![La préparation du budget 2025 s'annonce particulièrement délicate à Bercy.](https://static.latribune.fr/full_width/2337837/bercy.jpg)
L'annonce de la dissolution de l'Assemblée nationale continue de faire tanguer le paquebot Bercy. Un mois après la décision tonitruante d'Emmanuel Macron, le ministère des Finances navigue en eaux troubles. Les fonctionnaires sont certes rompus aux bouleversements vertigineux provoqués par les récentes crises mondiales (pandémie) et européennes (guerre en Ukraine).
Force est de constater que l'instabilité de la situation politique chamboule le calendrier budgétaire. En attendant la nomination d'un nouveau gouvernement, les comptables, eux, planchent déjà sur un projet de loi de finances 2025 (PLF), sans savoir si celui-ci sera retoqué, ou non, par le prochain ministre des Finances.
Bruno Le Maire, ministre « jusqu'à la dernière minute »
A quelques jours de son possible départ, Bruno Le Maire a tenté de rassurer. « Je suis encore ministre de l'Economie et des Finances. Je resterai ministre jusqu'à la dernière minute pour garantir l'équilibre des finances publiques », a-t-il déclaré ce jeudi, lors d'une réunion avec des journalistes. La situation troublée sur le plan politique ne permet pas de dégager l'horizon budgétaire de la France. Vilipendé par les oppositions, l'actuel gouvernement va laisser au prochain exécutif une ardoise budgétaire particulièrement douloureuse.
Le premier chantier de taille qui attend le prochain gouvernement est la préparation du budget. En juin dernier, le ministre des Comptes publics, Thomas Cazenave, avait entamé des négociations avec chacun des ministères pour trancher les plafonds de dépenses des missions de l'Etat. Suspendu après l'annonce de la dissolution, ce travail a repris récemment avec les équipes de la direction du budget.
« Comme mes fonctions l'exigent, j'ai commencé des travaux techniques. Le PLF 2025 sera quoi qu'il arrive un retour au réel, faute de quoi nous nous exposerions à la réaction des marchés », a prévenu le ministre de l'Economie.
Face à un calendrier encore plus serré, les fonctionnaires risquent de passer un été très chargé. « Les budgets se présentent avant le premier mardi d'octobre selon la Constitution. Notre travail est de permettre d'avoir une discussion au Parlement. On ne peut pas s'abstraire de ce calendrier. Ce serait très mal vu par les marchés », confie un ponte de Bercy, spécialiste de la mécanique budgétaire.
Accablé par les critiques sur les niveaux de dette, Bruno Le Maire a assuré qu'il laisserait « également un projet de budget pour un retour sous les 3% de déficit en 2027 ». « Ce sera à la prochaine majorité de le valider ou non. Je fais très attention à ce que la représentation nationale soit bien respectée. Les décisions sur le futur ne m'appartiennent plus », a-t-il rappelé.
25 milliards d'euros d'économies
Face au déficit plus élevé que prévu, le gouvernement avait annoncé au printemps 20 milliards d'euros d'économies en 2024 et 20 milliards d'euros en 2025, en commission des finances à l'Assemblée nationale. Ce jeudi, Bruno Le Maire a annoncé 5 milliards d'euros supplémentaires à réaliser en 2024 pour redresser les comptes publics. « J'ai envoyé un courrier de notification à tous les ministères avec une baisse de 5 milliards d'euros », a-t-il expliqué à la presse.
Dans le viseur du ministre figurent notamment les collectivités locales avec une baisse des dépenses de deux milliards d'euros. « Il faut faire 25 milliards d'euros d'économies en 2024 pour aboutir à un déficit de 5,1% », a-t-il ajouté. Parmi les risques identifiés par le ministre, apparaît « le dérapage sur les dépenses de sécurité sociale ». L'ancien haut fonctionnaire a également cité « le changement de la composition de la croissance » avec une hausse des exportations, ce qui réduirait les recettes fiscales. Enfin, il a évoqué « l'immobilisme politique » qui pourrait avoir « un impact économique ».
La France dans le viseur des agences de notation ...
La préparation du budget est d'autant plus compliquée que la France est dans le viseur des agences de notation. Au lendemain des élections législatives, Moody's a adressé à l'Hexagone des avertissements sur les futures dépenses budgétaires. Après le scrutin, les marchés sont restés relativement stables et l'euro n'a pas vraiment perdu de terrain face au dollar. Le « spread » (l'écart entre l'OAT Français et le Bund allemand) ne s'est pas envolé. Mais ces indicateurs pourraient réagir brutalement dans les mois à venir compte tenu de la situation bien terne des finances publiques tricolores.
La France a déjà été dégradée par la puissante agence de notation américaine Standard and Poor's fin mai. Une nouvelle dégradation serait un coup de massue. L'Insee prévoit certes une croissance du produit intérieur brut (PIB) de 1,1% en 2024 au même niveau qu'en 2023 mais les perspectives d'activité sont loin d'être favorables. Avant même la dissolution parlementaire, la Banque de France avait révisé à la baisse ses chiffres de croissance pour 2025 de 1,5% à 1,2%.
...et de la Commission européenne
Annoncée en juin dernier, la procédure pour déficit excessif de la France devrait être officialisée le 16 juillet prochain. Sans surprise, la Commission européenne a épinglé l'Hexagone pour sa dérive des comptes publics. Suspendues pendant plusieurs années après la pandémie, les règles budgétaires de l'Europe, récemment réformées, font planer de nouvelles contraintes. Certes, ces règles révisées prennent en compte la situation budgétaire de chaque Etat et laissent un peu de marges de manœuvre sur les investissements verts notamment. Mais elles rétablissent les règles du Traité de Maastricht prévoyant un retour au déficit sous le seuil de 3%.
Pour parvenir à cet objectif, le gouvernement devra tailler sévèrement dans le budget des administrations publiques. Certains économistes n'hésitent pas à évoquer plusieurs dizaines de milliards d'euros. Une cure de rigueur qui pourrait s'avérer bien plus drastique que lors des années 2010. A l'époque, le tour de vis budgétaire avait pesé lourdement sur la croissance économique en France et en Europe. En parallèle, la France va devoir engager des investissements faramineux dans la transition écologique, la Défense et la santé compte tenu des enjeux pharaoniques. Reste à savoir comment le prochain gouvernement va réussir à sortir de cette impasse budgétaire.