête à rentrer dans une zone de fortes turbulences. Après avoir échappé aux foudres de Fitch et Moody's à la fin du mois d'avril, la France se prépare à recevoir le bulletin de note de l'agence Standard and Poor's. L'Hexagone est actuellement notée « AA » par l'agence américaine très influente, une excellente appréciation équivalente à un 18 sur 20, mais assortie d'une perspective négative. L'agence pourrait donc décider de dégrader la note de crédit de la France si elle juge que le gouvernement n'a pas fait assez d'efforts pour rétablir la trajectoire des comptes publics.
Au Parlement, les oppositions ont également décidé de fourbir leurs armes. Le président de la Commission des finances, Eric Coquerel (LFI) doit déposer une motion de censure ce vendredi 31 mai dans l'hémicycle. Et, cette motion devrait être soutenue par le Rassemblement national (RN) faute de budget rectificatif en 2024. À quelques jours des élections européennes, une détérioration de la note de la France pourrait faire trembler la majorité présidentielle actuellement en perte de vitesse dans les enquêtes d'opinion face au Rassemblement national (RN). En l'absence de majorité absolue, le gouvernement navigue toujours en eaux troubles au Parlement. Et ce n'est pas l'annonce de la réforme de l'assurance-chômage par décret dans les colonnes de La Tribune Dimanche qui risque d'apaiser les tensions au Palais Bourbon.
La France sous la menace d'une dégradation
Vendredi soir, tous les projecteurs seront braqués sur le verdict de l'agence Standard & Poor's après la fermeture des marchés. Il est difficile à ce stade de savoir quelle sera l'appréciation de cet acteur largement critiqué au lendemain de la crise des subprimes en 2008 et de la crise des dettes souveraines en 2012. « Sur la base des critères que S&P a communiqués elle-même, cette agence aurait quelques raisons de dégrader la France », explique l'économiste Eric Dor, (IESEG School of management).
En juin dernier, l'agence américaine avait expliqué qu'elle pourrait « dégrader la note de la France en l'absence d'une réduction régulière de la dette publique en pourcents du PIB de 2023 à 2025, ou si les charges d'intérêt sur la dette publique dépassaient 5% des recettes publiques ». Or, la situation des finances publiques s'est dégradée bien plus que prévu par Bercy. Attendu à 4,9% du PIB en 2023, le déficit des comptes publics a finalement atteint 5,5% en France. « La France n'a pas été capable de voir ce dérapage », a déclaré ce jeudi 30 mai le président de l'OFCE, Xavier Ragot, lors d'une audition à l'Assemblée nationale.
Et le déficit devrait, selon l'exécutif s'établir à 5,1% en 2024, 4,1% en 2025, 3,6% en 2026 et 2,9% selon le programme de stabilité envoyé à Bruxelles. Le gouvernement a certes annoncé des coupes budgétaires de 20 milliards d'euros pour 2024 et 20 milliards d'euros pour 2025. Mais le Fonds monétaire international doute des capacités de l'exécutif à tenir sa promesse de revenir sous les 3% d'ici 2027. Soupçonné d'avoir dissimulé la dérive des comptes publics, le ministre de l'Economie s'est défendu âprement ce jeudi au Sénat. « Toutes les informations ont été données en temps utile au Parlement et aux Français, et toutes les décisions nécessaires ont été prises en temps utile pour corriger les conséquences de recettes fiscales moins élevées que prévu », a soutenu M. Le Maire.
Une croissance encore faible
Sur le front de la croissance, l'activité du produit intérieur brut (PIB) a accéléré légèrement plus qu'anticipé à 0,2% contre 0,1% au premier trimestre, selon la dernière estimation de l'Insee. Et les chiffres du second trimestre devraient également osciller entre 0,1% et 0,2% selon la Banque de France. Autant dire que le pari du gouvernement de compter sur une croissance plus robuste pour améliorer les recettes fiscales et la trajectoire des comptes publics pourrait s'avérer difficile.
Pour rappel, le gouvernement a déjà révisé sa projection pour 2024 au mois de février de 1,4% à 1%, après de nombreux instituts de prévisions. Au ministère des Comptes publics, les experts espèrent que l'assouplissement de la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) à partir du mois de juin va redonner du souffle à l'économie française et européenne. Mais de nombreuses incertitudes planent encore sur les perspectives de croissance. En Europe, les résultats des élections européennes en juin prochain vont sans doute déterminer en partie la capacité du Vieux continent à investir dans la transition écologique et la réindustrialisation. Quant à la France, la chute de la productivité assombrit grandement les capacités d'un rebond solide de l'économie tricolore à moyen terme.
Peu d'impact sur les obligations souveraines
Sur le marché des obligations souveraines, la dégradation d'une note de la France aurait peu d'impact. « De manière générale, les agences de notation soulignent que la dette de la France est ample et très liquide, ce qui est apprécié par les investisseurs internationaux », rappelle Eric Dor. Les agences semblent apprécier le profil d'une économie « diversifiée » comme la France et « l'ampleur des patrimoines et revenus privés qui peuvent être potentiellement taxés en cas de problème de financement ».
Faute de concurrence, la dette de la France reste très appréciée des investisseurs à l'étranger. « Les obligations françaises sont un choix assez évident pour les investisseurs internationaux à la recherche d'actifs d'assez bonne qualité, car les obligations des pays très sûrs comme l'Allemagne sont émises en quantité trop limitée », complète l'économiste. Compte tenu de l'épargne colossale en Europe et dans le monde, « les gens se battent pour avoir de la dette publique », explique Xavier Ragot. «Il faut certes une responsabilité sur la dette publique mais pas de panique », a déclaré l'économiste devant la Commission d'enquête sur la dette au Palais Bourbon.
Le spread entre l'Allemagne et la France reste stable
L'autre élément particulièrement scruté par les analystes des agences de notation est l'écart de taux à 10 ans (« spread ») entre l'Allemagne, jugée comme le pays de référence par les investisseurs en zone euro, et la France. En novembre dernier, le spread avait grimpé à un niveau inédit depuis plusieurs années provoquant des craintes dans les milieux financiers. Mais depuis l'écart des taux à 10 ans entre la France et l'Allemagne est resté relativement « stable », a affirmé, Antoine Deruennes, directeur général de l'Agence France Trésor cette semaine à l'Assemblée nationale. ll reste évidemment des inquiétudes sur l'issue des élections européennes et la montée des nationalismes partout en Europe.
Les forces eurosceptiques sont toujours bien présentes pendant la campagne. Mais les possibilités de l'implosion de la zone euro sont tout de même moins crédibles qu'au lendemain de la crise des dettes souveraines il y a dix ans. A l'époque, « l'Europe était encore marquée par les turbulences de la crise de 2012 et la crise bancaire. Ce qui avait provoqué une forte défiance de l'euro », rappelle Bruno Cavalier, chef économiste de ODDO-BHF. « Il y a certes de l'euroscepticisme mais plus personne ne veut sortir de l'euro. On peut dire merci aux Anglais avec le Brexit ». Surtout, la Banque centrale européenne (BCE) pourrait accélérer sa baisse des taux à partir de juin si des tensions sur les marchés se propageaient à l'ensemble des pays de la zone euro. Reste à voir si la France va échapper au couperet des analystes vendredi soir.